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Cela fait 15 ans que les Normes internationales d’information financière (IFRS) ont été adoptées pour rendre comparables les informations financières d’un pays à un autre, et faciliter l’exercice de consolidation des états financiers par des multinationales. Shutterstock

Près de 20 ans après le scandale Enron, où en sont les normes comptables ?

En octobre, il y aura 19 ans que l’affaire Enron, l’un des pires scandales financiers de l’Histoire, a éclaté. Il y a aussi maintenant 15 ans que les Normes internationales d’information financière (IFRS) ont été adoptées pour rendre comparables les informations financières d’un pays à un autre, et faciliter l’exercice de consolidation des états financiers par des multinationales.

En plus de rendre universelle la compréhension de l’information financière, ces normes devaient améliorer la qualité des états financiers à la suite des scandales financiers comme Enron et Parmalat. Ces normes (IFRS) sont aujourd’hui en vigueur dans environ 160 pays dans le monde. Quel bilan peut-on dresser de leur application ? Quelles leçons en tirer ?

En tant que professeur agrégé de comptabilité financière à l’Université du Québec en Outaouais, je m’intéresse depuis plus plusieurs années aux questions de normalisation comptable. Mes recherches m’ont amené à constater que les retombées de l’adoption des normes internationales sont variables d’un pays à un autre, dépendamment du système légal et de la qualité des mécanismes de gouvernance corporative.

Améliorer la transparence

L’adoption des IFRS (International Financial Reporting Standards) a constitué l’un des plus importants changements dans la normalisation comptable contemporaine. Cette harmonisation des normes comptables avait pour objectifs, entre autres, de faciliter une plus grande comparaison des états financiers à travers les pays, accroître la qualité des états financiers pour les marchés, et améliorer la divulgation et la transparence des entreprises. Ceci pour réduire des coûts de transactions et accroître l’investissement international.

L’application de ces normes est obligatoire pour les entreprises cotées. C’est donc ce référentiel qui est employé pour dresser les états financiers dont se servent des investisseurs et divers publics qui interagissent sur les marchés financiers.

Ce référentiel dont l’adoption obligatoire a débuté en 2005 - et en 2011 au Canada -, a aujourd’hui cours légal dans un peu plus de 160 pays. Avec la ruée vers les IFRS de tant de pays, qui ont pour certains délaissé leurs référentiels nationaux pour s’y soumettre exclusivement, la question qui se pose est celle de savoir si quinze ans plus tard, le référentiel international tient ses promesses d’une qualité plus accrue de l’information financière.

Précisément, il faut examiner si les deux principales qualités de l’information financière que sont la pertinence et la fiabilité, se trouvent renforcées sous les IFRS. La pertinence de l’information financière porte principalement sur son utilité et sa capacité à influencer la prise de décision économique. Sa fiabilité renvoie davantage à sa conformité, sa vérifiabilité et sa neutralité.

Des états financiers plus pertinents

Les exigences de divulgation plus élevées qui découlent des IFRS donnent un signal positif aux investisseurs et tendent à réduire leurs coûts d’accès à l’information. De par l’amélioration du contenu informationnel et la transparence accrue des entreprises, les prévisions des analystes financiers semblent beaucoup plus précises sous les IFRS, notamment pour les pays dont les normes nationales en étaient éloignées avant l’adoption. La valeur boursière des firmes européennes semble maintenant davantage expliquée par les états financiers préparés sous les IFRS, lesquels sont dotés d’un plus grand pouvoir d’anticipation de la performance des entreprises.

Cette réponse favorable des marchés financiers aux IFRS serait pour bien d’observateurs la manifestation probante de leur contribution substantielle par rapport aux référentiels nationaux. Par ailleurs, la plupart des entreprises s’accordent sur l’amélioration de la comparabilité des états financiers.

Il en est de même pour la consolidation des comptes des filiales.

Toutefois, bon nombre d’entre elles conviennent que la nature complexe du référentiel, le coût élevé de son adoption et l’absence de lignes directrices pour son application, ainsi que la volatilité accrue des résultats après son adoption, figurent parmi les plus importants défis de la transition aux IFRS.

