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chien attrape une balle multicolore
Contrairement à l'humain, les yeux des chiens sont situés plutôt sur le côté du crâne. Ils possèdent donc un champ visuel plus étendu. (Shutterstock)

Les chiens ne voient pas la vie en rose. Ni en noir et blanc

Samuel est un jeune patient de 6 ans que je traite depuis quelques mois pour une myopie qui débute. C’est un garçon très éveillé pour son âge. Il me pose souvent des questions sur les tests, sur ce que je vois dans son œil.

Mais la dernière m’a plutôt surpris.

Il sait que certaines personnes ne voient pas bien les couleurs, comme son père. Mais qu’en est-il pour son petit caniche, Scotch ?

Je ne suis pas vétérinaire et ne veux pas empiéter sur leurs compétences. Mais comme optométriste, j’ai peut-être en poche quelques éléments qui peuvent répondre à la question de Samuel.

Des cônes et des bâtonnets

La lumière ambiante est composée de particules (photons), qui s’alignent en rayons. Les rayons de lumière voyagent et frappent les objets. Certains rayons sont absorbés, et d’autres sont réfléchis selon les caractéristiques de leurs surfaces et de la composition de leur matière. Les longueurs d’onde des rayons réfléchis déterminent la couleur de l’objet perçue par l’œil.

Comme tout ce qui touche la vision chez l’humain, la perception de cette couleur est complexe. La rétine, partie sensible qui tapisse le fond de l’œil, contient deux types de récepteurs aux photons : les cônes et les bâtonnets. Les cônes, au centre de la rétine (fovéa), perçoivent la lumière vive et sont donc responsables de la perception des couleurs.

Il existe trois types de cônes. Chaque type contient un photo-pigment en particulier, nommé opsine, qui en définit donc la nature. Cette opsine est produite sous l’influence de certains gènes spécifiques. L’opsine la plus courte (« Cône S » pour short) réagit surtout lorsque la lumière bleue (420 nm) est présente. Celle la plus longue (« Cône L ») est davantage sensible au rouge orangé (560 nm), et celle entre les deux (« Cône M », pour middle) s’actionne en présence du vert (530 nm).

Ceci étant dit, chaque cône réagit à chacun des rayons qui entrent dans l’œil. Par exemple, une balle rouge entraînera une réponse faible du cône S (3/10), un peu plus marquée du cône M (5/10) et une grande réaction du cône L (8/10).

Le cerveau recombine les signaux émis par chacun de ces cônes afin de former la couleur à percevoir. Ainsi, dans l’exemple précédent, la couleur perçue aurait le code 3-5-8, qui correspond à ce que la personne sait être le rouge. Un rose aurait peut-être un code 4-6-6, et un bleu 8-6-3. Chacune de ces combinaisons de 3 signaux des cônes est donc unique et permet d’apprécier toutes les teintes et leurs variations.

Du moins, tant que le code génétique est intact.

Les gènes associés à la vision des couleurs peuvent être mutés ou défectueux : la personne présentera alors une déficience, partielle ou complète. Plusieurs anomalies de ce type existent, la plus connue étant le daltonisme (déficience rouge-vert).

perception d’une plante selon une personne daltonienne
Le daltonisme est associé à une difficulté à percevoir le rouge et le vert. (Shutterstock)

Et les animaux, dans tout ça ?

La vision des couleurs, chez l’humain comme chez les animaux, s’est développée par évolution. Elle résulte donc des besoins de chaque espèce selon l’environnement dans lequel elle vit, en fonction des proies à chasser ou des menaces à éviter.

Par exemple, les oiseaux possèdent une 4e opsine qui leur permet de voir la lumière ultra-violette (UV). De son côté, l’humain ne peut la percevoir, car notre cristallin (lentille interne) filtre les rayons UV. Les rayons UV influencent les décisions comportementales des oiseaux, notamment pour la recherche de nourriture et le choix du partenaire.

La vision des couleurs des oiseaux est donc davantage complexe. À ce titre, le pigeon, qui peut percevoir une myriade de couleurs, est celui qui remporte la palme de toutes les espèces !

Les insectes perçoivent également les UV. Cette fonction leur est essentielle au repérage du pollen, bien que leur vision des couleurs soit très modeste. Leurs yeux sont composés de multiples lentilles (ommatidies) qui perçoivent davantage les mouvements que la couleur Plus pratique en plein vol rapide !

La plupart des mammifères qui vivent en forêt n’ont que deux opsines. Ils ont perdu, au cours de l’évolution, celle qui est associée au rouge orangé. C’est ce qui explique qu’ils ne perçoivent pas les dossards oranges des chasseurs, contrairement à nous.

Les serpents sont quant à eux plus sensibles au rouge et à l’infrarouge, grâce à des récepteurs thermiques. Un avantage pour repérer les proies à chasser, car ils peuvent distinguer leur chaleur même la nuit.

Sans surprise, c’est le singe qui se rapproche le plus de l’humain, avec ses trois opsines. On dit qu’il est trichromate.

gros plan sur les yeux d’un chien noir
Les chiens ne perçoivent que le vert jaune et le bleu violet. Les couleurs sont perçues plus pâles, comme des pastels. (Shutterstock)

Revenons à Scotch

La vision des chiens – et donc celle de Scotch – est bien différente.

Contrairement à l’humain, leurs yeux sont situés plutôt sur le côté du crâne. Conséquence : le chien possède un champ visuel plus étendu (250 à 280 degrés), mais moins de vision simultanée.

Sa vision des mouvements est bien développée dans tout son champ visuel. Mais sa vision centrale est bien plus faible que la nôtre, soit six fois moins bonne. C’est l’équivalent de la vision d’une personne très myope, sans lunettes. Pourquoi ? Parce que la rétine du chien ne contient pas de fovéa, et donc moins de cônes.

Moins de cônes, mais plus de bâtonnets. Et en prime, une couche supplémentaire de la rétine, le tapetum lucidum – ou tapis. Tous ces ingrédients combinés le font mieux voir en pénombre et la nuit. Cette couche reçoit la lumière et la réfléchit à nouveau sur la rétine pour une 2e exposition. C’est ce qui explique que vous avez l’impression que les yeux de votre chien brillent la nuit.

Pour ce qui est des couleurs, les chiens sont dichromates. Ils ne perçoivent que le vert jaune et le bleu violet. Les couleurs sont perçues plus pâles, comme des pastels. Et certaines couleurs ne font pas de contraste : c’est pourquoi une balle rouge sur un gazon vert leur apparaîtra comme jaune pâle sur fond gris, avec peu de contraste.

Il est donc possible, selon la couleur de la balle, que Scotch ne la voie pas… et qu’il regarde Samuel d’un air perdu. Pour ce qui est de l’infrarouge, il perçoit la chaleur par son nez, et non par ses yeux.

Les chats, quant à eux, sont également dichromates. Leur vision est donc semblable, mais leur palette de couleur est différente – elle est orientée vers le violet et le vert. Aucune perception du rouge-vert, ils sont donc daltoniens ! Leur vision claire se limite à quelques mètres devant eux. Ils sont très myopes eux aussi.

Leur évolution a fait que leurs autres sens compensent. Entre autres, bien qu’ils ne perçoivent que certains contrastes, ils sont redoutables à percevoir le mouvement. Une souris, ça bouge vite !

Toute espèce s’adapte à son milieu et les humains ne font pas exception. Qui sait quelle sera notre vision des couleurs dans 500 ans, après avoir été exposés à de plus en plus d’appareils électroniques et de couleurs artificielles ?

À Samuel d’y répondre, lorsqu’il sera plus grand !

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