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Quand les « serious games » deviennent des outils d’accompagnement des patients

Les jeux sérieux sont au sens large toute forme d’activité ludique dont la finalité est informative ou pédagogique. Vadim Zakharishchev / Shutterstock

Et si un jeu pouvait accompagner un jeune enfant asthmatique et sa famille ? Et si un jeu pouvait responsabiliser un enfant de 9 ans face à son diabète ? Ces jeux existent, ils permettent pour « Effic’asthme » de former et de rassurer les parents et leurs jeunes enfants face à l’asthme et « Glucozor » propose à l’enfant diabétique de prendre soin d’un compagnon virtuel en respectant les contraintes qui s’appliquent à lui-même.

Au fur et à mesure que le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo supplante celle du cinéma et que les jeux vidéo sont reconnu comme un art à part entière, leur utilisation à d’autres fins que purement ludiques n’étonne plus. C’est ainsi qu’au fil des ans et des révolutions technologiques les jeux sérieux (ou « serious games ») sont entrés dans la vie des organisations. Si la littérature s’accorde à dire que les jeux sérieux sont au sens large toute forme d’activité ludique dont la finalité est informative et/ou pédagogique, le terme fait, dans l’imaginaire collectif, référence aux jeux vidéo ayant cette finalité. S’ils sont utilisés par les organisations pour recruter pour former ou pour informer nous souhaitons ici évoquer une utilisation précise : former les patients dans le suivi d’une maladie chronique.

Informer et rassurer grâce aux serious games santé (Doctissimo, 2013).

Un médiateur idéal

Alors que des contraintes budgétaires pèsent lourdement sur l’hôpital public et que de nombreux services hospitaliers assurent leur mission de service public en étant en sous-effectif, les besoins d’accompagnement des patients demeurent, et à mesure que la figure du patient expert se consolide (le patient comme expert et acteur de son propre cas), la nécessité d’un socle de connaissances communes au personnel soignant et aux patients et leur entourage est criante. Les patients ont de plus en plus de questions et le personnel de moins en moins de temps pour y répondre.

C’est ici que les jeux sérieux nous semblent être un médiateur idéal entre les patients et le personnel soignants afin d’améliorer la coproduction de soins ou de suivi entre le personnel soignant et les patients. Les jeux sérieux vidéoludiques sont un médium qui va permettre de montrer au patient ce qu’il peut attendre de l’institution de santé et ce que l’institution attend de lui.

Nos deux exemples utilisent des ressorts propres aux jeux vidéo : le premier est un simulateur qui va permettre aux parents d’un jeune enfant asthmatique (le jeu est prévu pour l’accompagnement des enfants de 0 à 5 ans) de se former à mieux gérer les crises de leur enfant, à les anticiper et à savoir comment réagir. Le jeu vidéo permet ici l’interaction, la possibilité de simuler différents scénarios et de voir les différentes modélisations en adaptant les différents paramètres de l’asthme de leur enfant et même de rédiger un carnet de suivi.

En rendant l’information accessible, scriptée et dédramatisée (il est beaucoup plus réconfortant de se former sur un bébé virtuel lorsqu’on le souhaite que de devoir réagir dans l’urgence face à une crise de son propre enfant) ce jeu, très proche d’une simulation, a un double intérêt : former les parents à avoir la meilleure réaction en cas de crise et permettre de désengorger les structures d’urgence avec des prises en charge qui ne seraient pas nécessaires voire contre-productives. Ici, la répétition des différents scénarios via les modélisations forme les parents à être experts de l’asthme de leur enfant.

Dans le cas de Glucozor, nous voyons un jeu qui permet une mise en abîme de la condition de l’enfant et, grâce à elle, l’apprentissage par l’enfant diabétique des gestes du quotidien. En effet, Glucozor contient tous les marqueurs d’un jeu de gestion pour enfant : il s’agit d’élever et de s’occuper d’un petit dinosaure dont on choisit le nom, le poids et la couleur et dont on renseigne les seuils de glycémie. Il pourrait s’agir d’un poney, d’un chat ou d’une plante à arroser régulièrement (Plante Nanny est un jeu qui vous rappelle à quel moment vous hydrater !), mais c’est d’un charmant dinosaure diabétique dont l’enfant doit prendre soin.