Sur cette photo prise à Houston le 17 avril 2006, l’ex dirigeant d’Enron, Jeffrey Skilling, est escorté au palais de justice fédéral pour un contre-interrogatoire dans le cadre de son procès pour fraude et conspiration. Jeffrey Skilling a été libéré le 21 février 2019 après avoir purgé 12 ans de prison pour ses actions, qui ont conduit à l’un des pires scandales financiers de l’histoire ». AP Photo/Pat Sullivan

Si de nombreux chercheurs semblent s’accorder sur le fait que l’introduction des normes IFRS en Europe continentale apporte un peu plus de pertinence aux états financiers, la tonalité n’est pas toujours la même en ce qui concerne les pays à forte tradition anglo-saxonne dont les référentiels nationaux étaient déjà, comme les IFRS, orientés vers les marchés. Les opposants aux normes IFRS aux États-Unis, notamment la Securities and Exchange Commission font d’ailleurs valoir que le seul problème lié à la non adoption des IFRS par les États-Unis est le désavantage concurrentiel auquel feront face les entreprises américaines sur les marchés étrangers. Ainsi, pour les pays anglo-saxons, l’adoption des IFRS serait davantage une question d’accès aux marchés internationaux que d’amélioration de la comptabilité.

Le problème de la fiabilité

Bien que certaines études restent dubitatives quant à la supériorité des normes IFRS sur certaines normes nationales, l’apport substantiel du référentiel international en termes de pertinence n’est en général pas réfuté. Il fait en revanche l’objet d’un sérieux procès quant à la fiabilité des informations financières qu’il produit.

[Le concept de Juste valeur ](https://www.ifrs.org/issued-standards/list-of-standards/ifrs-13-fair-value-measurement/#:~:text=Nor%20does%20it%20establish%20disclosure,date%20(an%20exit%20price)prôné par les IFRS est dans la ligne de mire de la plupart des critiques formulées au sujet de la fiabilité des données comptables produites sous ces normes. Présentée comme la valeur d’échange d’un actif et la valeur d’extinction d’un passif à une date donnée, la juste valeur, couramment utilisée comme la valeur marchande ou valeur de marché, est supposée rendre les états financiers plus pertinents pour les décideurs et les investisseurs, afin d’éclairer leurs choix.

Seulement, l’application de cette notion autrefois très peu présente dans les référentiels nationaux hors du monde anglo-saxon, rencontre d’importants défis d’évaluation et ouvre la porte à diverses possibilités d’estimation et d’interprétation. En plus de compliquer la tenue d’une comptabilité de couverture, elle entraîne une volatilité des résultats, notamment en ce qui concerne les actifs financiers disponibles à la vente.

Les autres problèmes que pose la juste valeur sont reliés au caractère évolutif de sa mesure, à la valorisation des actifs qui affichent un faible nombre de transactions et aux risques de manipulation au service de la spéculation financière.

Cette latitude donnée aux dirigeants d’évaluer les actifs à leur valeur potentielle de marché est de nature à favoriser la comptabilité créative. De plus, la détermination de la juste valeur doit être fondée sur des informations fiables qui peuvent être difficiles à obtenir en temps réel. Ce qui implique que les entreprises auraient besoin de redéfinir leurs formules d’évaluation de la juste valeur, de réexaminer leurs facteurs de risque, et revoir leurs contrats de la dette, entre autres.

Il ressort donc globalement que la pertinence des états financiers semble plus renforcée sous les IFRS, tandis que leur fiabilité continue de poser un problème. La cause originelle étant la préséance que ces normes accordent aux investisseurs sur les autres parties prenantes (l’État, les créanciers, les salariés, entre autres). En militant à outrance pour une pertinence des informations financières à l’endroit des marchés, les normes rendent ces informations pauvres en fiabilité, notamment dans les pays où le système financier n’est pas axé sur le marché boursier.

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