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Billets de 10 euros
Un individu déjà endetté peut être tenté d'obtenir un nouveau prêt pour rembourser le premier, alimentant ainsi dette sa « roue de l'infortune ». Pxhere/Mohamed Hassan, CC BY-SA

Mentez-vous à votre banquier pour obtenir un prêt ? Vous n’êtes pas les seuls…

Au début de l’année 2018, environ 45 % des ménages résidant en France étaient endettés, que ce soit pour des raisons privées ou professionnelles, pour un montant moyen 79 200 euros. Cela représentait 13 % du montant total de leurs actifs. Plusieurs facteurs, sociétaux ou propres aux individus, favorisent l’endettement. Il y a, bien sûr, l’inflation, l’instabilité du taux directeur ou encore les inégalités sociales.Pour les 10 % des ménages les moins bien dotés, les dettes représentent jusqu’à 38 % de leurs actifs.

Au-delà de leur situation économique, certains types de personnes exhibent des tendances au surendettement du fait de leur profil. On peut les reconnaître à trois traits :

  • Leur déconnexion envers leurs besoins, buts et préférences financiers : l’emprunteur perd contact avec la réalité notamment en raison du stress financier ou des pressions de l’environnement.

  • Leur manque de rationalité, qui décrit les décisions financières sous-optimales, tel le manque de diversification d’un portfolio d’investissements, le paiement de dettes à hauts taux d’intérêt au lieu de privilégier celles à bas taux d’intérêt, ou des achats compulsifs et superflus.

  • La tendance à adopter des comportements malhonnêtes pour obtenir des fonds, surtout quand la pression due à l’endettement devient insoutenable, ou alors lorsque prévaut une avidité attisée par un marché hautement spéculatif (bull market) qui fait miroiter des gains substantiels faciles et rapides.

La combinaison de ces trois traits, que nous avons désignée dans une recherche récente par le terme « dark financial profile » (profil financier obscur), ne peut conduire qu’au désastre (faillite, banqueroute, problèmes avec des usurpateurs ou des prêteurs illégaux). En effet, plus la dette devient insoutenable, plus le stress augmente, causant un fossé avec une réalité trop difficile à accepter. L’individu prend alors les mauvaises décisions financières, lesquelles accroissent sa dette.

« Roue de l’infortune »

Pour s’en sortir, il se précipite chez son banquier. Il ne lui dévoile pas l’entière vérité sur son souci financier, enjolive ses revenus, promet de respecter ses engagements, tout en sachant que cela est faux. S’il obtient le prêt convoité, ses mauvaises habitudes étant ancrées, il ne sortira pas plus de son pétrin, au contraire. L’argent obtenu servira à alimenter sa « roue de l’infortune ». L’emprunteur devient un hamster qui tourne sa roue sans fin, dans la cage qui le confine, laquelle n’est autre que la trappe de sa dette.

Il faut rapprocher le triangle du dark financial profile, qui peut être circonstanciel (d’où le terme profil et non de personnalité) d’autres triades bien établies. Le triangle de la fraude a pour arêtes le besoin (la pression), l’opportunité et la rationalisation. Ainsi, un conseiller financier voudra impressionner et jouir d’un niveau de vie richissime ; il misera sur la vulnérabilité des investisseurs qui croient en lui et justifiera ses actions prédatrices en blâmant leur naïveté et la faiblesse des régulateurs de marché (telle l’Autorité des marchés financiers, ou AMF, en France).

Personne réalisant des achats en ligne
Plus la dette devient insoutenable, plus le stress augmente, causant un fossé avec une réalité trop difficile à accepter. Pickpik.com, CC BY-SA

De même, le triangle de Karpman (1968) qualifie les rapports de force transactionnels selon trois rôles : la victime (le prêteur qui se fait avoir par les mensonges de l’emprunteur), le persécuteur ou prédateur (l’emprunteur qui trompe consciemment le prêteur, ou le prêteur usurier qui cherche à se faire rembourser, et le sauveur (le prêteur/banquier qui croit bien faire).

Toutes ces triades ont en commun l’effet dévastateur sur autrui, et éventuellement sur soi-même, l’interdépendance des traits, lesquels se combinent donc pour former une personnalité toxique, parfois trompeuse et privée de remords.

Un risque répandu

Au moment d’accorder un prêt, la banque cherchera donc à reconnaître ces patterns comportementaux pour ne pas se retrouver avec un client insolvable. Pour informer au mieux le prêteur, j’ai développé une échelle de mesure qui mesure la possibilité de tromperie d’un emprunteur. Elle tient compte de l’historique de crédit (credit score), de son profil sociodémographique et de ses résultats à ce questionnaire (article de recherche à paraître dans la revue Journal of Economic Issues).

Dans celui-ci, à l’évidence, on ne peut poser directement la question : « êtes-vous malhonnête ? » Cependant, il est possible d’obtenir une approximation de la possibilité de recourir à des mensonges en utilisant la technique reconnue du linguistic inquiry and word count (LIWC). Cette méthode fut conçue pour évaluer des récits selon quatre critères clés : la pensée formelle, l’influence, l’authenticité (fausse) et le ton émotionnel. Mon questionnaire contient donc des questions développées sur cette base scientifique.

Mes recherches tendent à montrer que la probabilité de tromperie d’un emprunteur est accrue par la présence d’un mauvais historique de crédit et d’un niveau de dette élevé, ainsi que par l’existence de comportements à risque. Elles démontrent que la force sous-jacente derrière la tromperie est une boucle sous la forme de comportements à risque → déconnexion → irrationalité → comportements à risque. Ainsi, il est possible de se faire une idée relativement précise de l’intention réelle ou de la capacité réelle de remboursement des emprunteurs.

Plus surprenant, un nombre significatif de participants à mes recherches ont admis recourir à la tromperie ou ont choisi des récits suggérant la tromperie. Le dark financial profile constitue ainsi le révélateur d’un risque relativement répandu. Ce point prend une importance cruciale si l’on considère l’émergence des plates-formes de prêts en ligne entre particuliers (peer-to-peer lending) telles LendingClub ou Prosper, ou de financement participatif (crowdfunding), surtout que le contact face à face avec tout ce qu’il implique de langage corporel y est absent.

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