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Parentalité : ce qui distingue les humains des animaux

Une femelle singe tient son bébé dans les bras.
Difficile de ne pas comparer ce comportement à celui d'une femme avec son enfant. Lewis Roberts/Unsplash, CC BY

D’un point de vue biologique, le terme parent désigne la mère et le père qui sont les géniteurs du ou des petit.s à naître. Encore que, si la mère est sûre d’être à l’origine des bébés qui sortent de ses entrailles, un doute peut toujours s’installer concernant le père. Et ce quelle que soit l’espèce. C’est un phénomène bien plus fréquent qu’on l’imagine même chez les espèces où le mâle s’occupe de sa progéniture, ce qui est notamment le cas des oiseaux. L'analyse génétique des œufs au sein d'un même nid montre une paternité d'origine multiple chez 77% des espèces monogames (passereaux, rapaces, échassiers, oiseaux marins).

Nous appartenons à la classe des mammifères. En tant que tels, la parentalité humaine s’insère dans une suite d’évènements invariables issus de la nuit des temps : accouplement, grossesse et changements hormonaux, naissance, allaitement maternel et soins attentionnés au bébé, enfin un lien d’attachement qui prend place et perdure… longtemps. Mais qu’en-t-il exactement ?

Parentalité et mécanismes biologiques

Chez les mammifères non-humains, l’émergence de la maternité est intimement liée aux évènements qui terminent la gestation. En l’espace de quelques jours, quelques heures parfois, une femelle va vivre un changement comportemental drastique : s’isoler des congénères ou au contraire s’agréger en nombre, construire un nid ou chercher un refuge, s’intéresser à un nouveau-né et se détourner des siens, choses inimaginables peu de temps auparavant.

Des espèces très grégaires (chamois, biche, chevreuils) s'isolent de leur groupe et se cachent pour donner naissance; certaines femelles ne le rejoindront qu'après une semaine, accompagnées de leur petit. Même les prédatrices (louves, lionnes) choisissent la quiétude d'une tanière ou d'un abri. Quant à la lapine, elle construit un terrier à l'écart de la garenne où elle ira allaiter sa portée une fois par jour. Dans tous les cas de figure, la motivation première de la femelle sera de protéger voire de défendre son ou ses petit.s. Parfois même au péril de sa vie. Un comportement qu'elle maintiendra tant que sa portée sera dans un état de fragilité.

Groupe de lionnes avec leurs petits.
Avant d'accoucher les lionnesAs'isolent.vant d'accoucher les lionnes Leonard von Bibra/Unsplash, CC BY

Que s’est-il donc passé ? Deux choses déterminantes. Tout d’abord, les changements hormonaux qui accompagnent le développement embryonnaire puis fœtal (estrogènes, progestérone, ocytocine, prolactine). Ensuite, les bouleversements neurochimiques qui entraînent la naissance par voie vaginale et l’induction de la lactation et de la maternité.

S’il existe des différences importantes entre espèces au sein de mammifères, on a maintes fois souligné le rôle des stéroïdes (progestérone, œstrogènes) dans la préparation du cerveau à s’ouvrir à la maternité future, puis celui de l’ocytocine, un petit peptide libéré par le cerveau, comme élément déclencheur. Au tout premier accouchement, brebis et macaques n’expriment nul comportement de soin à l’égard de leur nouveau-né lorsque la naissance a lieu sous anesthésie péridurale ou par césarienne car celles-ci ne permettent pas la libération d'ocytocine cérébrale. L’injection d’ocytocine par voie intracérébrale chez de tels animaux ré-établi ce comportement.

Le fait que chez les humains, de nombreux pères (mais pas tous…), parents adoptifs, beaux-parents et nourrices soient capables de nouer des liens très forts et aimants avec des enfants qui ne sont pas les leurs au sens biologique du terme, démontre que la grossesse, le processus de naissance et les hormones qui y sont associées ne sont pas essentiels à la construction d’une telle relation.

A l’inverse, le déni de grossesse, un trouble de la gestation clinique, correspond au fait d’être enceinte sans avoir conscience de l’être. Il s’accompagne d’un certain nombre de signes cliniques, qui contribuent à induire en erreur la femme enceinte et son entourage, mais aussi les professionnels de santé (persistance des règles, atténuation des signes de grossesse, absence d’augmentation du diamètre abdominal, pas de prise de poids), et l'abandon du nouveau-né. Voire l'infanticide…

Certains gorilles peuvent adopter des petits. Jeremy Stewardson / Unsplash

L’adoption par des individus, indépendamment d’un état physiologique lié à la maternité, est rarissime chez les autres espèces. Elle ne se rencontre sporadiquement que chez quelques primates non-humains (gorilles mâles), et… les cachalots où le baby-sitting est très fréquent lorsque les femelles adultes sont à la chasse. On assiste même à une reprise de la lactation chez les grand-mères. Quant au déni de grossesse, il est impossible à évaluer. S’il arrive parfois qu’une femelle ne s’occupe pas de sa portée, cela concerne avant tout celles qui donnent naissance pour la première fois. Cette conséquence est avant tout liée à leur immaturité comportementale et aux douleurs induites par l'enfantement qui entraînent un évitement ou un abandon des nouveau-nés (brebis, chèvre), voire l'attaque et l'infanticide (chien, porc, lapin).

