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Le travail des enfants en Europe : ne pas se voiler la face et relever le défi

Marianne Thyssen commissaire européenne à l'emploi, aux affaires sociales et au travail, lors d'une conférence de presse le 13 mai 2015 à Bruxelles. EMMANUEL DUNAND / AFP

Il est désormais indéniable qu'un grand nombre d'enfants - toute personne de moins de 18 ans selon la Convention relative aux Droits de l'Enfant des Nations Unies - travaillent en Europe. Bien qu'il n'y ait pas de données fiables à 100% sur ce sujet, il pourrait y avoir au moins 7,5 millions d'enfants qui travaillent pour un salaire, un avantage en nature ou un revenu familial sur le continent européen.

La crise socio-économique que l'Europe a traversé depuis 2008 a rendu ce problème encore plus grave: syndicats et médias, s'appuyant sur des sources UNICEF, ont largement communiqué sur le nombre croissant d'enfants qui abandonnent l'école trop tôt et travaillent comme aides à la maison, travailleurs du sexe, travailleurs agricoles, assistants d'atelier pour des travaux pénibles, et petites mains pour des mafias locales (comme mendiants, prostitués ou trafiquants de drogue). Le Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, a souligné que les mesures d'austérité mises en oeuvre dans plusieurs pays européens ont eu un impact direct sur le travail des enfants, en particulier dans les professions pénibles ou dangereuses, dans l'agriculture et le BTP. À noter que même lorsque les plus jeunes travaillent légalement, il peuvent être victimes d'accidents graves ou mortels.

Au-delà du débat abolition contre réglementation

Les enfants peuvent-ils/doivent-ils ou non travailler? Le débat fait rage depuis longtemps et s'alimente de nombreux facteurs. Traditionnellement, les discussions se sont polarisées entre « abolitionnistes » / « welfaristes » et « réglementaristes » / « autonomistes ». Les « abolitionnistes » et « welfaristes » prônent l'interdiction pure et simple, surtout lorsque le travail peut être préjudiciable au développement psycho-physique, à la promotion de l'éducation des enfants et à leur développement socio-culturel. D'autre part, les « réglementaristes » et « autonomistes » défendent l'idée d'une régulation (par opposition à l'interdiction) du travail des enfants et la mise à disposition d'un large choix de travaux pour les enfants, si ceux-ci veulent être socialement et économiquement indépendants et/ou contribuer aux revenus et au bien-être de leurs familles.

Mais de quel travail parle-t-on ? L'Organisation internationale du Travail parle de permettre aux adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et mental (OIT C138). Par construction, si certaines formes de travail permettent aux adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et mental, elles devaient être légales. Lorsque les jeunes possèdent suffisamment de savoir-faire et de compétences pour mener à bien un travail particulier, dans un environnement sécurisé et sous la supervision d'un employeur reconnu, l'emploi peut être acceptable, et donc être considéré comme « travail des enfants » sans autre jugement. Lorsque, compte tenu de la quantité ou de la nature du travail, il nuit au développement psychologique ou physique de l'enfant, il devient alors inacceptable. La clé est donc de déterminer à partir de quelle limite le travail devient préjudiciable au développement psycho-physique de l'enfant. La limite précise entre les deux sera toujours controversée, même au sein de l'Europe (et a fortiori à l'échelle mondiale).

Les décideurs européens interpellés

Je suis convaincu que les décideurs politiques doivent être très déterminés et pro-actifs sur cette question. Sur la base des travaux de la Commission européenne et de l'OIT dans ce domaine, il a été reconnu depuis longtemps que si les enfants investissent dans leur éducation au lieu de travailler, ils tirent des avantages substantiels de cet investissement à tous les niveaux. Et cela profite également à la société dans son ensemble, bien que cela ne doit pas être l'objectif principal d'une politique encadrant de travail des enfants, mais simplement un effet secondaire positif. Le seul critère de l'élaboration de politiques restrictives dans ce domaine devrait être les droits et le bien-être des enfants.

L'Europe dispose suffisamment de ressources - à condition que la volonté politique soit là - pour assurer que tous les enfants puissent se concentrer sur leurs études, et n'aient pas besoin de travailler pour soulager leurs familles ou survivre eux-mêmes. Si l'on veut absolument que le plus jeunes soient “employables” le plus tôt possible, donnons leur des opportunités de se former par l'apprentissage ou des stages encadrés; cela leur sera infiniment plus utile que les « boulots » non qualifiés et mal payés dans lequel se retrouvent la plupart des enfants qui travaillent.

On peut critiquer cette position en disant qu'elle limite l'autonomie des enfants et leur droit à la participation. Mais la liberté de travail des adultes est elle-même encadrée et régulée, pour des raisons légitimes, à travers les règles de l'UE sur le temps de travail et les salariées enceintes par exemple. Il n'y a donc aucune raison pour que « l'autonomie » des enfants ne soit pas encadrée, dans leurs propres intérêts - une exigence reconnue par l'article 3 de la Convention relative aux Droits de l'Enfant des Nations Unies.

L'Union européenne - et ses États membres - doivent agir

L'UE peut jouer un rôle clé dans la la lutte contre les conséquences négatives du travail des enfants. La directive relative aux jeunes au travail, instrument clé de l'UE sur le sujet, doit être modifiée afin d'être au niveau des normes fixées par les conventions de l'Organisation internationale du Travail, la Convention relative aux Droits de l'Enfant des Nations Unies et la Charte des droits fondamentaux de l'UE.

En outre, il existe des pistes claires d'amélioration de la directive, en particulier dans quatre domaines : - le champ d'application de la directive: elle doit s'appliquer à tous les travaux, et non pas au seul emploi dans un cadre formalisé; - les seuils d'âge fixées: l'âge minimum d'emploi général devrait être porté de 15 ans à 16 ans, à tout le moins; - la façon dont les notions sont définies: «travaux dangereux» et «travaux légers» devrait être plus clairement défini; - l'application de la directive: les États membres devraient être tenus de recueillir des données vérifiées et mettre en œuvre des règles par le biais des procédures d'inspection rigoureuses, alors que les services de l'inspection du travail sont bien souvent déficients quand il s'agit du travail des enfants.

Ces modifications permettraient de réduire les lacunes et de rendre les dispositions de la directive relative à la protection des jeunes au travail légitimement plus strictes. L'UE peut faire tout cela sur la base de ses compétences sur l'emploi (article 153 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne), mais elle ne peut pas fournir elle-même les systèmes d'éducation et de protection sociale garantissant aux enfants les possibilités d'éducation et de sécurité sociale suffisants pour qu'ils n'aient pas besoin de travailler. Ce sont les États membres de l'UE qui doivent s'assurer que les systèmes éducatifs et sociaux appropriés sont en place. Et cela ne peut se faire que si les politiques budgétaires nationales ne sont pas uniquement une liste de mesures d'austérité drastiques et autres choix néo-libéraux.

C'est en suivant ces recommandations, que nous pourrons commencer à libérer les enfants de l'engrenage des petits boulots à faibles qualifications et faibles revenus.

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