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Protection de la nature au Sénégal : les goulots qui entravent la gestion du Parc des oiseaux de Djoudj

Parc des oiseaux de Djoudji. Avec l'autorisation de Aby Sène-Harper.

Au Sénégal, la gestion efficace du Parc national des oiseaux de Djoudj, un des sites ornithologiques les plus importants d'Afrique, est entravée par des pratiques autoritaires héritées de la colonisation. Aujourd’hui, le parc est menacé par l’expansion de l'agro-industrie dans la région. Ce qui complique davantage les choses.

Situé dans le Delta du fleuve Sénégal,dans le nord du pays, le parc occupe 16 000 hectares comprenant un lac entouré de ruisseaux, d'étangs et de marigots. Chaque année, cet espace naturel accueille près de 360 espèces d’oiseaux pour un effectif total estimé à plus de 3 millions d’individus au plus fort de la saison (décembre), dont le pélican blanc, le héron pourpre, la spatule d'Afrique et les oiseaux migrateurs paleartiques . L'écosystème du fleuve est également une source importante de moyens de subsistance pour près de 25 000 ménages qui dépendent de la pêche comme revenu principal.

Mais l'importance du parc aujourd'hui n’est pas seulement liée à ses atouts sociaux et écologiques. Djoudj offre également une fenêtre importante pour réfléchir sur des questions plus critiques de la conservation de la nature et du développement rural au Sénégal et en Afrique. Des questions qui s’imposent depuis sa création jusqu’au contexte actuel des grands enjeux environnementaux et économiques.

Un régime autoritaire et militarisé

Le parc a été créé en 1971 par le gouvernement sénégalais dans le contexte d’un mouvement mondial de conservation basé sur un système de clôtures et de sanctions et une approche militarisée. Djoudj a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1981 et désigné un site RAMSAR en 2003. Ce qui intègre l'espace dans la convention internationale sur l'utilisation durable des ressources des zones humides. Depuis la création du parc jusqu’au début des années 1990, la politique des pouvoirs publics en matière d'exploitation et de gestion a été imposée aux communautés rurales de manière autoritaire. Les agents de la Direction des parc nationaux (DPN) ont officiellement obtenu un statut de paramilitaire en 1979, et la gestion de toutes les aires protégées au Sénégal leur a été confiée. La création du parc a entraîné l’expulsion des populations locales d’une partie de leur terroir.

De cette politique autoritaire et exclusive datant de la période coloniale en Afrique avec la mise en réserve totale des ressources naturelles pour leur protection sont nés des conflits récurrents entre l’administration du parc et les populations, au détriment des efforts de conservation qui avaient poussé à la création de l’aire protégée.

Dans le contexte de l’évolution sur le plan international vers un mouvement de gestion participative des aires protégées, Djoudj fut le premier parc au Sénégal à bénéficier d’un Plan intégré de gestion en 1994. Ceci bien avant même que le gouvernement adopte la loi sur la décentralisation en 1996 sur l'ensemble du pays. Ce premier plan de gestion intégrée a été élaboré et mis en œuvre grâce à la collaboration entre la DPN, les populations locales et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Le plan comprend la création d'un organe local consultatif composé des chefs de village et d'une association de 35 écogardes des villages périphériques. Un projet d'écotourisme avec un campement villageois a également été créé comme activité économique clé pour les populations locales.

Djoudj fut un modèle de gestion participative pour le Sénégal et le Plan de gestion intégrée a été mis en oeuvre dans les autres parcs nationaux et réserves naturelles du pays. Néanmoins, la DPN demeure dans un système paramilitaire, ce qui rend assez difficile l'appropriation des normes exogènes par les agents des parcs. Et si depuis 1994 l’approche participative se diffuse au sein de la Direction, elle peine à s’imposer et reste généralement suspendue à une rhétorique qui cède souvent la place à des pratiques souvent peu soucieuses du sort des populations.

Effets des transformations sociales et environnementales

Aujourd'hui, près de trois décennies plus tard, quels bilans et leçons pouvons-nous tirer de l'expérience de Djoudj pour nourrir la réflexion sur l'avenir des aires protégées au Sénégal?

Les retombées du plan de gestion intégrée restent maigres, alors que les populations continuent de lutter contre la pauvreté et perdent de plus en plus l'accès aux ressources naturelles à cause des effets du changement climatique et des transformations sociales et environnementales qui sévissent dans la région. Ces effets conduisent aussi à un déclin continuel de la faune et flore dans le parc.

L’avancée de l'agro-industrie dans la région cause particulièrement des menaces incommensurables pour les populations et la biodiversité.

Tout d'abord, les écosystèmes fluviaux ont été complètement altérés par la construction du barrage de Diama achevé en 1986. Ceci a favorisé la prolifération des espèces envahissantes comme le Typha domingensis et Salvinia molesta qui bloquent des cours d'eau importants pour le parc. Depuis le début des années 2000, les plans nationaux de développement économique ont donné lieu à une croissance insoutenable d’agriculture à grande échelle dans le delta du fleuve Sénégal.

