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Salle de l'Assemblée
Dès 1790, l'Assemblée nationale constituante va accueillir des débats très modernes sur l'assistance dues aux personnes âgées. Gallica-BNF

Les questions étonnamment actuelles sur le grand âge lors des débats parlementaires de 1790

Les mesures de prise en charge de la dépendance liée à l’âge sont souvent présentées comme une problématique moderne. À tort. Nous vous proposons de découvrir ici une archive parlementaire de l’Assemblée nationale constituante, première instance démocratique française, datant de 1790, présentant déjà un projet de décret visant à poser l’assistance publique aux vieillards.

Si le document est ancien, il fait étonnamment écho à notre système contemporain. Non seulement il propose des solutions modernes et préfigure notre système de prise en charge de la dépendance, mais il introduit également le débat sur l’utilité sociale de l’assisté et l’obligation de rendre un service à la communauté pour obtenir une aide supérieure.

Débat qui est toujours d’actualité.

Ce texte méconnu nous permet ainsi de prendre du recul sur les échanges actuels en soulignant que ces problématiques (dignité, devoir d’assistance, financement, etc.) se posent en termes identiques depuis plusieurs siècles et avec autant d’acuité…

Quand les procédures écrasent l’humain

Le rapport de la Commission de mendicité a été présenté le 31 août 1790, et avait alors proposition de décret. Dans son Titre III, dédié au secours aux vieillards et aux infirmes, il annonce d’emblée l’universalité du sentiment de respect envers « ceux affaiblis par l’âge », avant de développer :

« [Dans] les secours accordés à la vieillesse, nous n’avons pas cependant du oublier que l’assistance publique perdrait le caractère de la bienfaisance, si elle sortait des règles invariables d’une apparente sévérité, importantes à maintenir dans des secours que la prévoyance de ceux qui y recourent eu pu peut-être leur rendre inutiles, et compatibles cependant avec les douceurs, les soins, les ménagements dus à l’infirmité et à la vieillesse.

C’est pour réunir toutes ces vues que votre comité c’est d’abord occupé d’épargner au vieillard indigent le spectacle déchirant de ses propres infirmités, qu’il voyait, pour ainsi dire, se multiplier sous ses yeux dans les hôpitaux. Vous avez vu dans nos précédents rapports sur ces hospices de l’humanité souffrante, que le pauvre, souvent aigri par le sentiment de sa misère et de ses maux, chagrin de ne se voir entouré que de privations et d’objets dégoûtants, murmure sans cesse contre les administrations et les administrateurs ; que la réflexion ajoute au poids de son infortune, et ne lui laisse d’autre espoir que la mort qui doit y mettre fin. »

Nous y trouvons une critique très moderne de l’assistance faite aux personnes âgées, et notamment de la bureaucratie et de l’aspect procédurier des mesures de prise en charge. Cette critique, portée aujourd’hui par les recherches de sociologues du travail comme Michel Crozier ou Norbert Alter, trouve un écho tout particulier dans les récentes affaires de maltraitance en milieu institutionnel.

Le rapport fait par ailleurs état du fait que les hôpitaux, en raison de l’importance du nombre de leurs agents, ont pour habitude de détourner les secours alloués aux plus démunis : signe d’une prise de conscience précoce de la notion de vulnérabilité… et de la nécessaire mise en place de procédures sociales de compensation de la dépendance.

Le texte se poursuit par une violente indignation plaidant pour l’obligation alimentaire (celle-ci devra attendre le code civil pour renaître). Le comité nous dit :

« Mais nous avons dû nous rappeler, avec un sentiment pénible, qu’il existe, pour la honte de l’humanité, des enfants ou plutôt des monstres à qui la nature semble avoir refusé le doux sentiment de la piété familiale ; des fils ingrats qui, oubliant la faiblesse et les besoins de leurs premiers ans, méconnaissent la main secourable que la tendresse paternelle a tendue à leur enfance. Ce crime contre nature, contre lequel la loi n’a que peu de prise, nous a semblé ne pouvoir être suffisamment puni que par l’opinion publique ; de là cette disposition que nous osons vous présenter et qui prive des droits de citoyen le fils ingrat ou dénaturé, qui, avec les moyens de soigner les vieux jours de celui dont il a reçu la vie, se refuserait à ce devoir sacré ; nous le renvoyons à la réprobation de la société entière. »

Les bases financières de l’assistance à domicile

Le rapport pose les principes de base de l’assistance à domicile, et plus particulièrement son financement.

