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Le soldat, la forêt, le climat

Soldat en uniforme français en train de tirer au fusil
Soldat français à l’entraînement en République centrafricaine le 29 septembre 2022. Trois mois plus tard, tous les militaires français avaient quitté le pays. Barbara Debout/AFP

Quelle est aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur nos sociétés ? Quel spectre, pour reprendre le célèbre incipit du Manifeste du parti communiste, hante l’Europe ? Reflet de la complexité de notre époque, les réponses à cette question peuvent être diamétralement opposées. Pour les uns, la guerre en Ukraine impose un agenda sécuritaire : c’est l’effort de défense qui doit être privilégié. Pour les autres, le risque climatique est le vrai sujet : hors la transition énergétique, point de salut.

La récente intervention d’Emmanuel Bonne à l’IFRI, lundi 18 septembre, a de ce point de vue surpris les organisateurs : au lieu d’insister sur les défis géopolitiques, les questions militaires et de sécurité, de parler de la reprise du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, de la contre-offensive ukrainienne, des ambitions de la Chine sur Taïwan ou encore de la remise en question de la politique française au Sahel, le conseiller diplomatique du président Macron (et sherpa du G7/G20) a consacré la quasi-totalité de son intervention aux enjeux climatiques.

Des partenariats autour de l’environnement

Revenant du G20 de Delhi, et peut-être soucieux de valoriser l’action de la France dans ce format, il a qualifié la réunion de « succès », alors que de nombreux commentateurs ont vu dans l’absence de condamnation explicite de la guerre en Ukraine un recul par rapport au sommet de Bali (novembre 2022), et un signe de l’effacement de l’influence occidentale. Pour Emmanuel Bonne, le G20 avait au contraire permis de sauver l’essentiel, à savoir maintenir le consensus avec les pays du Sud, représentants de la plus grande partie de l’humanité, en vue de la prochaine COP28 de Dubaï (du 30 novembre au 12 décembre 2023).

La France, qu’il a présentée comme une « puissance partenariale » (après que le président Macron a parlé, lui, de « puissance d’équilibres », avec un « s » final très discuté), a selon lui joué un rôle majeur dans ce consensus à travers sa diplomatie des sommets : participation au sommet UE-Union africaine (février 2022) à Bruxelles, co-organisation du One Forest Summit au Gabon (mars 2023), nation hôte du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris (juin 2023). La logique serait de lier développement et écologie à travers le Pacte de Paris pour la planète et les populations (4P).

Concrètement, la négociation porte sur la mise en œuvre des objectifs du développement durable fixés par l’ONU et qui doivent être atteints en 2030, mais également, et surtout, l’application de l’Accord de Paris de 2015 visant à endiguer le changement climatique.

Parmi les outils utilisés, la discussion avec le Global South débouche sur la signature d’accords, les JETP (Just Energy Transition Partnership), par lesquels les pays du Nord financent la transition énergétique des pays du Sud et la protection de leur environnement. L’un a été signé avec l’Afrique du Sud (8,5 milliards de dollars) pour qu’elle réduise la dépendance, à 85 %, de son électricité au charbon), un autre avec le Sénégal (2,5 milliards de dollars).

Une convergence entre action militaire et protection de l’environnement ?

Est-ce à dire que, dans le débat mondial sur les menaces prioritaires, la France a choisi son camp, donnant la priorité à l’écologie au détriment de la défense ?

En réalité, dans la logique du « en même temps » chère à Emmanuel Macron, on pourrait argumenter que les deux sont intimement liés. Que le soldat n’est pas si loin du climat. Bien sûr, on connaît les liens qui existent entre le fait militaire et l’environnement. L’école française de géographie est née des observations cartographiques d’officiers au lendemain de la défaite de 1870.

Pas d’opérations armées sans une connaissance étroite du terrain, de la géographie et du climat. La prise en compte des enjeux climatiques est aujourd’hui une réalité, qu’il s’agisse de la déstabilisation de certaines zones (stress hydrique au Sahel), de l’effort de sécurité civile sur le territoire national, de la recherche d’une plus grande sobriété énergétique des infrastructures et des équipements (source d’économies), ou encore de la protection de la biodiversité dans des camps d’entraînement possédant de vastes espaces naturels (le ministère des Armées est le premier propriétaire foncier de l’État).

