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L'aéroport Montréal-Trudeau en 2021. Il atteindra bientôt sa pleine capacité, sans que des solutions durables ne soient mises de l'avant. La Presse canadienne/Graham Hughes

L’aéroport Montréal-Trudeau va atteindre son ultime capacité d’ici 25 ans. Comment éviter de nouvelles erreurs de planification ?

L’histoire des aéroports de Montréal est tapissée d’erreurs néfastes.

Montréal-Trudeau, qui a supplanté Mirabel après une interminable saga, ne répond plus à la demande. Elle se classe dans les derniers rangs en Amérique du Nord en termes de satisfaction de la clientèle. Ses problèmes de congestion routière font aussi régulièrement les manchettes.

Professeur au Département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, je démontre dans mon récent ouvrage sur le sujet que même avec des taux de croissance relativement modestes, on risque d’atteindre la capacité ultime de l’aéroport Montréal-Trudeau, soit celle des pistes, d’ici 2047. Cela n’est pas très loin dans un contexte d’infrastructures aéroportuaires.

Que faire ?

L’ADM, la société Aéroports de Montréal, fait face à plusieurs dilemmes : comment s’ajuster à la reprise de l’achalandage ? Comment financer les projets d’investissements nécessaires pour répondre à la demande ? Doit-on négocier avec le gouvernement fédéral pour revoir le modèle d’affaires actuel qui ne nous permet plus d’assurer le financement du développement prévu ?

Et surtout, comment en est-on arrivé là ?

Un homme circule parmi un amoncellement de valises
Un passager cherche ses bagages parmi une pile de bagages non réclamés à l’aéroport Pierre Elliott Trudeau, le 29 juin 2022. Celui-ci se classe parmi les derniers en Amérique du Nord pour la satisfaction de la clientèle. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Retour en arrière

On a construit un deuxième aéroport, Mirabel, inauguré en 1975, alors que celui de Dorval pouvait répondre à la demande pour plusieurs années encore, les prévisions d’achalandage de l’époque étant beaucoup trop optimistes. Il y avait certes les plaintes des riverains concernant le bruit des avions, mais ces mêmes résidents allaient militer pour le maintien de leur aéroport 15 ans plus tard.

On a choisi le mauvais site, celui qui faisait consensus sans faire l’unanimité : il n’était pas le premier choix de Québec (qui favorisait Drummondville), ni celui d’Ottawa (qui préférait Vaudreuil). Ce dernier aurait été préférable et plus acceptable pour de nombreux voyageurs et des intervenants comme Air Canada. Mais la politique en a décidé autrement.

On n’a pas suivi le plan original qui consistait à compenser l’éloignement relatif de Mirabel en le connectant avec des autoroutes et, surtout, avec un train rapide vers le centre-ville de Montréal.

Par la suite, tout en construisant Mirabel, des fonctionnaires fédéraux négociaient des accords bilatéraux permettant aux transporteurs européens de « survoler » Montréal vers leurs destinations finales. Cela mettait fin au statut de la métropole québécoise comme porte d’entrée obligatoire pour ces vols en provenance d’Europe. Cette décision était certes le résultat de pressions légitimes des Européens, mais elle a néanmoins contribué au déclin relatif de Montréal comme aéroport de correspondance.

L’erreur suivante a été de ne pas suivre le plan initial qui prévoyait de déménager tous les vols de Dorval vers Mirabel (sauf quelques uns de courte distance) en 1982. Un tel déménagement n’était plus souhaité par les citoyens de Dorval et la situation économique liée à la récession de l’époque rendait un tel transfert difficile à justifier. Un autre choix politique.

La fin de Mirabel

On se retrouve alors avec deux aéroports et tous les inconvénients qui en découlent. Montréal perd à peu près tout le trafic de correspondance des passagers internationaux, et c’est Toronto qui hérite du statut de plaque tournante que lui confère Air Canada.

