Menu Close
Un homme se prend en photo, avec une annonce derrière
Un homme se prend en photo sur la corniche de Doha, capitale du Qatar, le 11 novembre 2022. Les multiples scandales dans l'organisation de l'événement vont ternir la réputation du pays hôte. (AP Photo/Hassan Ammar)

Le boycott de la Coupe du monde aura ses limites, mais le Qatar ne s’en sortira pas indemne

Après 36 ans d’attente, l’équipe masculine canadienne de soccer va participer pour la deuxième fois de son histoire à la Coupe du monde 2022 qui se déroulera au Qatar. La compétition commence le 20 novembre et se conclut le 18 décembre prochain.

L’événement, d’envergure planétaire, qui suscite ferveur et passion, est malencontreusement entaché par la nomination comme pays hôte du Qatar, jugé liberticide et discriminatoire par Amnesty International, et par les préparatifs de la compétition.

Je suis passionné par le soccer (le football) depuis de nombreuses années. J’ai vécu de grands moments individuels et collectifs lors des Coupes du monde précédentes. Or, celle-ci au Qatar me laisse perplexe. Je m’interroge sur le boycott ou non de la présente édition, à titre d’amateur et de sociologue.

En adoptant une sociologie de l’engagement, je souhaite ainsi décortiquer les principaux scandales qui ont secoué le monde sportif, associatif et politique depuis cette nomination, et les limites des appels au boycott qu’on entend depuis.

Des activistes protestent contre la tenue de la Coupe du monde et appellent au boycott de l’événement lors d’une manifestation devant l’ambassade du Qatar à Paris, le 15 novembre 2022. Les manifestants ont rendu hommage aux travailleurs migrants qui sont morts pendant les travaux de construction. (AP Photo/Francois Mori)

Scandale sportif et politique

Depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, en décembre 2010, il existe des soupçons de corruption. L’émirat gazier aurait acheté la prestigieuse compétition. Son dossier technique était le moins bon de tous les candidats.

Plusieurs enquêtes de la part des autorités américaines, suisses et françaises corroborent la présence de pot-de-vin.

Cela s’ajoute à la longue liste de scandales touchant la gouvernance de la FIFA depuis des décennies.

Scandale des conditions de travail

En 2021, le quotidien britannique The Guardian a publié les résultats d’un rapport sur les conditions de travail des travailleurs migrants (majoritairement en provenance du Népal et du Bengladesh). Pour la période de 2011 à 2020, près de 6 750 de ces travailleurs étrangers seraient morts lors des travaux des infrastructures qatariennes (il a fallu construire une dizaine de stades).

Des travailleurs s’affairent aux derniers préparatifs en vue de la Coupe du monde, à Doha, le 12 novembre 2022. Des milliers d’entre eux seraient morts pendant les travaux de construction. Le Qatar nie les abus. (AP Photo/Hassan Ammar)

Les conditions de travail ont maintes fois été dénoncées par les médias et les organisations non gouvernementales (ONG), telles que Human Rights Watch et Amnesty International. Outre l’extrême chaleur et la rémunération aléatoire, une majorité de travailleurs se sont vu leur passeport confisqué.

Scandale des droits de la personne

Outre la discrimination envers les femmes, le Qatar « réprime les droits des personnes LGBT et punit les relations sexuelles entre personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. »

Le Qatar a garanti que les personnes LGBT+ ne seront pas discriminées, mais Human Rights Watch a récemment « documenté six cas de passage à tabac sévères et répétés et cinq cas de harcèlement sexuel en garde à vue entre 2019 et 2022 » envers des personnes LGBT+.

Par ailleurs, l’ancien footballeur international qatari et ambassadeur de la Coupe du monde 2022, Khalid Salman, a qualifié il y a quelques jours l’homosexualité de « dommage mental ».

Scandale environnemental

La compétition se déroulera au milieu du désert et, pour une première fois de son histoire, la Coupe du monde aura lieu en hiver. Malgré cette mesure pour atténuer les conséquences des chaleurs extrêmes du pays, les stades seront climatisés. Ajoutons que plus de 150 trajets quotidiens en avion sont prévus pour déplacer les supporters vers les stades.