Mais, dans le « Grand Jeu » mondial de lutte contre le changement climatique, la contribution écologique des appareils de défense est avant tout partenariale. Ainsi la France, puissance d’influence dans les questions environnementales, rejoint la France puissance militaire, membre permanent du Conseil de sécurité. Outre son action en Guyane, l’armée française est en effet présente dans des pays qui sont au cœur du défi climatique et visés par les JETP (Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, Tchad). Le Gabon en particulier possède une vaste forêt (88 % de son territoire) qui est un puits de carbone mondial (deuxième forêt tropicale, « poumon de la Terre », après l’Amazonie).

Depuis les coups d’État qui ont déstabilisé le Mali, le Burkina Faso puis le Niger, une réflexion est engagée sur le devenir de notre présence africaine. Faut-il conserver nos bases de Dakar, d’Abidjan, de Libreville, de N’Djamena ou de Djibouti ? En 2007 déjà, sous le mandat du président Sarkozy, l’idée de fermer certaines d’entre elles (presque toutes sauf Djibouti) avait germé, mais la crise ivoirienne, avec le déploiement de l’opération Licorne, a finalement maintenu l’existant avant que l’émergence du risque djihadiste au Sahel ne relance le cycle des interventions (opération Serval en 2013, Barkhane en 2014).

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Aujourd’hui, alors que ces interventions touchent à leur fin et qu’une réflexion existe sur l’avenir de nos déploiements militaires, c’est peut-être l’enjeu climatique qu’il faut considérer avant toute évolution de notre dispositif. Les armées françaises, à travers leurs emprises permanentes, offrent aux États africains une vaste palette de coopération. Parmi ces partenariats avec les États du Sud (sous forme de formations, de dons de matériels, de patrouilles communes), l’un consiste à aider le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Gabon à mieux contrôler leur espace naturel, en particulier les zones forestières.

L’enjeu de la protection des forêts

Or, l’enjeu est considérable car l’un des défis à relever pour ralentir le changement en cours consiste à protéger les vastes puits de carbone du Sud. Alors que, du fait de la déforestation, les forêts d’Asie du Sud-Est émettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent, que l’Amazonie est soumise à une forte pression agricole (un peu atténuée depuis le retour aux affaires de Lula), les forêts d’Afrique centrale permettent l’absorption d’une grande quantité de carbone (le stock serait équivalent à six ans d’émissions de GES).

On voit toute l’importance d’une meilleure lutte contre la déforestation et le braconnage, permettant à la fois l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris et la protection de la biodiversité (le Gabon possède encore 60 % des éléphants africains, même si leur population se réduit rapidement). Or, peu formées, mal équipées, les forces africaines peinent à combattre les réseaux criminels, souvent tournés vers le marché asiatique. En 2011, Libreville avait ainsi créé une « brigade de la jungle » pour surveiller ses 13 parcs nationaux.

L’appui fourni par les forces françaises, respectueux des souverainetés, est en outre différent de celui prêté par le secteur privé, qui joue un rôle majeur dans le financement de la protection des parcs naturels (paiement des éco-gardes), non sans susciter de vives controverses. Guillaume Blanc, dans L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain (2020) a précisément pointé du doigt cette privatisation de cette protection de l’environnement par des grandes associations du Nord comme le WWF.


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Il peut donc paraître paradoxal de vouloir faire évoluer notre empreinte africaine au moment où les enjeux climatiques n’ont jamais été aussi forts. Sans doute la « guerre contre le terrorisme » n’a pas emporté le succès attendu. Le départ des troupes françaises ne fait d’ailleurs pas disparaître le risque djihadiste, désormais sous-traité par certains États africains aux mercenaires de Wagner. Mais il est douteux que ces derniers deviennent partenaires des États du Sud dans la protection de l’environnement.

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