En 1992, le gouvernement canadien confie la gestion des aéroports à la société Aéroports de Montréal. Celle-ci décide en 1996 de rapatrier tous les vols réguliers internationaux de Mirabel vers Dorval, ce qui correspond à l’abandon de Mirabel en 2004, avec le transfert des vols passagers restants. Et pourtant, ADM avait proclamé le statu quo dès le départ, en 1993.

Amoncellement de résidus de contruction, avec un travailleur et de la machinerie en arrière-plan
Des équipes de travail démolissent le stationnement et l’aérogare de l’aéroport de Mirabel, le 20 novembre 2014. La Presse canadienne/Paul Chiasson

C’est également en 1993 que j’ai dirigé une étude approfondie sur la question des deux aéroports de Montréal. J’ai conclu qu’il n’était pas souhaitable du point de vue économique de consolider les vols à l’un ou l’autre des deux aéroports à court terme, mais qu’il faudrait connecter Mirabel avec un lien ferroviaire et y concentrer tous les vols à plus long terme. Il était le seul à pouvoir se développer sans contrainte de capacité et d’impact environnemental.

C’était d’ailleurs le choix de tous les transporteurs aériens européens desservant Montréal à l’époque.

Les conséquences de la décision d’ADM de ramener les vols internationaux de Mirabel à Dorval ont été néfastes. Dans un premier temps, entre 1997 et 2009, la croissance observée à Dorval a été plutôt modeste, et plusieurs voix se sont élevées pour critiquer la lenteur des travaux et de la reprise des activités à l’aéroport de Montréal-Trudeau. On a dépensé beaucoup pour peu de résultats.

À partir de 2009, c’est le contraire. Le trafic augmente et on s’approche dangereusement de la capacité de l’aérogare, du débarcadère et des voies de circulation. D’où l’annonce d’un projet de 2,5 milliards de dollars en 2018, réévalué à 3 milliards en 2023. Or, ADM a accumulé des dettes de 2,9 milliards en finançant les travaux requis et ce, malgré les 2,5 milliards de frais d’amélioration aéroportuaires (FAA) perçus des voyageurs depuis 1998 !

Des gens marchent avec des valises sur le côté d’une route congestionnée de voitures
La congestion routière à Montréal-Trudeau force des voyageurs à marcher sur la voie d’accès afin de prendre leur vol, le 7 septembre 2023. La Presse canadienne/Christinne Muschi

Quelques pistes de solutions

Il y aurait d’abord lieu de renégocier le bail signé en 1992 avec le propriétaire des lieux, soit le gouvernement fédéral.

Les aéroports canadiens sont des biens publics et des quasi-monopoles. Il conviendrait donc de les assujettir à des mécanismes de réglementation et de contrôle qui, de l’avis de plusieurs, sont déficients depuis plusieurs années déjà. Un tel mécanisme pourrait prendre la forme d’un organisme de surveillance qui se pencherait sur le bien-fondé des grands projets proposés par les autorités aéroportuaires, comme ADM, afin d’obtenir l’appui financier du gouvernement fédéral. Il exercerait également un certain contrôle sur les hausses de tarifs, comme les FAA.

Ensuite, il serait sans doute utile de revoir le plan directeur actuel qui date de 2013, car beaucoup d’événements se sont produits depuis 10 ans. En fait, il serait sage de revoir la situation tous les cinq ans afin de planifier comment faire face à des phénomènes de congestion qui vont aller en s’accélérant au fur et à mesure qu’on s’approchera de la capacité des infrastructures, incluant celle des pistes. On devra alors mettre en place des plans et stratégies incluant le déplacement de certaines activités vers d’autres aéroports.

Ces suggestions reposent sur un nouveau modèle de gouvernance où le gouvernement fédéral reprend en partie ses droits et obligations, tout en accordant une marge de manœuvre suffisante à ADM et aux autres administrations locales afin d’assurer le développement économique lié à la mission des aéroports.

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