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Peut-on promouvoir le chauffage au bois au nom de l’environnement ?

C’est un mode de chauffage qui jouit d’une bonne image : réputé convivial, peu coûteux et bon pour l’environnement, le chauffage au bois a de multiples atouts pour plaire. En 2021, plus d’un foyer français sur dix avait choisi le bois comme principale source de chauffage, chiffre qui a sans doute du grimper depuis, du fait de l’augmentation des prix des autres sources d’énergies, couplées aux incitations de sobriété énergétique et aux aides de l’État.

À l’échelle gouvernementale, le chauffage au bois est d’ailleurs présenté comme une piste prometteuse pour répondre à plusieurs objectifs nationaux : augmentation de la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique, réduction de la consommation d’énergie ou encore réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Chez les particuliers, ce mode de chauffage est également perçu comme une option à favoriser pour la planète. Dans l’enquête que nous avons réalisée auprès de 1319 individus, le bois était perçu comme l’énergie de chauffage qui générait le moins de dommages à l’environnement, devant l’électricité, le gaz et le fioul.

Mais qu’en est-il vraiment ? N’y-a-t-il pas des risques à percevoir et promouvoir le chauffage au bois comme une source d’énergie ?

Des chauffages au bois plus ou moins émetteurs de particules fines

Pourvu qu’il soit issu d’une forêt gérée durablement, le bois de chauffage peut être considéré comme une énergie renouvelable, neutre en carbone, la quantité de CO2 émise lors de la combustion est équivalente à celle absorbée par les arbres pendant leur croissance. Cette condition n’est malheureusement pas toujours respectée comme le montre par exemple la recrudescence de coupes illégales constatée l’hiver dernier en France.

Si l’on exclut cependant ces cas alarmants, le principal inconvénient du chauffage au bois réside dans les émissions de particules fines qu’il génère (PM2,5 et PM10), et l’impact néfaste de celles-ci sur la qualité de l’air et sur la santé. Le chauffage au bois est d’ailleurs le premier contributeur de cette pollution en France puisqu’il représente respectivement près de 28 % et 43 % des émissions nationales de PM¹⁰ et de PM₂⋅₅

Le chauffage au bois, première source de particules fines. Davit Khutsishvili/Shutterstock

Face à cette réalité, cependant, tous les types de chauffage au bois ne se valent pas. Les cheminées anciennes générations émettent en effet davantage de particules fines que les chaudières ou poêles à granulés plus récents. Ainsi pour inciter les ménages à remplacer leur vieil appareil par un nouveau plus performant, certaines métropoles ont mis en place des subventions pour l’achat de ces nouveaux appareils (l’aide du Fonds Air Bois par exemple). En plus des bénéfices collectifs sur l’environnement, l’utilisation d’un appareil de chauffage au bois plus performant doit permettre à son utilisateur de réduire sa consommation d’énergie et donc de générer des économies sur sa facture de chauffage.

Le problème de ces aides et plus généralement de toutes les mesures d’efficacité énergétique c’est qu’elles ne sont pas à l’abri d’une réalité qui pourrait compromettre leurs atouts : l’effet rebond.

L’effet rebond : un mécanisme d’abord économique

L’effet rebond survient lorsque l’adoption d’une technologie plus performante aboutit à des bénéfices inférieurs aux bénéfices attendus. Généralement, les bénéfices évoqués concernent la réduction de la consommation d’énergie, mais cela peut également s’appliquer sous le même principe pour la réduction d’émission de particules fines. Alors comment expliquer cet effet ?

En devenant plus efficace, la technologie devient également moins chère, ce qui incite les individus à l’utiliser davantage. Ce changement de comportement génère alors une consommation supplémentaire d’énergie, d’avantage de particules fines émises, qui compense une partie des bénéfices qu’il y à d’utiliser cette nouvelle technologie.

L’explication de l’effet rebond par une variation de prix a permis aux économistes de fournir des premières estimations sur l’amplitude de cet effet. Sans détailler la méthode employée, leurs travaux révèlent deux éléments intéressants sur l’effet rebond. Le premier est que l’effet rebond pour le chauffage semble être compris entre 10 et 30 %. Concrètement, cela signifie qu’entre 10 et 30 % des bénéfices liées à l’utilisation d’un chauffage plus performant sont perdus, car les individus se chauffent davantage. Le second élément est que le chauffage n’est pas un cas isolé puisqu’un effet rebond a été estimé pour une majorité de services énergétiques (voiture, éclairage, climatisation, etc.).

