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Propos polémiques : les parlementaires peuvent-ils perdre leur immunité ?

La député LFI Danièle Obono lors d'une manifestation contre la réfome des retraites en avril 2023. La député a été récemment prise à partie pour des déclarations sur le conflit israélo-palestinien. Or les propos tenus en dehors de l'hémicyle sont moins protégés que lors des débats parlementaires. Geoffroy Van Der Hasselt/AFP

Les propos de la députée La France Insoumise (LFI) Danièle Obono au sujet du Hamas sur micro de Sud Radio, ont créé un véritable remue-ménage au sein du monde politique.

Le parquet a ainsi été saisi par le ministre de l’Intérieur, estimant qu’ils relèvent de l’apologie du terrorisme, infraction sanctionnée à l’article 421-2-5 du code pénal. De son côté, Eric Ciotti, député Les Républicains (LR), a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée. Cette proposition est-elle recevable ? Que sait-on sur le statut pénal des parlementaires ?

Consacrée dès 1789 et définie à l’article 26 de la Constitution, l’immunité parlementaire assure aux membres du Parlement un régime juridique dérogatoire du droit commun dans leurs rapports avec la justice.

Celui-ci consacre l’immunité comme l’une des traductions du principe de séparation des pouvoirs, elle protège à travers ses membres l’Assemblée contre les intrusions du pouvoir judiciaire, voire du pouvoir exécutif qui pourrait instrumentaliser les poursuites afin d’exercer des pressions sur le Parlement. Elle ne doit donc pas être perçue comme une atteinte à l’égalité devant la loi, mais comme une protection de l’indépendance des parlementaires, garante de l’État de droit : si leur vote était soumis à pression, la loi ne serait plus l’expression de la volonté générale et des règles satisfaisant des intérêts particuliers pourraient s’imposer à tous.


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Irresponsabilité

Traditionnellement, cette immunité recouvre deux réalités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. La première interdit de rechercher la responsabilité juridique d’un parlementaire à raison des opinions politiques exprimées au sein de la chambre :

« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions » (art. 26 al. 1).

Elle est permanente : les propos et votes émis dans l’exercice des fonctions ne peuvent jamais donner lieu à poursuites ni à condamnation. Elle est également absolue : elle concerne tous les actes accomplis par le parlementaire « dans l’exercice de ses fonctions ».

Cela concerne tous les propos tenus dans l’Assemblée. L’élu qui abuserait de sa liberté de parole pour tenir des propos racistes, antisémites, homophobes… serait toutefois sanctionné par le Président ou le Bureau, pour insulte ou provocation au tumulte, comme l’ont récemment démontré les sanctions adoptées contre les députés Grégoire De Fournas (RN) et Thomas Portes (LFI).

L’importance du cadre des propos

La Cour de cassation a estimé que seuls les propos qui peuvent se rattacher aux titres IV et V de la Constitution consacrés respectivement au parlement et aux relations entre le parlement et le gouvernement, sont protégés et non pas les propos tenus dans un autre cadre politique : meeting, interview…

L’irresponsabilité protège le mandat et donc les fonctions parlementaires attachées à l’exercice de la souveraineté. Les propos émis par les parlementaires dans le cadre de leur fonction législative bénéficient de cette irresponsabilité, tout comme ceux tenus dans le cadre de l’activité de contrôle, qu’il s’agisse par exemple des propos tenus dans le cadre des questions au Gouvernement, des commissions d’enquête ou missions d’information.

En revanche, ne sont pas couverts par l’irresponsabilité des propos tenus à l’extérieur de l’Assemblée puisque ceux-ci ne peuvent être rattachés à l’une de ces missions, quand bien même le parlementaire aurait tenu ces propos es qualité. Cela a été le cas pour l’affaire Christian Vanneste – même si ensuite la condamnation du député a été annulée par la Cour de Cassation.

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Les discours prononcés en dehors des assemblées ne bénéficient donc pas de l’irresponsabilité et sont ainsi susceptibles d’être réprimés s’ils constituent une injure, une diffamation, une incitation à la haine, à la violence, voire l’apologie du terrorisme, et outrepassent les limites fixées à la liberté d’expression qui, comme le rappelle la Cour de cassation, sont d’interprétation stricte.

Inviolabilité

L’immunité garantit également l’inviolabilité de l’élu :

« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet en matière criminelle ou correctionnelle d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime flagrant ou de condamnation définitive » (art. 26 al. 2).

La protection offerte n’est pas une impunité, elle n’empêche pas la poursuite du parlementaire ni la recherche d’éléments visant à établir sa culpabilité.

