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La libération de Sophie Pétronin : quatre clarifications sur une polémique

Le président français Emmanuel Macron accueille Sophie Petronin aux côtés du ministre français des affaires européennes et étrangères Jean-Yves Le Drian
Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian accueillent Sophie Pétronin à son arrivée à l'aéroport militaire de Villacoublay près de Paris, le 9 octobre 2020. Gonzalo Fuentes/AFP

L’humanitaire franco-suisse Sophie Pétronin, enlevée le 24 décembre 2016 dans le nord du Mali, a passé quatre années en détention aux mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance de cellules djihadistes affiliée à Al-Qaïda. Elle a été libérée le 8 octobre dernier avec trois autres captifs, dont l’ancien ministre malien Soumaïla Cissé capturé six mois plus tôt, en échange de près de 200 détenus de la prison de Bamako.

Alors que ses conditions précises restent à éclaircir, l’arrangement soulève des questions légitimes quant à ses justifications et ses conséquences. Il est d’autant plus essentiel de le situer dans son contexte afin de nuancer certaines idées reçues.

Un échange qui s’inscrit dans le contexte politique interne au Mali

Si la France peut se réjouir de la liberté retrouvée d’une de ses citoyennes, l’échange qui a conduit à sa libération est principalement une affaire malienne et aurait été mené quoi qu’il en soit. La junte au pouvoir depuis le 18 août 2020 – date de la démission forcée d’Ibrahim Boubacar Keita – réalise en effet un coup politique en obtenant le retour d’une figure éminente de la vie publique du pays là où l’ancien président, qui avait entamé des discussions, a échoué.

Le président de la transition malienne Bah Ndaw
Le président de transition malien Bah Ndaw lors de sa prestation de serment au CICB (Centre International de Conférences de Bamako) à Bamako le 25 septembre 2020. Michèle Cattani/AFP

Cette opération est un succès pour les autorités de transition à plusieurs titres. Il s’agit à la fois d’un gain de crédibilité par rapport au pouvoir précédent, d’une contribution à l’unité nationale comme l’illustrent les scènes de liesse chez les partisans de Soumaïla Cissé, d’une manière de poursuivre les discussions avec les groupes rebelles et d’une opportunité de monnayer la libération de Sophie Pétronin vis-à-vis de l’État français.

200 « djihadistes » viennent d’être libérés ?

Un point de tension majeur ternit pourtant ce bilan. Il a trait à la contrepartie octroyée, à savoir la libération de près de 200 individus présentés comme des « djihadistes » prêts à « reprendre les armes immédiatement » selon la formule de Peer De Jong, ancien aide de camp des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac. L’identité des personnes libérées nécessite d’être clarifiée, dans la mesure où les conséquences de l’échange dépendent bien évidemment de leur dangerosité.

Il est vrai que plusieurs terroristes reconnus ont été évoqués, sans confirmation officielle, à l’image de Mimi Ould Baba, un Malien impliqué dans les attentats de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire et Ouagadougou au Burkina Faso, ainsi que des Mauritaniens Fawaz Ould Ahmed et Abou Dardar.

Néanmoins, de France24 au journal Le Monde en passant par plusieurs médias étrangers, les informations disponibles semblent indiquer que la majorité des détenus relâchés ne sont pas des combattants djihadistes mais des individus initialement arrêtés pour des activités de soutien logistique (reventes, renseignements ponctuels) ou parce qu’ils évoluaient dans la même zone géographique que les groupes armés.

Pourquoi dès lors libérer un si grand nombre de prisonniers qui ne sont pas des soldats ? La junte comme le GSIM y trouvent leur intérêt. Pour la première, l’importance de la concession vise à prouver sa détermination à libérer Soumaïla Cissé et à séduire ses soutiens de l’Union pour la république et la démocratie (URD). Pour le second, ce chiffre est non seulement un atout en termes de publicité mais représente également autant d’individus qui rejoignent leurs familles dans les terres et permettent à l’organisation de consolider son aura locale.