Modulations physiologiques humaines

À l’état naturel, l’orchestration neuro-hormonale observées chez les mammifères se retrouve bien sûr chez les femmes pendant la grossesse. Elles sont également exposées aux actions de l'ocytocine à l'accouchement, pendant l'allaitement, et au cours des contacts affectueux (les jeux et les câlins), ce qui contribue à la formation d’un lien avec le bébé.

S’il ne fait aucun doute que les femmes ayant subi une césarienne, une anesthésie par voie péridurale, ou qui décident de ne pas allaiter sont des mères aimantes et s’occupent de leur enfant avec tendresse, les études scientifiques révèlent que notre physiologie est susceptible d’apporter un plus.

On sait que sur le court terme l’anesthésie liée à une césarienne est susceptible d’entraver l’activité de tétée du nourrisson, d’affaiblir la mère, d'entraîner des nausées et des vomissements, une fatigue, des réactions moins enthousiastes de sa part et de pénaliser le maintien de l’allaitement alors que c’était son souhait.

Certains protocoles d’anesthésie ont d’ailleurs été réadaptés afin de ne pas entraver les premiers échanges entre la mère et son nourrisson. Quelques études cliniques suggèrent également qu’un allaitement prolongé entraînerait des soins maternels plus attentionnés et une moindre négligence à l’égard des sollicitations de l’enfant. Mais attention, il n’est nulle question ici de maltraitance mais uniquement de modulations liées à l’état physiologique.

Quant aux hommes, une diminution des taux de testostérone est constatée chez les pères par rapport à ceux qui ne le sont pas. Pour schématiser, cette hormone de la sexualité et de la dominance, en s’éclipsant, laisse place à l’empathie et à la tendresse parentale plutôt qu’à la rudesse et aux ébats amoureux. Les hommes offrant des soins plus attentionnés envers leur bébé ont des taux de testostérone plus bas que ceux moins intéressés par la paternité. On observe le phénomène inverse au niveau de l’ocytocine. Une conséquence plutôt qu’une cause du changsement d’sétat.

Spécificité humaine

Comparé aux autres mammifères, Homo sapiens n’a pas totalement coupés les liens avec la biologie mais ils sont plus ténus. Ils ont laissé place à une caractéristiques clé que l’on ne retrouve nulle part ailleurs : l'exceptionnelle longévité des soins parentaux. Ils ne s’éclipsent que lorsque l’état de santé des parents décline. Et encore… Si plus personne ne met en doute l’importance des premiers échanges sur la mise en place d’un allaitement maternel réussi et sur la santé du nourrisson, la construction d’un lien sur le long terme en est déconnectée. Elle permet bien évidemment l’attachement entre l’enfant et sa mère (qu’elle décide d’allaiter ou non), mais aussi son père, sa fratrie, ses grands-parents, sa famille. La puissance de ces liens, lorsqu’ils s’établissent de manière harmonieuse ne s’éteignent pas.

Chez les mammifères à durée de vie assez courte (rongeurs, lagomorphes), mères et jeunes se séparent au sevrage, une question de quelques semaines. Chez ceux présentant une certaine longévité et une stabilité sociale (ruminants, carnivores, cétacés, primates non-humains), les mâles quittent systématiquement leur groupe d'origine une fois l'âge de la puberté atteint, évitant ainsi les relations incestueuses. Les filles restent le plus souvent avec leur mère mais les liens s'estompent avec le temps, une fois que la maternité s'installe chez l'une et l'autre.

L’implication d’adultes autres que la mère dans la construction d’un lien d’attachement existe chez d’autres mammifères mais à moindre échelle. Le comportement de soins exprimé par le père se retrouve chez des primates non-humains et les canidés: le gorille joue avec ses enfants, le babouin accepte leur espièglerie, le marmouset les transporte tandis que sa compagne s'alimente dans la canopée, le renard apporte des proies à la tanière. D'autres membres peuvent aussi participer, ainsi chez le loup tous les adultes de la horde assurent l'alimentation des petits de l'unique femelle reproductrice, et chez les cachalots certaines femelles (soeurs ainées, tantes, grand-mères) assurent la garde des juvéniles à tour de rôle. Toutefois, jamais ces comportements n’ont l’ampleur ni la durée que l’on trouve chez les humains.

La singularité des humains par rapport aux autres mammifères réside dans leur forte dépendance à l’égard de l’assistance familiale élargie pour élever leur progéniture. Ceux qui assistent la mère sont souvent un frère ou une sœur, ou encore un parent plus âgé telle la grand-mère ou une tante qui n’assurent plus leur fonction de reproduction. Ces proches assurent la tâche « d’aidants ». C’est à travers ses capacités cognitives de haut niveau, son sens aigu de la collectivité, des liens d’affection forts, et le partage d'informations qu’Homo sapiens a conquis le monde.

Car admettons-le, ce petit primate qui apparut il y a quelque 300 000 ans, qui ne donnait naissance qu’à un seul petit à la fois, ne possédait ni griffes, ni crocs pour se défendre, disposait-il de la moindre chance s’il n’avait élaboré un tel lien social ?


Pour aller plus loin, vous pouvez découvrir l'ouvrage «Parents animaux» du même auteur aux éditions humenSciences.

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