Ainsi, en 2019, aucune intervention préalable de l’Assemblée n’a été requise avant de poursuivre Jean-Luc Mélenchon, député LFI, pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », suite à la perquisition houleuse des locaux de son parti en octobre 2018.

Mais le dispositif soumet à un examen de la chambre parlementaire la décision de limiter la liberté du parlementaire par une garde à vue, un contrôle judiciaire, voire une détention préventive. En effet, de telles mesures en restreignant sa liberté éloignent l’élu de l’Assemblée et l’empêchent d’exercer son mandat.

Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité n’est pas absolue. D’une part, elle cède devant la flagrance ou face à une décision devenue définitive. D’autre part, l’Assemblée peut lever l’immunité de l’un de ses membres.

Elle n’agit pas de sa seule initiative, mais doit être saisie. Les dispositions de l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires sont claires.

La demande doit être « formulée par le procureur général près la Cour d’appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la Justice, au président de l’Assemblée intéressée ».

Un dispositif qui protège le mandat et non l’individu

Il faut aussi noter que le parlementaire ne peut réclamer lui-même d’être privé de son immunité. Celle-ci protège non l’individu, mais le mandat et la fonction parlementaire associée à l’exercice de la souveraineté. Elle échappe à l’individu et ne peut faire l’objet d’une renonciation (CEDH 3 décembre 2009 Kart contre Turquie). La demande doit « indique[r] précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».

La levée de l’immunité ne sera valable que pour ces faits. Cette précision, autant que celle les mesures restrictives de liberté envisagées, doivent permettre au Bureau de se prononcer sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande. Il ne se prononce ni sur la qualification pénale ni sur la réalité des faits, qui ne relèvent que du juge. La décision est donc adoptée par une entité pluraliste, les différentes formations politiques de l’Assemblée étant représentées au sein du Bureau.

Cela permet d’éloigner le doute sur les motivations de la décision : elle n’est pas une mesure politique mais une décision adoptée dans l’intérêt de l’Assemblée par une instance qui reflète la composition de celle-ci et fait donc intervenir des membres de l’opposition et de la majorité. Des députés de l’opposition comme de la majorité peuvent donc voir leur immunité levée par l’Assemblée. Le 24 mai 2023, l’immunité parlementaire de Damien Abad, député apparenté au groupe Renaissance, a ainsi été levée. Par le passé, des députés d’opposition ont également pu être concernés.

Le 18 mars 2015, le Bureau a décidé la levée de l’immunité de Patrick Balkany, député d’opposition, mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale. Sa mise en garde à vue a dès lors été possible, tout comme son placement sous contrôle judiciaire.

Le fait que le ministre de l’Intérieur, membre de la majorité soit à l’initiative de l’action en justice n’a donc pas d’incidence sur le fond de la décision du Bureau, qui n’est pas lié par les actions du Gouvernement.

Danièle Obono peut-elle être poursuivie ?

Maintenant que l’état du droit est éclairé, nous pouvons nous demander si les propos tenus par la députée Obono au micro de Jean-Jacques Bourdin le 17 octobre peuvent être poursuivis. La question n’est pas ici de savoir s’ils sont constitutifs du délit d’apologie du terrorisme, mais si les poursuites sont possibles.

D’une part, les propos tenus en dehors de l’assemblée ne se rattachant pas aux missions législative et de contrôle du Gouvernement ne peuvent être protégés par l’inviolabilité. La responsabilité pénale de la députée peut donc être recherchée.

D’autre part, Eric Ciotti peut-il réclamer la levée de l’immunité parlementaire de la députée ? À notre connaissance le député n’est pas procureur général auprès d’une cour d’appel, il n’est donc pas compétent pour introduire cette demande.

Seul le procureur peut apprécier l’opportunité des poursuites et la nécessité de demander la levée de l’immunité s’il lui faut limiter la liberté d’aller et venir de la députée, soit avant le jugement par exemple par une garde à vue, soit après le jugement par une mesure privative de liberté.

En revanche, la convocation du juge aux fins d’audition, d’interrogation ou de mise en examen, voire la perquisition du domicile du parlementaire ou la fouille de son véhicule ou même sa condamnation à une peine n’entraînant aucune privation de liberté peuvent être prononcées sans qu’il soit nécessaire d’obtenir au préalable la levée de l’immunité. À tel point que certains s’interrogent sur la nécessité aujourd’hui de maintenir l’inviolabilité des parlementaires.

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