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« My tailor is digital », ou comment la technologie fait revivre le commerce de la mode

Les nouvelles technologies envahissent les boutiques de mode. Pinsetti/Pixabay

Places de marché, plateformes en ligne, offres personnalisées, cabines d’essayage virtuelles… Pour mieux endiguer la crise du secteur, la distribution de la mode accomplit sa transition vers le « phygital » (contraction de « physical » et « digital »). Une métamorphose qui fait émerger de nouveaux concepts, acteurs et modèles.

Une crise de grande ampleur

Après plus d’un demi-siècle de croissance très forte et de structuration (le nombre de centres commerciaux aux États-Unis a augmenté deux fois plus vite que la population entre 1950 et 2015), la distribution connaît depuis quelques années la crise la plus profonde de son histoire.

Le trafic dans les centres commerciaux a été divisé par deux sur les 7 dernières années, tandis que nombre de chaînes de distribution et marques dans la mode (BCBG Max Azria, American Apparel, Mim…) annoncent leur cessation d’activité pour cause de faillite.

D’autres réseaux de boutiques, cités encore il y a peu comme modèles de succès, rencontrent des difficultés et ferment de nombreux points de vente, à l’image de Michael Kors, The Gap ou Abercrombie & Fitch. Ainsi, à Manhattan, certaines rues telles Bleecker Street, jadis très prisées pour leurs boutiques, se sont vidées et les baux à céder décorent désormais les vitrines. Enfin, bien qu’elle concerne un autre secteur, l’annonce très récente de la faillite de la chaîne de magasins de jouets ToysR’Us constitue une indication supplémentaire de l’ampleur de la crise en cours.

Nouveaux acteurs, nouveaux modèles

Si ces difficultés reflètent l’existence d’une crise économique réelle et profonde (par ailleurs illustrée par le succès de concepts comme TjMaxx, dont le modèle vise à écouler les stocks des boutiques en faillite), d’autres segments de la distribution prospèrent, particulièrement dans le secteur de la mode. Ainsi, Alibaba, avec un chiffre d’affaires de 485 milliards de dollars, est devenu le premier acteur de la distribution mondiale en 2016, révélant la position dominante du commerce en ligne et de la Chine, mais aussi la domination de nouveaux modèles tels que les places de marché. De même, la croissance d’Amazon depuis 2010 est de 64 milliards de dollars, soit l’équivalent des ventes cumulées de ses trois concurrents en 2016 (Nordstrom, Sears et Macy’s).

Amazon est un nouvel acteur incontournable du secteur. HutchRock/Pixabay

La part du e-commerce dans la distribution ne cesse de s’accroître, et ce phénomène est encore plus vrai dans le secteur de la mode. Pour preuve, Wal-Mart, le leader mondial historique de la distribution, est désormais distancé. Pour rattraper son retard, la société a racheté récemment plusieurs entreprises innovantes d’e-commerce dans le secteur de la mode, parmi lesquelles ModCloth et Bonobo. De son côté, Amazon, devenu premier distributeur de textile-habillement aux États-Unis depuis 2015, affirme sa volonté de renforcer sa domination sur le secteur notamment à travers les déclarations de Jeff Bezos, le recrutement de dirigeants du secteur, la création de sept marques propres de mode, le lancement de son assistant personnel Alexa (Echo) et l’investissement dans des start-up de la Fashion Tech.

Innover pour mieux vendre en ligne

La vente en ligne d’articles de mode a pris une ampleur peu anticipée, notamment du fait de ses spécificités et des barrières qui lui sont propres (besoin de toucher et essayer un vêtement, achat impulsif et « coup de cœur », problématique de taille). De ce fait, son développement a nécessité une innovation particulièrement intense pour rendre les produits attractifs derrière un écran et limiter les retours. Ainsi, diverses technologies basées sur les « big data », comme Easysize, ou sur la modélisation 3D, comme Fitizzy, ont été développées afin de faciliter la sélection de taille et de produit sans essayage.