Le stade Khalifa International, à Doha, au Qatar, le 15 octobre 2022. Comme les autres stades neufs qui accueilleront les compétitions, il sera climatisé durant la durée du tournoi, une ‘aberration écologique ». (AP Photo/Nariman El-Mofty)

Pour les défenseurs de l’environnement, cette compétition est l’une des plus grandes aberrations écologiques de l’histoire de la Coupe du monde.

Regarder ou pas la Coupe du monde ?

À quelques jours du début de la compétition, une question éthique ou morale s’impose aux amateurs : faut-il ou non regarder la Coupe du monde de football au Qatar, dans un contexte marqué par les nombreuses aberrations humaines, sociales et écologiques de l’évènement ?

Eric Cantona, ancien footballeur français, a lancé le débat en janvier dernier :

Le Qatar, ce n’est pas un pays de football, c’est seulement une histoire d’argent, et la manière dont ils ont traité les gens qui construisent les stades est une horreur, des milliers de gens sont morts.

D’autres personnalités publiques ou politiques, comme l’ancien président de la République française François Hollande, ont affirmé qu’elles boycotteraient cette compétition. Pour l’écrivain Olivier Guez, « c’est la Coupe du monde du scandale, celle qui illustre toutes les dérives du football. »

Enfin, des médias et des villes, comme Paris, Marseille, Bordeaux ou Lille, ont décidé de boycotter la Coupe du monde pour des raisons morales et économiques. Elles ne diffuseront pas les rencontres sur des écrans géants, comme par le passé.

Une décision qui ne fait pas l’unanimité. Le maire de Dijon, François Rebsamen, qualifie même le boycott de la compétition de démagogique : « curieusement, aucune voix ne s’est élevée en 2018 lors du Mondial en Russie, alors même que l’armée de Poutine avait annexé la Crimée. »

Boycotter la Coupe du monde peut-il vraiment changer la donne ?

Selon les auteures belges Ingrid Nyström et Patricia Vendramin, qui ont écrit Le Boycott, celui-ci « est un cas tout à fait singulier d’articulation des niveaux d’action individuelle et collective ».

Le fait de boycotter un événement sportif représente une action individuelle à portée collective, car la somme des actions individuelles se matérialise dans une action collective.

Individuellement, le boycott est une opportunité citoyenne de manifester son désaccord concernant une situation dont il n’a pas le contrôle (nomination du Qatar) et que les autres voies diplomatiques n’ont pas résolu (les nombreux scandales et l’absence de réponse adéquate des associations membres de la FIFA, des commanditaires et des diffuseurs). Toujours selon les auteurs de Le Boycott, le citoyen « veut agir en son nom propre, en cohérence avec ses valeurs », tout en exerçant un poids économique à une organisation (perte de revenus). Le citoyen veut avant tout consommer un produit qui s’inscrit dans une logique cohérente avec ses valeurs.

Cela dit, le mouvement de boycott risque de ne rien changer au déroulement de la Coupe du monde. Ce mouvement arrive trop tard, selon plusieurs observateurs.

Ainsi, selon Eric Monnin, sociologue du sport, le boycott « n’a aujourd’hui plus beaucoup de sens. Arrêtons de rêver. Il n’y aura pas de boycott significatif parce qu’il y a tellement d’enjeux économiques que, globalement, c’est impossible ! »

En revanche, les nombreux débats sur la pertinence du boycott ou non ont permis de mettre en lumière les enjeux sociaux et environnementaux entourant cette Coupe du monde. Le Qatar a ainsi attiré sur lui des projecteurs qui ont révélé des faits qu’il aurait préféré tenir cachés.

D’ici quelques jours, le partisan de soccer devra décider s’il suivra ou non cette compétition. Il risque de se retrouver coincé entre le désir de vivre des émotions fortes associées à la Coupe du monde tout en voulant être cohérent avec ses valeurs personnelles. Des joueurs ont manifesté leurs malaises. Une question demeure : jusqu’où les partisans, médias, joueurs, fédérations et commanditaires sont-ils prêts à sacrifier leurs valeurs individuelles ou organisationnelles afin de vivre leur passion ?

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now