Il insiste sur les disparités géographiques empêchant, selon lui, de définir un tarif fixe pour l’ensemble du territoire. Un revenu de subsistance est proposé, indexé de la façon suivante :

« Les bases que nous avons adoptées pour fixer les secours à domicile, consistent à prendre dans les différentes parties du royaume, pour maximum de ces secours un prix proportionné aux moyens nécessaires de subsistance, et à les graduer sur la diminution des forces ou l’accroissement des années. Nous avons cru devoir assujettir ces dépenses publiques à des formes multipliées ; et vous reconnaîtrez avec nous, Messieurs, que cette espèce de rigueur indispensable sera une digue puissante que les administrateurs pourront opposer aux demandes importunes et mal fondées de l’insouciance et de l’avidité. »

Une approche qui évoque clairement celle adoptée de nos jours dans l’évaluation des montants d’aides apportés au titre de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Ce rapport introduit par ailleurs la notion de dette sociétale qui entraîne un besoin de réparation par l’assistance de la nation. Il l’exprime en ses termes :

« Nous vous proposons en conséquence d’accorder au faible vieillard, vivant en commun, un traitement en nature, de facile préparation, simple, substantiel, avec une légère rétribution en argent dont il puisse disposer à son gré pour se procurer les douceurs qui lui conviendront. Le caractère de liberté qui distingue ce dernier genre de secours, nous a paru le plus propre à consoler la vieillesse, en acquittant la dette de la société. »

Nous pouvons ainsi retrouver, en plus de l’introduction de la dette, des notions très modernes pour l’époque ayant trait à la liberté des seniors à disposer d’eux-mêmes.

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Le respect de la personne et de sa dignité

La notion de dignité s’avère ainsi être une question qui trouve ses origines dès les premières heures de notre République – et qui n’a, semble-t-il, pas encore trouvé de réponse.

Cette question a dans ce rapport une place importante. Déjà évoquée lorsqu’étaient critiqués « les administrations et administrateurs », elle s’exprime également par la prise en compte d’un besoin souvent oublié : celui du plaisir et de la distraction. La proposition d’allocations financières, certes faibles, doit permettre au vieillard, en plus de la prise en compte de ses besoins vitaux, d’accéder à ce que deux siècles plus tard l’infirmière Virginia Anderson appellera le « besoin de se récréer ou de se réaliser ».

Inquiets de favoriser l’oisiveté et l’absence de prévoyance par une assistance trop généreuse, les auteurs ont ainsi justifié la mesure de la façon suivante :

« Comme il n’est ni dans vos principes, ni dans ceux d’une saine politique, que l’homme imprévoyant ne soit pas aussi bien traité dans sa vieillesse que celui qui s’est ménagé des ressources, nous avons pensé que le traitement, tant en nature qu’en argent, ne devrait être que suffisant, et borné au plus étroit nécessaire. »

Cependant, afin de ne pas infliger un traitement trop strict, et considérant probablement que le vieillard non impotent doit pouvoir jouir de moyens supplémentaires, le rapport préconise que les hôpitaux doivent s’organiser pour permettre à ceux qui le souhaiteraient de réaliser « divers travaux convenables ». Ceci afin que le vieillard bénéficiant d’assistance puisse tirer un revenu complémentaire par son travail.

Le rapport estime que, dans ce travail, l’individu trouvera « un attrait qui lui donne l’espoir d’un meilleur sort sur les bords du tombeau ». Il s’agit par ailleurs, selon lui, « pour la jeunesse, d’un exemple du travail jusqu’au terme le plus avancé de la vie ». Le parallèle avec des débats actuels peut se faire là encore, qu’il s’agisse du conditionnement du RSA à un travail « bénévole » ou du recul de l’âge légal de la retraite. Les grands principes qui animent ces mesures affichent une certaine similarité avec les motifs exposés ici.

Un témoignage historique

Début du Titre III, Secour aux vieillards et infirmes
Ces débats parlementaires sur la question de la dépendance « du vieillard » sont parmi les plus anciens connus sur ces questions. BNF-Gallica

Ces débats, tenus le 31 août 1790 au sein de l’Assemblée nationale constituante, représentent sans doute l’une des plus anciennes retranscriptions de la question de la dépendance liée à l’âge dans le débat politique français. Nous pouvons en effet considérer que cette période de transition entre le régime monarchique et la Première république comme le terreau des grands bouleversements sociétaux que connaîtra la France tout au long du XIXᵉ siècle.

Bien que ce projet de décret n’ait jamais réellement trouvé d’application, il traduit une préoccupation pour le traitement accordé aux personnes âgées et nous informe sur les conditions de leur prise en charge. Cette assistance est alors réalisée sous deux formes : soit à domicile pour les vieillards ayant un soutien familial suffisant, soit en hôpital pour les moins fortunés.

Cela nous amène à penser que nos débats « modernes », s’ils ne sont pas de naissance récente, sont bel et bien liés à l’origine de la société contemporaine. On peut y voir une preuve de la complexité de la résolution de la prise en charge digne du vieil âge. Prise en charge qui doit nous amener à y répondre avec le sérieux nécessaire à une question n’ayant toujours pas trouvé de solution acceptable bien qu’elle fût présentée dans des conditions similaires aux nôtres il y a maintenant plus de 220 ans.

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