Un type de transaction loin d’être inédit

Les échanges, aussi polémiques soient-ils, sont de surcroît une forme relativement classique d’interaction entre belligérants et s’inscrivent dans la logique globale d’un conflit. Dans le cas présent, cet accord est un pas de plus dans la négociation que les autorités maliennes souhaitent mener avec les groupes insurrectionnels liés à Al-Qaïda. Les raisons relèvent à la fois de la politique intérieure et de la lutte contre Daesh, ennemi principal du moment et adversaire de circonstance d’Al-Qaïda dans la région.

Le soldat israélien Gilad Shalit
Le soldat israélien Gilad Shalit et le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, près de Tel-Aviv, le 18 octobre 2011, après sa libération. AFP

De manière plus générale, on constate en effet que ces types d’échanges ne sont pas inédits, y compris pour un pays comme Israël, peu enclin à prendre la sécurité à la légère. À plusieurs reprises, l’État hébreu a accepté de libérer des centaines de prisonniers pour assurer le rapatriement de citoyens ou même de dépouilles. Dernier exemple en date, l’accord de 2011 qui a conduit à la libération de 1027 prisonniers palestiniens contre le retour du soldat Gilad Shalit retenu par le Hamas à Gaza.

Et la France ?

Si la France n’était à l’évidence pas à la manœuvre dans ces négociations, quel bilan pouvons-nous tirer depuis l’Hexagone ? Il faut tout d’abord souligner l’opportunité saisie par les autorités françaises qui ont profité d’un accord sur le point d’être conclu afin d’obtenir une contrepartie, en bonne intelligence avec le pouvoir malien.

Les leçons de la négociation de libération des otages d’Arlit, dont le paiement des rançons aurait suscité l’ire de son allié malien, semblent avoir été retenues. Cette transaction permet ensuite à la France de garder la face, celle d’un « pays qui ne cède pas » – le Mali a procédé à l’échange et aucune rançon n’est évoquée officiellement – mais qui « n’abandonne pas ses enfants ».

Des soldats de l’armée française
Des soldats de l’armée française tiennent des détecteurs lors de la recherche de la présence d’IED (engins explosifs improvisés) dans le cadre de l’opération Barkhane le 12 novembre 2019 au Mali. Michèle Cattani/AFP

Sur le terrain enfin, même si la situation peine à se stabiliser, l’armée française remporte des succès tactiques comme en témoigne l’élimination d’Abdelmalek Droukdel, ancien chef d’AQMI, le 3 juin 2020. Le rapport de force global devrait a priori perdurer en faveur des 5 000 soldats de l’opération Barkhane, même si des conséquences néfastes ne peuvent être exclues.

Deux autres leçons doivent également être tirées. D’une part, il est nécessaire de responsabiliser toujours plus nos concitoyens dans ces zones à risque. Tous doivent prendre conscience de la difficulté d’assurer leur sécurité et, le cas échéant, de parvenir à un accord de libération. La déclaration de Sophie Pétronin, affirmant vouloir revenir au plus vite dans la région de Gao, est à cet égard pour le moins malvenue.

D’autre part, il faut veiller à minimiser l’implication de l’exécutif. Le rituel qui consiste à accueillir les otages à l’aéroport de Villacoublay est une forme d’instrumentalisation qui tend à personnaliser la gestion de ces affaires autour de la figure du Président de la République. Il envoie un mauvais signal aux ravisseurs en confirmant l’importance politique de leurs prises, jusqu’au sommet de l’État.

Ajoutons en guise de post-scriptum que, contrairement à ce qu’on a souvent pu lire, Sophie Pétronin n’était pas la « dernière otage française ». Fariba Adelkhah, chercheuse du CERI–Sciences Po est toujours retenue contre son gré en Iran, même si elle a récemment pu quitter sa prison pour être placée en résidence surveillée à son domicile…

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