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Une femme furieuse, en position de yoga
L'industrie du bien-être laisse croire aux femmes qu'elles peuvent contrôler leur vie, leur corps et leur état d'esprit. Mais elle dissimule les vrais injustices auxquelles elles font face. Shutterstock

L’industrie du bien-être n'est pas du côté des femmes. Elle nous détourne de ce qui nous fait réellement souffrir

Le marché du bien-être s’adresse principalement aux femmes. Il nous enjoint à manger sainement et à assumer la responsabilité de notre bien-être, de notre bonheur et de notre vie. Voilà comment agit une femme forte et indépendante en 2022.

En cette semaine où l’on célèbre la Journée internationale des femmes, nous pouvons examiner de plus près la notion féministe néolibérale de bien-être et de responsabilité personnelle – l’idée que la santé et le bien-être des femmes dépendent de leurs choix individuels.

Nous affirmons que ce marché ne concerne pas le réel sentiment de bien-être, quoi qu’en disent la « gourou » du bien-être et femme d’affaires Gwyneth Paltrow, les influenceurs sur Instagram (NDLR et chez nous, au Québec, Jacinthe René).

C’est une industrie. C’est aussi une diversion attrayante de ce qui affecte véritablement la vie des femmes. Une industrie qui fait abstraction des problèmes structurels qui minent le réel bien-être des femmes et qui ne peuvent être résolus en buvant un latte au curcuma ou en tentant de #vivresameilleurevie.

De quoi parle-t-on

L’industrie mondiale du bien-être est une industrie non réglementée de 4,4 trillions de dollars US qui devrait atteindre près de 7 trillions de dollars US d’ici 2025. Elle promeut la croissance personnelle, le soin de soi, la forme physique, la saine alimentation et une pratique spirituelle. Elle encourage les bons choix, les bonnes intentions et les bonnes actions.

Le concept de bien-être est attrayant, car il donne un sentiment d’autonomie. Il dit aux femmes qu’elles peuvent reprendre le contrôle de leur vie. Il est particulièrement séduisant dans des périodes de grande incertitude et de manque de contrôle personnel, qu’il s’agisse de la fin d’une relation, d’instabilité financière, de discrimination au travail ou d’une pandémie mondiale.

Mais le bien-être, c’est aussi autre chose.


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On rejette la faute sur les femmes

Le concept de bien-être suppose que les femmes sont imparfaites et qu’elles doivent être réparées. Il exige des femmes qu’elles résolvent leur détresse psychologique, qu’elles améliorent leur vie et se relèvent après les épreuves, peu importe leur situation personnelle.

L’autodétermination, la reprise du pouvoir sur sa vie et l’optimisation de soi conditionnent la façon dont les femmes sont censées penser et se comporter.

De ce fait, le bien-être traite les femmes avec condescendance et s’immisce dans leur vie de tous les jours en leur proposant de tenir un journal, des routines de soins de la peau, des défis de 30 jours, des méditations, d’allumer des bougies, de faire du yoga et de boire de l’eau citronnée.

Cette industrie encourage les femmes à améliorer leur apparence grâce à un régime alimentaire et à de l’exercice physique, à gérer leur environnement, leur rendement au travail et leur capacité à composer avec le difficile équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi qu’avec leurs réactions émotionnelles à toutes ces pressions. Pour y arriver, elles se paient à fort prix des accompagnateurs personnels et des psychothérapeutes et achètent des guides de croissance personnelle.

On exige des femmes qu’elles prennent soin de leur corps, car celui-ci est un indicateur de leur volonté à atteindre le bien-être. Pourtant, c’est ignorer le coût de ces choix et de ces gestes.

Tracey Spicer, journaliste et présentatrice de journaux télévisés, affirme avoir dépensé près de 100 000 dollars canadiens depuis 35 ans pour que ses cheveux aient « une apparence acceptable » au travail.

L’industrie du bien-être pousse les femmes à se concentrer sur leur apparence et à dépenser toujours plus.

Elle propose un discours capacitiste, raciste, sexiste, âgiste et classiste. Il s’adresse à un idéal de femme jeune, mince, blanche, de classe moyenne et sans handicap physique.

Des idéaux inatteignables

L’atteinte de ces idéaux suppose que les femmes ont toutes autant de temps, d’énergie et d’argent pour y arriver. Si ce n’est pas le cas, c’est que « vous ne faites pas assez d’efforts ».

Cette industrie exhorte également les femmes à « s’adapter et à être positives ».

Si les #ondespositives et le bien-être d’une personne sont considérés comme moralement bons, il devient dès lors moralement nécessaire d’adopter des comportements perçus comme des « investissements » ou comme permettant une « croissance personnelle ».

Pour celles qui ne parviennent pas à s’optimiser (la plupart d’entre nous), il s’agit d’un honteux échec personnel.

Le bien-être, cette diversion

Lorsque les femmes pensent qu’elles sont coupables de leur situation, cela occulte les inégalités structurelles et culturelles. Plutôt que de remettre en question la culture qui marginalise les femmes et engendre des sentiments de doute et d’inadéquation, l’industrie du bien-être offre des solutions sous forme d’autonomisation, de confiance et de résilience superficielles.

Les femmes n’ont pas besoin de ce type de bien-être. Elles ne sont pas en sécurité.

Des femmes tiennent des pancartes pour dénoncer la violence
La Marche des femmes pour la justice a mis en lumière les multiples préoccupations des femmes concernant leur sécurité. Diego Fedele/AAP Image

Les femmes sont plus susceptibles d’être assassinées par un partenaire intime actuel ou ancien, et des rapports indiquent que la pandémie augmente le risque et la gravité de la violence familiale.

Les femmes sont plus susceptibles d’avoir un emploi précaire et instable, et de connaître des difficultés économiques ou de la pauvreté. Les femmes subissent également davantage les répercussions économiques de la Covid. Elles doivent plus souvent concilier une carrière et des tâches domestiques non rémunérées.

Dans leur livre « Confidence Culture », Shani Orgad et Rosalind Gill, des universitaires britanniques, affirment que des mots-clés tels que #aimetoncorps et #croisentoi supposent que ce sont des blocages psychologiques, plutôt que des injustices sociales établies, qui freinent les femmes.

Que faire alors ?

L’industrie du bien-être, avec sa rhétorique qui repose sur la croissance personnelle, décharge le gouvernement de la responsabilité de prendre des actions transformatrices et efficaces pour garantir aux femmes la sécurité, la justice et d’être traitées avec respect et dignité.

L’inégalité structurelle n’a pas été créée par une seule personne et ne sera pas résolue par une seule personne.

Tentez de résister à l’exigence néolibérale de prendre toute la responsabilité de votre bien-être. Faites plutôt pression sur les gouvernements pour qu’ils s’attaquent aux inégalités structurelles.

Laissez votre colère plutôt que votre béatitude vous guider, et dénoncez les injustices chaque fois que vous le pouvez. Et, pour reprendre les mots de Grace Tame, survivante d’une agression sexuelle et avocate, « faites-vous entendre ».

This article was originally published in English

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