GlucoZor, un jeu éducatif sur le diabète (Dinno Santé, 2015).

Un apprentissage ludique à répétition

Destiné directement aux enfants (entre 8 et 11 ans pour une fourchette étroite) le jeu correspond en tout point aux standards de ce type de jeu, ce qui lui permet d’être attractif et plus encore de prolonger l’expérience de jeu et la rejouabilité (ce qui est trop souvent une limite des jeux sérieux). L’enfant, en prenant son dinosaure, va se former à prendre soin de lui-même. Motivé par la perspective de débloquer de nouvelles activités pour son dinosaure, il va faire de son mieux pour répondre à des quizz thématiques portant sur les aménagements du quotidien. Autre élément typique de la ludification (c’est-à-dire : le fait d’insérer des ressorts issus des jeux vidéo dans un médium ou une activité) la présence d’un score et d’un classement va augmenter plus encore la rejouabilité.

Le suivi du dinosaure par l’enfant permet à celui-ci d’assurer son propre suivi grâce à un système d’alerte portant sur le dinosaure. La volonté de traiter son animal au mieux assure que l’enfant va prendre connaissance et mémoriser les bonnes pratiques. Enfin, la rejouabilité et la possibilité de modifier les paramètres « garantissent » un apprentissage par la répétition qu’aucune plaquette informative ou discours d’un diabétologue ne pourrait assurer. Plus encore, ce dispositif ludique permet de responsabiliser l’enfant et de lui répéter des informations cruciales sans le froisser, ce qui peut être un soulagement pour les adultes, parents comme praticiens.

Dans l’organisation comme à l’école, les jeux sérieux n’ont pas vocation à se substituer aux formateurs ou aux praticiens. Les jeux sérieux sont des modes de communication alternatifs, des véhicules pédagogiques, qui du fait de leur spécificité de conception et d’utilisation, permettent une présentation synthétique et potentiellement exhaustive des scripts cognitifs nécessaires à l’apprenant.

Une pédagogie inclusive

Ici, des scripts de soin qui vont permettre à l’utilisateur d’acquérir et de faire virtuellement l’expérience du socle de connaissance lui permettant d’être acteur de son suivi médical (ce qui est essentiel dans la prise en charge de maladies évolutives chroniques comme l’asthme ou le diabète). Le joueur peut ainsi être un interlocuteur éclairé et réceptif lors de ses échanges avec le personnel médical. En cela les jeux sérieux nous semblent être des médiateurs très utiles et participent à la consolidation de la relation de soin, plus encore s’ils sont implantés dans le parcours de soin avec l’aval d’un personnel soignant qui aura été formé aux jeux.

Dans les deux cas que nous présentons, l’objectif est d’accompagner de jeunes patients et leur famille. Les parents et les jeunes enfants ne sont pas les seules cibles des jeux sérieux à visée médicale, il existe aussi des dispositifs pour former le personnel soignant et les étudiants en médecine de même que des dispositifs vidéoludiques pour accompagner et stimuler les malades d’Alzheimer ou encore les personnes devant faire de la rééducation motrice ou respiratoire.

Plusieurs éléments nous permettent de croire que l’inclusion de jeux sérieux dans l’accompagnent des patients est une tendance lourde amenée à durer : En premier lieu, les besoins de soin et d’accompagnement de maladies chroniques grandissant fait émerger une demande exigeante d’accompagnement dans le parcours de soin de la part des patients. D’autre part, la part croissante que prennent les jeux vidéo et les outils digitaux dans les loisirs culturels des Français parmi lesquels des médecins, praticiens et les autres parties prenantes de ce type de projet. Enfin, la baisse des coûts de développement et de distribution des jeux (de plus en plus des applications pour mobile) et la souplesse de conception et de mise à jour ainsi que les potentiels créatifs que les innovations numériques successives.

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