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Quand la transformation numérique déboussole les conseillers en gestion du patrimoine

« Aujourd’hui, tout me paraît archi compliqué, je suis un peu perdu », admet un conseiller. Mojo cp / Shutterstock

Comment la transformation numérique est-elle vécue par les conseillers en gestion de patrimoine ? Une étude, effectuée dans le cadre d’un mémoire de master au sein de l’École de Management de Normandie, s’est penchée sur cette question. L’objectif était de recueillir des témoignages sur le terrain auprès de conseillers sur la manière dont ils perçoivent leur quotidien avec l’essor de nouveaux outils et processus.

Tout d’abord, il en ressort que la légitimité de la transformation fait l’unanimité auprès des conseillers. Celle-ci s’inscrit dans l’air du temps et les banques doivent opérer des stratégies afin de faire face à la concurrence, mais aussi s’adapter à l’ensemble des changements économiques, sociales et législatifs. C’est « une transformation légitime pour plus de proximité avec le client », précise ainsi un interviewé. L’importance et l’obligation de s’inscrire dans le numérique pour la banque a en effet pour but, selon la plupart des conseillers, de suivre le client dans son évolution.

« Pas tous égaux face au numérique »

Cependant, lorsqu’ils évoquent la transformation numérique de leur métier, ils en parlent comme un processus imposé et nécessaire. Cette mutation de leur métier n’est pas forcément bien accueillie, même s’ils comprennent qu’elle doit être effectuée pour rester sur le marché. Deux conseillers utilisent presque les mêmes termes pour parler de la transformation du métier : « pas le choix, on est obligé d’avancer » et « il faut qu’on se transforme pour avancer, il n’y a pas de miracle ».

Le premier reproche concerne la politique de formation au sein des banques pour préparer ses conseillers. « Aujourd’hui, tout me paraît archi compliqué, je suis un peu perdu » confie un conseiller, qui concède que « c’est peut-être un problème de génération ». Une autre conseillère déplore justement l’absence d’adaptation de la formation aux personnes pour lesquelles le changement peut poser problème : « je pense qu’il faudrait avoir un accompagnement individualisé parce que, pour le coup, on n’est pas tous égaux face au numérique ».

Certains regrettent que les formations aux nouveaux outils ne soient pas adaptées au cas par cas. Blue Planet Studio/Shutterstock

Une autre facette de leur quotidien a été dévoilée par ses conseillers et sur laquelle ils sont unanimes : ce passage vers le digital n’est que partiel. « On a fait un pas, mais si on voulait bien faire, il ne faudrait pas en faire qu’un seul », soulignant par exemple l’obligation légale du format papier pour un certain nombre d’opérations.

Rythme de travail plus intense

Les conseillers notent que la transformation de leur métier n’est pas seulement due à un environnement modifié par le digital. L’environnement législatif a en effet un impact aussi important que le digital. Ce dernier provoque un poids administratif imposé et croissant. Cette lourdeur administrative est autant dérangeante pour eux que pour les clients. Elle affecte l’expérience client, enjeu essentiel aujourd’hui.

Un conseiller explique, agacé, que « la majorité de l’administratif se fait par papier, ce qui ne s’inscrit pas dans une démarche de développement durable, ni dans l’air du temps avec le développement des outils digitaux. Cette spécificité des produits des clients patrimoniaux et cette lourdeur des procédures causent du tort à la fois à la banque mais aussi à ses employés ». Un autre confie, inquiet sur le devenir de son quotidien au travail : « on est en train de parler d’économie verte, mais quand on voit le volume de papiers consommé c’est affolant ».

Les obligations légales entraînent une situation où digital et papier co-existent. Eggeegg/Shutterstock

Cette situation hybride, avec le digital qui n’a pas remplacé le papier, a intensifié le rythme et le volume du travail. Le rythme provoque de la frustration chez les conseillers qui considèrent avoir de moins en moins de temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée. « J’ai moins de temps pour réfléchir sur les dossiers » se désole par exemple une conseillère. Une autre souligne « qu’on n’a pas assez de recul pour réfléchir aux problématiques des clients. On n’a pas assez de temps malheureusement et c’est frustrant ».

Enfin, les conseillers pointent l’impact de ce rythme sur leur disponibilité pour leurs clients, ces derniers étant pourtant demandeurs de contacts et de conseils personnalisés. « Nous avons une clientèle exigeante donc aujourd’hui il faut quand même être disponible. J’ai peur que demain on ne le soit plus » s’inquiète un interviewé.

L’immersion dans le quotidien des conseillers patrimoine dans les banques dépeint un tableau mitigé sur l’impact du digital. Le digital est désormais essentiellement présent dans ce métier comme dans bien d’autres mais il est encore essentiel de continuer l’accompagnement pour absorber l’appréhension et le stress. Il est à souligner que le passage doit être aussi généralisé et qu’une prise de conscience du législateur est essentiel pour être en osmose avec la réalité des institutions bancaires en particulier et des entreprises d’une manière générale.


Cet article s’appuie sur le mémoire de master de Donia Damni, diplômée de l’EMN.

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