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Les orientations sexuelles en Afrique, un concept à géométrie variable

Parade en Afrique du Sud, un des pays du continent qui ne répriment pas les homosexuels. Diricia De Wet/Wikimedia, CC BY-SA

Le 13 janvier 2014 l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, signait un arrêté contre l’homosexualité ; en Ouganda, où le décret antihomosexualité mijotait depuis 2009, le Président au pouvoir depuis 1986, Yoweri Museveni, hésitait quant au sort de cet « individu anormal » que serait l’homosexuel : « est-ce qu’on le tue ? ou est-ce qu’on l’emprisonne ? » C’est l’emprisonnement à vie qui a finalement été retenu lors de la promulgation de la loi le 24 février 2014.

Museveni n’est pas le seul à chercher le moyen de réprimer les coupables de dissidence sexuelle. Dans la foulée du procès pour « sodomie » du premier président du Zimbabwe, Canaan Banana, son successeur Robert Mugabe avait, lors de sa campagne présidentielle en 2002, décrit les « homosexuels » comme étant des « fous à lier ». « Nous ne voulons pas importer ce fléau [l’homosexualité] dans notre pays », a-t-il poursuivi, « nous avons notre propre culture, notre propre peuple ».

Au moins 76 pays membres des Nations unies sont régis par des lois qui criminalisent les relations de même sexe ; quelque 37 États-nations africains, ainsi que des pays du Moyen-Orient, en constituent la majorité. Pour les homosexuels, la sortie de l’anonymat en Afrique est donc une démarche périlleuse.

Criminalisation et mépris

L’homosexualité – un terme à la définition floue, issu du registre médical du XIXe siècle européen finissant – est encore considérée comme étant intrinsèquement « non-africaine ». Lorsque l’Église d’Angleterre s’engagea dans une tentative de réforme sur l’homosexualité en 1998, la Communion anglicane s’y opposa fermement, à l’exception de l’évêché sud-africain.

L’Église en Afrique, surtout sa branche évangéliste, affiche un net mépris envers l’homosexualité qu’elle considère comme une abomination contre Dieu. Roger Ross Williams, le premier réalisateur afro-américain à recevoir l’Oscar du meilleur court métrage documentaire, a, à l’occasion de son deuxième film, God Loves Uganda, émis l’avis selon lequel les missionnaires africains étaient coupables de sermons incendiaires contre les relations de même sexe dans un pays comme l’Ouganda qui est pourtant un des premiers consommateurs de pornographie gay au monde.

L’homosexualité est souvent dépeinte en Afrique comme une importation de l’Occident perverti. Mais le continent africain a toujours été un des berceaux de la diversité de genre et ceci, bien avant la colonisation. Il est dès lors étonnant de constater qu’homosexualité et cultures africaines continuent d’être conçues comme s’excluant mutuellement. De plus, beaucoup de sexualités africaines tombent en dehors du champ d’application de la loi, et même du langage.

Les « pédés » en Ouganda pourraient être « lesbiens mâles » au Nigeria – ou pas. AP

Bien que les pratiques homosexuelles existent partout sur le continent africain, c’est la revendication d’une identité homosexuelle qui est frappée d’interdit et la notion même de « sexe » reste un angle mort. Comme l’a démontré le chercheur Marc Epprecht, les hommes africains qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes, ou les femmes africaines avec d’autres femmes ne se considèrent pas comme relevant de la catégorie gay, homosexuelle, ou bisexuelle. Ces personnes font rarement partie d’organisations de type LGBT et, si elles tombent malades, ne sont pas comptabilisées dans la littérature médicale autour du VIH et du SIDA. En Afrique, comme en Amérique Latine, et d’autres parties du monde, il existe une tension entre l’identité homosexuelle et la pratique sexuelle avec quelqu’un de même sexe.

Dans de nombreux cas récents de jurisprudence et d’argumentaires autour du désir homosexuel en Afrique et dans le monde arabe, nous observons une résistance à l’occidentalisation. « Gay » et « lesbienne », termes qui rappellent les luttes de libération sexuelle dans les pays occidentaux, et, plus récemment, le mot « queer », notamment popularisés par un courant de pensée universitaire, sont le signe d’un certain degré de mondialisation de l’identité sexuelle.

Or, ces mots, importés en Afrique par le truchement des langues européennes coloniales, se heurtent souvent à des désignations et pratiques locales. Par exemple, en Afrique du Sud, un homme ayant le rôle actif dans un rapport sexuel avec un autre homme sera appelé « straight » et n’est donc pas perçu comme « gay » puisqu’il pénètre son partenaire.

« Lesbiens mâles »

L’expression « lesbiens mâles » est un essai de traduction d’une notion en langue haoussa dans le nord du Nigéria pour désigner des partenaires masculins « passifs » : yan kifi ; dans la culture damara en Namibie, « l’homme lesbien » est une traduction de « gouine » active, soit une « hommasse » ayant des rapports sexuels avec sa « femme ». A Kampala en Ouganda, où les clauses 140 et 141 du Code pénal condamnent l’homosexualité, des femmes ougandaises se disent être des « tommy-boys » ou garçons manqués, c’est-à-dire des femmes, biologiquement parlant, qui se perçoivent comme étant des hommes (plutôt que des lesbiennes) : elles sont des partenaires dominants dans les rapports sexuels avec leurs partenaires féminins et elles se font aisément passer pour hommes.

Beaucoup d’hommes africains gays se réclament de croyances animistes et de cultes spirituels de possession. Par exemple, un homme gay shona au Zimbabwe prétendra être habité par son « auntie » ou tante. Dans son autobiographie Black Bull, Ancestors and Me, écrit une décennie après la nouvelle constitution sud-africaine post-Apartheid de 1996 (et sa très célèbre clause contre la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle), l’auteure Nkunzi Zandile Nkabinde évoque son parcours de lesbienne et de sangoma ou guérisseuse traditionnelle zouloue ; « femme mâle, » Nkabinde est « possédée » par un ancêtre masculin dominant, le Taureau noir du titre. La relation qu’elle entretient avec son « ancestral wife » (épouse ancestrale) est en parfaite adéquation avec les cultes zoulous de possession.

Mais les deux partenaires ne partagent pas la même identité de genre. Ces épouses ancestrales sont aux femmes mâles ce que les « dees » (de la dernière syllabe de « ladies ») sont à leurs « toms » en Thaïlande. Les « toms » thaïlandais sont des femmes au sens biologique « capables » (« khlong-tua » en thaï) de rapports sexuels avec leurs « dees » et leur offrent protection sans que cette relation soit pour autant perçue comme étant lesbienne. Même si Nkabinde, contrairement au tom thaïlandais, traduit son identité de genre par « tomboy », lesbienne et butch, la dénomination zouloue d’épouse ancestrale ne fait pas partie du vocabulaire mondialisé sur l’homosexualité, et des droits qui leur sont reconnus.

Ce vif débat autour de l’instabilité du genre ne peut être résolu que si les instances africaines évoluent, à l’instar de l’Inde qui a en 2014 reconnu un « troisième genre », transcendant le système binaire occidental de gay/homosexuel par opposition à straight/hétérosexuel. Il s’agit de reconnaître « l’amour qui ne dit pas son nom, » et ceci en plusieurs langues.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation UK.

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