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Pourquoi et comment les grandes entreprises collaborent avec les plates-formes d’innovation

Un makerspace peut permettre à des entreprises de trouver les modalités pour attirer puis recruter de nouveaux talents. Massimo Parisi / Shutterstock

Dans le cadre d’études financées en 2017 et 2018 par Innovation Factory et Bpifrance Le Lab, nous avons mis en évidence que les grandes entreprises et les firmes de taille intermédiaire mobilisent massivement les plates-formes d’innovation (makerspaces, espaces de coworking, etc.) et ceci, quel que soit le secteur d’activité. Nos travaux ont permis de montrer leur rôle clé dans leur développement.

L’intérêt des entreprises pour les plates-formes d’innovation peut paraître surprenant, voire paradoxal. Leurs modes de fonctionnement semblent a priori antinomiques. Du côté des entreprises, la bureaucratie, le contrôle managérial et la protection de la propriété intellectuelle prévalent. Du côté des plates-formes, les communautés, l’informel, les valeurs de partage et d’ouverture priment. Comment expliquer l’attrait des plates-formes d’innovation pour les entreprises ? Quelle est la nature des partenariats qu’elles mettent en place ?

Nouvelle flexibilité

Les motivations sont multiples et ne sont pas exclusives les unes des autres. La première est associée à un enjeu de communication : l’entreprise veut renvoyer une image moderne, associée à la créativité et/ou aux enjeux du développement durable. Une deuxième motivation renvoie au besoin d’identifier et de « sourcer » des startups, notamment pour développer de nouveaux services dans le digital. C’est le cas par exemple pour la plate-forme Welcome City Lab de Paris&Co, spécialisée dans le tourisme urbain. Une troisième motivation concerne la nécessité des entreprises d’acquérir de nouvelles capacités créatives en permettant aux salariés de se frotter aux méthodologies et aux modes de travail des entrepreneurs présents dans les plates-formes. Par exemple, la Société Générale envoie régulièrement des salariés travailler (de quelques jours à plusieurs semaines) au sein de Liberté Living Lab ou de MakeSense space.

Les entreprises sont aussi motivées par la nécessité d’opérationnaliser une variété de dispositifs d’open innovation. Ainsi, pour Malakoff Mederic, Numa contribue à accompagner des projets d’intrapreneuriat tandis que Natixis mobilise des plates-formes d’innovation lors de challenges annuels pour l’innovation organisés par la direction générale : les équipes de collaborateurs présélectionnées disposent d’un petit budget pour prototyper leurs idées au sein des plates-formes. Dans d’autres cas, les entreprises mobilisent les plates-formes d’innovation pour co-créer, ensemble, et aborder des sujets transverses (par exemple les « smart cities »). Ideas Laboratory et thecamp accueillent régulièrement ce genre de projet.

Plus globalement, les entreprises vont aussi recourir aux plates-formes d’innovation comme outil de gestion du changement afin d’acquérir une nouvelle flexibilité, voire trouver les modalités pour attirer puis recruter de nouveaux talents. On retrouve cette motivation pour les entreprises impliquées dans thecamp, ICI Montreuil ou Liberté Living Lab.

Les types de partenariats : de l’entreprise usager à l’entreprise partenaire

La manière de mobiliser les plates-formes d’innovation est tout aussi grande que la variété des motivations des entreprises.

  • Les entreprises « usagers » : une logique « à la carte »

Les entreprises sollicitent souvent les plates-formes de façon ponctuelle. Elles sont mobilisées comme des cabinets de conseil d’un nouveau genre : coacher des projets d’innovation, de transformation, former aux méthodes de créativité, et bien entendu contribuer à l’organisation d’événements. Les entreprises accèdent ainsi à des compétences variées au sein d’une communauté composée pour partie d’entrepreneurs, et à tout à un dispositif (lieu, outils…) propice à l’apprentissage par le faire. Les plates-formes aident les salariés à décaler les points de vue et à casser les silos.

  • Les entreprises comme partenaires : une tendance

La relation comme usager représente souvent une phase transitoire vers une démarche plus partenariale. Les partenariats prennent des formes multiples. Les formes traditionnelles concernent l’incubation et le prototypage. D’autres formes plus originales conduisent les entreprises à pré-acheter des services qui permettent d’inscrire la relation dans la durée, qui permet aussi aux plates-formes de mieux gérer leur fonds de roulement. D’autres plates-formes articulent les partenariats selon des modalités plus originales. C’est par exemple le cas de Station F, qui se positionne comme « plate-forme de plates-formes ». Station F, qui se présente comme le plus grand campus de start-up au monde, propose son propre incubateur, mais héberge aussi plusieurs autres incubateurs animés par des entreprises. Ces dernières louent un espace de coworking pour leur programme, bénéficie de l’attractivité de la marque Station F et participent à l’animation de l’ensemble du campus par des événements. Certains partenariats sont structurants pour l’activité de la plate-forme. Bouygues est par exemple un partenaire clé de Make ICI pour l’installation du nouveaux makerspaces ICI Marseille.

Ces partenariats se révèlent également stratégiques pour le développement de la plate-forme : extension géographique ou développement d’une activité servicielle particulière. Dans certains cas, la notion de partenariat peut aller plus loin et concerner la stratégie globale de la plate-forme. Les exemples de TUBA et thecamp montrent que les partenariats stratégiques peuvent concerner plusieurs entreprises. Elles sont non seulement des utilisateurs engagés financièrement dans la durée pour l’utilisation des services proposés par la plate-forme, mais elles sont aussi membres de son conseil stratégique et contribuent au design de son portefeuille de services.

Effet de mode ou tendance à long terme ?

Malgré leurs modes de fonctionnement a priori antinomiques, on voit bien qu’il existe en réalité une complémentarité qui explique l’ampleur des relations entre entreprises et plates-formes : les firmes cherchent à acquérir l’agilité organisationnelle qui se trouve au cœur du fonctionnement des plates-formes, quand les plates-formes cherchent des ressources financières pour stabiliser leur business model.

Ces partenariats sont-ils pour autant pérennes ? La réponse est double. Oui, car les entreprises ont un besoin de transformation inscrit dans la durée ; elles doivent relever des défis qu’elles ne peuvent plus assumer seules. Non, car cet engouement un peu touche-à-tout repose sur un effet de mode. Comme pour tout dispositif d’innovation, les entreprises apprennent de ces partenariats et rationalisent progressivement leurs actions. Le processus d’évolution est en cours, rien n’est figé. Il est encore difficile d’identifier les critères de rationalisation et d’esquisser des tendances. Nous parions que les entreprises vont privilégier des plates-formes qui les aideront à la fois à explorer de nouvelles opportunités et, peut-être surtout, à les exploiter rapidement en nouveaux business créateurs de valeur.

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