L’effet rebond relève finalement d’un comportement assez rationnel : si le prix d’un service diminue, il est logique que les gens l’utilisent davantage. Ce mécanisme économique a longtemps constitué l’unique explication à l’effet rebond. Or aujourd’hui des recherches récentes avancent l’idée que des mécanismes, autre qu’économique, peuvent aussi être source d’effet rebond. Parmi eux, des mécanismes psychologiques comme l’effet de compensation morale. Face à cet effet également, le chauffage au bois pourrait ne pas être à l’abri.

L’effet de compensation morale comme ressort de l’effet rebond

L’effet de compensation morale décrit le comportement, généralement inconscient, d’un individu qui va compenser une bonne action initiale par une seconde action moins souhaitable. L’exemple souvent cité pour illustrer l’effet de compensation morale est celui du fast-food qu’on s’autorise à manger après avoir accompli une séance de sport intensive. Cet effet peut également advenir dans le domaine de l’environnement, à la suite de comportement de recyclage ou après l’achat de produits écologiques par exemple.

L’effet de compensation morale est considéré comme un biais cognitif car il amène un individu à atténuer les bénéfices d’une première action vertueuse par une seconde action qui génère un résultat opposé.

Pour le moment, l’intégration de l’effet de compensation morale à la littérature sur l’effet rebond reste théorique. Aucune étude n’a encore montré que l’investissement dans une technologie plus écologique pouvait déculpabiliser un individu à l’utiliser davantage. Cela s’explique par la difficulté d’isoler un facteur responsable du changement de comportement des individus. Par exemple, si une personne remplace sa vieille chaudière au fioul par une nouvelle chaudière à granulés de bois plus performante et qu’ensuite elle se chauffe davantage, comment savoir si c’est parce que sa nouvelle chaudière lui coûte moins cher à utiliser ou si c’est parce qu’elle a diminué sa culpabilité à l’utiliser ?

Avant de savoir si l’investissement dans un chauffage au bois peut accroître l’utilisation de chauffage, il est donc essentiel de déterminer si cet acte d’investissement satisfait les conditions nécessaires à la manifestation d’un effet de compensation morale. Selon Monin et Miller (2001), pour qu’un premier acte engendre un tel effet, il doit réunir deux conditions : que cet acte soit jugé comme moralement bon par l’individu qui le réalise mais également par la société. Le chauffage en bois semble remplir ces deux critères.

Notre enquête montre que la majeure partie des individus que nous avons interrogés considère non seulement ce mode de chauffage comme vertueux, mais pense que la société dans son ensemble est également de cet avis. Bien que ces deux conditions ne garantissent pas à elles seules l’apparition d’un effet de compensation morale, cela suggère tout de même que cet effet pourrait se produire lorsqu’un individu décide d’investir dans un chauffage au bois. D’autant plus si c’est dans un poêle ou une chaudière à granulés qui sont les systèmes de chauffage au bois perçu par les individus de notre enquête comme étant à la fois ceux générant le moins d’émission de gaz à effet de serre et ayant l’impact le plus faible sur la pollution de l’air.

Effet rebond et chauffage au bois, quelle conclusion en tirer ?

Pour conclure, il semble indéniable que cette énergie de chauffage soit sujette à un effet rebond, au moins d’ordre économique. En effet, il est presque certain que si les coûts de chauffage baissent, les individus en profiteront pour davantage se chauffer.

Par rapport à l’effet de compensation morale, notre enquête révèle que le chauffage au bois semble satisfaire les deux conditions susceptibles de le déclencher puisqu’il est perçu individuellement et collectivement comme un chauffage bon pour l’environnement. La présence de cet effet suggère alors un effet rebond supplémentaire qui vient s’ajouter à celui déjà causé par les mécanismes économiques et qui atténue encore plus les bénéfices de se chauffer au bois.

Tout l’enjeu maintenant est d’estimer l’amplitude de l’effet rebond associé au chauffage au bois afin de savoir à quel point les mécanismes économiques et psychologiques atténuent les bénéfices attendus. L’objectif étant in fine d’éclairer les décideurs publics sur l’intérêt ou non de subventionner ce type de chauffage.

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