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La technologie peut stimuler l'agriculture en Afrique, mais elle peut aussi menacer la biodiversité: comment trouver un équilibre entre les deux?

Un champ de maïs
L'agriculture est l'un des principaux employeurs en Afrique. Wikimedia Commons

La culture d'un hectare de maïs était autrefois une tâche ardue pour Precious Banda, agricultrice en Zambie. Il lui fallait des centaines d'heures pour préparer son champ avant les semis et et pour le débarasser de mauvaises herbes jusqu'à la récolte, avec pour seul équipement une petite houe. Elle dit que c'était un travail éreintant: “Je le sens encore. Depuis quelques années, elle loue un tracteur et un voisin pulvérise des herbicides pour elle. "La vie est devenue si facile”, dit-elle.

Mais elle a aussi remarqué des changements autour de sa ferme. Il y a moins d'abeilles et - ce qui l'inquiète le plus - moins de chenilles, qui constituaient autrefois un plat délicieux.

L'histoire de Precious Banda est un parfait exemple de la situation à laquelle sont confrontés des millions d'agriculteurs africains.

Le développement agricole figure en bonne place dans les programmes politiques des pays africains, comme le montre l’Agenda 2063 de l'Union africaine. Mais s'il est nécessaire pour réduire la pauvreté et la faim, le développement agricole entre souvent en conflit avec la biodiversité, qui décline à un rythme alarmant. La perte de biodiversité pourrait réduire la sécurité alimentaire en compromettant les services écosystémiques tels que la pollinisation, le recyclage des nutriments et le maintien de l'approvisionnement en eau. Les sources de nourriture sauvage pourraient également être perdues.

Dans un nouvel article, nous, chercheurs en économie, agronomie et écologie, soulignons l'importance de stratégies agricoles respectueuses de la biodiversité. En gardant à l'esprit l'histoire de Precious Banda, nous soutenons que ces stratégies doivent accorder beaucoup plus d'attention à la dynamique de la main-d'œuvre agricole.

Biodiversité et travail agricole

La biodiversité disparaît lorsque les terres agricoles s'étendent et que l'agriculture devient plus intensive. En Afrique, 75 % de la croissance agricole provient de l'expansion des terres agricoles aux dépens des forêts et des savanes. Cela entraîne une perte et une fragmentation de l'habitat. L'agriculture plus intensive freine l'expansion agricole, mais peut rendre le paysage moins riche en biodiversité et conduit souvent à l'utilisation de plus de produits chimiques tels que les pesticides.

L'importance d'une agriculture respectueuse de la biodiversité commence à être reconnue plus largement. Mais les efforts déployés pour l'encourager négligent souvent les compromis avec les besoins en main-d'œuvre agricole. Nous soutenons que le fait de négliger ces besoins compromettra le succès des efforts de conservation de la biodiversité.

Les agriculteurs peuvent réduire les travaux lourds en adoptant des technologies telles que la mécanisation et les herbicides. Par exemple, nos recherches antérieures en Zambie ont montré que les tracteurs réduisaient le temps de préparation des terres de 226 à 10 heures par hectare. Au Burkina Faso, les herbicides sont appelés “les petits assistants des mères” parce qu'ils réduisent le travail des femmes dans les champs.

Mais les technologies permettant de réduire la main-d'œuvre peuvent avoir des effets négatifs sur la biodiversité en raison de l'extension et de la simplification des terres agricoles, de la dégradation des sols et des effets indirects. Par exemple, dans une étude antérieure au Bénin, au Kenya, au Nigeria et au Mali, nous avons constaté que la mécanisation entraînait parfois la suppression d'arbres et de haies dans les exploitations agricoles et modifiait la taille et la forme des parcelles. Il en résulte une perte de la diversité des exploitations et des mosaïques d'habitats sains. Les pesticides peuvent nuire à la biologie du sol, aux systèmes hydriques et aux populations d'insectes s'ils sont mal réglementés et mal gérés comme c'est souvent le cas.

Les technologies d'amélioration de la biodiversité présentent le problème inverse : les agriculteurs ne les adoptent souvent pas parce qu'elles alourdissent la charge de travail. Parmi les exemples, on peut citer les cultures intercalaires (qui consistent à faire pousser différentes cultures les unes à côté des autres) et les bassins de semis (qui sont des poquets peu profonds dans le sol, tels qu’utilisés dans le zaï, afin de fournir un environnement approprié aux cultures et de placer les intrants). Au Zimbabwe, une étude a noté que les bassins de semis pouvaient nécessiter beaucoup de main-d'œuvre sans toujours augmenter les rendements.

Les agriculteurs adoptent généralement des technologies et des pratiques qui nécessitent le moins de main-d'œuvre possible et qui permettent d'obtenir des rendements élevés et stables, mais celles-ci peuvent être néfastes pour la conservation de la biodiversité.

Ce qu'il faut plutôt, ce sont des technologies intelligentes sur le plan de la biodiversité qui permettent de pratiquer une agriculture à faible main-d'œuvre, à haut rendement et avec une grande biodiversité.

L'agriculture intelligente en matière de biodiversité

L'une des solutions possibles consiste à adapter les machines à la taille de l'exploitation, et non l'inverse. Les machines plus petites peuvent facilement manœuvrer autour des arbres, des haies et d'autres éléments du paysage qui sont essentiels pour la biodiversité.

La combinaison de solutions biologiques intelligentes (comme la rotation des cultures) et de solutions mécaniques (comme la pulvérisation de précision) est un moyen de réduire l'utilisation des pesticides. Dans notre article scientifique, nous abordons également de nombreuses autres options.

Par exemple, dans l'agriculture de plantation, les îlots d'arbres peuvent améliorer la biodiversité sans réduire les rendements, comme l'a montré une étude récente.

Les technologies intelligentes en matière de biodiversité réduisent les coûts (en termes de rendement et de main-d'œuvre) de la conservation de la biodiversité pour les agriculteurs individuels. Cela augmente la probabilité d'adoption. Lorsque la conservation s'accompagne de coûts plus élevés que les bénéfices, une compensation financière peut également s'avérer nécessaire. Celle-ci pourrait, par exemple, prendre la forme de systèmes de certification ou d'un paiement pour les services écosystémiques.

Les solutions au niveau de l'exploitation doivent être accompagnées d'interventions au niveau du paysage. Il peut s'agir d'une planification et d'un suivi attentifs de l'utilisation des terres afin de préserver les points chauds de biodiversité et de maintenir les habitats connectés. Notre étude de cas en Éthiopie montre que les paysages multifonctionnels peuvent être planifiés pour “fonctionner pour la biodiversité et les hommes”.

Nous soutenons qu'un développement agricole respectueux de la biodiversité nécessite un changement en matière d'élaboration des politiques publiques, de recherche et dévéveloppement. Les écologistes de la conservation doivent accorder plus d'attention à la durabilité économique et sociale. Si l'on ne tient pas compte des questions liées à la de main-d'œuvre, les efforts de conservation ont peu de chances d'aboutir. Dans le même temps, les agronomes doivent se fixer des objectifs multiples, au-delà des rendements.

Notre étude montre qu'il existe des innovations technologiques, agronomiques et institutionnelles pour une agriculture respectueuse de la biodiversité. Mais il reste encore beaucoup à faire pour les transposer à plus grande échelle. Si elles réussissent, elles peuvent contribuer à nourrir la population en croissance, à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et à préserver la biodiversité avant qu'il ne soit trop tard.

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