En parallèle, nombre de concepts innovants, particulièrement dans l’univers de la mode et du luxe, atteignent de forts taux de croissance, à l’image de Farfetch. Considéré comme le plus dynamique des distributeurs anglais, sa plateforme électronique offre une visibilité et un marché mondial à des boutiques de luxe indépendantes. Grâce à elle, Farfetch permet de donner une seconde vie aux boutiques qui avaient du mal à survivre.

Physique, numérique : les frontières s’estompent

Le succès des plateformes en ligne semble non seulement remettre au goût du jour le concept même de magasins multi-marques, mais aussi, paradoxalement, donner un deuxième souffle à certaines boutiques traditionnelles. Dans ce contexte, les frontières qui séparent la distribution physique traditionnelle de la distribution en ligne sont de plus en plus fines, voire inexistantes. Pour preuve, partant du principe qu’un achat mode est avant tout une expérience physique, Farfetch a racheté Browns, grand magasin londonien traditionnel en 2015.

Par ailleurs, l’expérience d’achat mêle bien souvent des étapes en ligne et des étapes en magasin. D’après Retail Drive, 65 % des consommateurs américains font des recherches en ligne avant de se rendre en magasins selon le concept de ROPO (research online, purchase offline). Inversement, selon la même étude, plus de 55 % des consommateurs vont en magasin avant d’acheter en ligne, selon le concept dit de « showrooming ». Il est par conséquent de plus en plus difficile pour les distributeurs de savoir à quel moment commence et finit le processus d’achat.

Améliorer l’expérience client et fidéliser grâce à la technologie

Au-delà de la croissance du commerce en ligne et de ses interactions avec le commerce traditionnel par l’intermédiaire du développement de l’omnicanal, les technologies sont de plus en plus présentes dans les points de vente physiques pour transformer l’expérience client en magasin. Ces évolutions sont particulièrement sensibles dans les secteurs de la mode et du luxe, pour lesquels la relation client et le processus d’achat revêtent de multiples facettes et incitent à créer une relation exclusive avec le client.

La boutique Burberry de Regent Street à Londres, longtemps considérée comme le magasin le plus connecté au monde, fait preuve de créativité par le biais de technologies avancées pour attirer ses clients et les fidéliser. D’autres acteurs créent des concepts de « magasin du futur », où sont testées nombre de nouvelles technologies telles que les « miroirs magiques » interactifs, la réalité augmentée, les bornes de selfies, les caisses sans contact, pour n’en citer que quelques-unes.

En 2013, Intel présentait ses vestiaires virtuels. Aujourd’hui, la réalité augmentée colonise les boutiques. IntelFreePress/FlickR, CC BY-SA

Petit à petit, le point de vente devient tout autant un lieu de rencontre et d’expérience qu’un lieu de vente. En rendant le lieu de vente aussi convivial que fascinant, les technologies deviennent les alliées des vendeurs. En parallèle, le conseil revêt une importance croissante dans l’expérience client. Là encore, les technologies sont de plus en plus présentes. En effet, si le conseil peut encore être réalisé par une personne physique, il est souvent guidé par une connaissance du client « stockée » sur une machine et amplifiée par la puissance de l’analyse de données.

Une chaîne de valeur en mutation

Plus fondamentalement, le développement des technologies et la numérisation de la distribution modifient fortement la chaîne de valeur. Analysées, les informations recueillies sur le client permettent de personnaliser le produit, tant en terme de style qu’en terme de taille et de « bien-aller ». L’intégralité du processus de fabrication et de distribution devient le résultat d’une implication du client, rendue possible par la numérisation de la relation client. La maîtrise du client final et la collecte des informations le concernant deviennent donc de plus en plus stratégiques. Elles transforment l’intégralité de la chaîne de valeur, depuis le choix des matières premières jusqu’au recyclage.

Seuls ceux qui auront véritablement compris les enjeux de l’utilisation des technologies au niveau de la distribution pourront à l’avenir réussir dans la mode. Ces questions sont au cœur des travaux de la Chaire Lectra « Mode et Technologie ».

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