Les travaux de l'économiste agraire Rama S. Dieng mettent en lumière la dynamique de cette ruée vers les terres dans la région, ouvrant les portes aux agro-industries internationales et renforçant les inégalités socio-économiques dans le secteur agricole. Cette ruée a aussi mené à un empiètement agricole de 22,6 % sur la superficie de la zone tampon du Djoudj menaçant ainsi l’intégrité du parc.

En outre, des casiers rizicoles placés aux abords du parc orientent le plus souvent leurs canaux de drainage vers le parc. Ces rejets d’effluents agricoles contribuent d’année en année à eutrophiser les plans d’eau de Djoudj.

Une étude récente démontre que la cause principale du déclin des populations d’oiseaux en Europe est l’agriculture industrielle. Ce sont ces mêmes industries agricoles qui occupent aujourd’hui le terroir du Delta du fleuve Sénégal. Au cours des dernières années, la mort de plusieurs centaines de pélicans, l’augmentation des cas de grippe aviaire et l’empoisonnement des sources d’eaux des riverains inquiètent les populations locales et les conservationnistes.

Il est clair que la nature et les populations de Djoudj sont confrontées à un ennemi commun, à savoir l'expansion de l'agriculture commerciale qui est principalement destinée à la production de produits de base pour l'exportation. Pourtant, pendant des décennies, une grande partie des efforts des ONG environnementales et du gouvernement pour sauvegarder Djoudj partait du principe que les riverains représentaient la plus grande menace. Ainsi ils ont orienté des ressources énormes vers des campagnes de sensibilisation et activités alternatives génératrices de revenus avec peu effets.

Des questions se posent aujourd’hui sur la pertinence et l’efficacité des plans de gestion intégrée et participative des aires protégées destinées à la conservation de la nature et au développement rural au Sénégal.

Djoudj n’est pas un cas unique ni au Sénégal ni en Afrique où les systèmes de gestion des ressources naturelles demeurent autoritaires. Les grandes politiques de développent nationales orientent les priorités des États vers des structures qui accélèrent la détérioration de l’environnement et l'appauvrissement des populations rurales.

Une vision progressive pour sauvegarder la nature

Quelle vision plus progressiste doit donc orienter nos réflexions sur la gouvernance des aires protégées en vue d’assurer à la fois la protection de la nature et de la vie culturelle, sociale et économique des populations?

Au Sénégal, les questions du régime autoritaire de la gestion des aires protégées et celles du foncier sont incontournables. La gestion autoritaire des parcs et le système militaire sont l'un des héritages les plus durables de l'administration coloniale. La culture militaire qui perpétue souvent un régime autoritaire continue de façonner les relations de collaboration entre les populations locales et les responsables du parc.

Une autre question critique, souvent omise dans les discussions sur la conservation au Sénégal, est celle de la terre. Les données scientifiques suggèrent que les connaissances écologiques traditionnelles et les systèmes de gouvernance des ressources autochtones sont primordiales pour la conservation de la biodiversité.

Au Sénégal, les forêts et mangroves sacrées des Diolas en Casamance, dans la région sud du pays, sont un exemple concret de l’importance du système de gestion autochtone pour sauvegarder la nature. Les populations riveraines du Delta du fleuve Sénégal ont également des pratiques durables de pêche, d’agriculture et d’agropastoralisme basées sur leurs coutumes. La Réserve Ornithologique de Kalissaye a Kafountine en Casamance, où les Diolas de Karone vivent dans les limites de la réserve et sont bien impliqués dans les aspects clés de la gestion offre un modèle de base à émuler.

La mise en place d'un régime foncier communautaire sécurisé dans lequel la loi renforce la propriété et le pouvoir de décision des communautés locales leur permet de négocier avec les intérêts privés et étatiques. Il est aussi important que ce régime de gestion des terres assure la participation de différents groupes sociaux actuellement marginalisés comme par exemple les femmes.

En outre, de nombreux cas à travers l'Afrique, y compris au Sénégal, nous indiquent que la sécurisation du régime foncier communautaire avec une participation de toutes les classes sociales peut agir comme un pare-feu contre les pratiques socialement et écologiquement nocives. Elle permet également aux communautés locales de mettre en pratique leurs systèmes coutumiers de gestion des ressources avec une éthique de conservation intégrée.

Afin de sauvegarder la biodiversité au Sénégal, les ressources nationales destinées à la conservation doivent donc absolument s’orienter vers la sécurisation d’un régime foncier communautaire pour les populations qui habitent autour des aires protégées, le renforcement de leurs systèmes coutumiers de gestion de l’environnent, et l’augmentation de leurs capacités politiques à combattre l'utilisation destructive des ressources naturelles.

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