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Quelles réformes pour l’université ?

Manifestations pour accorder plus de moyens à l'université. Loic Venance/AFP

Suite à l’article « Les universitaires, des gendarmes et des “rétrogrades” », je ne peux qu’être opposé à cette façon de concevoir le devenir de l’université et, donc, en ce qui me concerne, je maintiens que l’université appartient à tout à chacun : toutes personnes désireuses d’apprendre, de se former… (avec une entrée sans sélections !).

Elle n’appartient, aussi, en aucun cas aux enseignants-chercheurs, « embrigadés » dans leurs « pseudo-disciplines », protégés par un CNU (Conseil National des Universités) qui recrute, promeut, évalue…

Il faudrait, en plus, maintenant, que l’université sélectionne, où allons-nous ? Vers la mort de l’université ?

Lectio et disputatio

Rappelons que le terme université désignait (XIe siècle) une organisation regroupant l’universalité des collèges étudiants. La pédagogie consistait en la lectio (lecture) et la disputatio (dispute), sorte de débat contradictoire.

Alors, « disputons-nous » avec les « maîtres », partisans d’une université type « grandes écoles », avec sélections, iniquité, inégalitarisme forcenés…

J’évoquerais, pour commencer, quelques articles, peut-être, parfois, « extrêmes » dans leurs propos, mais je laisserai aux lecteurs, le soin de dénicher les vérités assénées, dévoilées, suggérées…

Donnons la parole à Philippe Gillet, l'ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse quand elle était ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, en préface du livre de l'historien François Garçon Le dernier verrou  :

Le Conseil National des Universités (CNU) est voué à disparaître car il est impensable qu’aujourd’hui encore les universités sous-traitent à un organe extérieur ces deux actes essentiels qui font leur renommée et forgent leur recherche et leurs enseignements… l’ouvrage de François Garçon me conforte dans cette conviction. Beaucoup de ce qu’il raconte, je l’ai vécu. Ce livre montre à quel point le CNU est désuet, hors du temps, loin des réalités de l’université d’aujourd’hui. Ce CNU, aucun universitaire étranger ne nous l’envie.

La disputatio est lancée, lisons donc, maintenant, François Garçon. Pour cet auteur la guerre des cerveaux a commencé et c’est dans l’enseignement supérieur qu’elle se dispute en priorité :

Inconnu du grand public, au cœur de l’enseignement supérieur français se trouve le Conseil national des universités. C’est lui qui décide quels sont les jeunes docteurs pouvant candidater à un poste de maître de conférences dans l’université française, c’est encore lui qui juge quels sont les maîtres de conférences aptes à devenir professeurs et quels sont les enseignants-chercheurs méritant honneurs et récompenses (primes, changement de classe, congés sabbatiques, etc.).

Ça n’est pas tout : en dépit du toussotement de certains, le CNU s’apprête maintenant à évaluer individuellement les enseignants-chercheurs. C’est dire les prérogatives de cette gigantesque institution de près de 1 500 membres, élus sur des listes syndicales fermées pour les deux tiers d’entre eux. Osons dire que ces pairs ne sont ni les meilleurs, ni les mieux inspirés dans les disciplines qu’ils sont supposés défendre. Tout l’atteste : l’enseignement supérieur français ne cesse de perdre de son lustre. Ne cherchez pas : la faute en revient principalement au CNU. Preuves à l’appui.

Le livre de François Garçon s’applique à montrer que le CNU n’est pas uniquement une machine incontrôlable, abandonnée et que ses dysfonctionnements desservent la recherche française et ceux qui l’animent.

Selon cet auteur, en France, le développement de la recherche, les formations des étudiants, chercheurs, futurs enseignants, ne pourront évoluer que dans la mesure où notre CNU aura disparu…

Tares françaises

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse, le niveau des étudiants, l’excellence parfois, ne doivent rien au hasard : dans ces trois pays, les universités sont dynamiques, bien gérées, les professeurs correctement payés, les étudiants sont écoutés et traités en adultes responsables.

Mais, pourrait-on dire, ces universités de rêve sont privées, élitistes et réservées aux « riches »… Clichés, nous dit François Garçon : ces établissements, très différents de nos « grandes écoles » qu’ils ringardisent, sont principalement publics et, quand ils ne sont pas gratuits, innovent en matière de droits d’admission.

La qualité universitaire tient aussi à la rigueur dans les recrutements, à l’évaluation des professeurs et à la gouvernance encadrée des établissements. Or, de l’« excellence » de l’enseignement supérieur dépend l’avenir d’un pays. L’enjeu est donc vital.

Les tares françaises sont, donc, à corriger d’urgence et au lieu de fantasmer sur le modèle américain, inexportable, notre pays devrait s’inspirer d’autres exemples européens…

Le livre de François Garçon raconte tout cela avec moult détails. Il appelle à la disparition du CNU. Il a raison parce que quand ce sera le cas, les universités françaises seront mûres pour se confronter avec succès aux plus grandes.

Pour cet auteur, à la lecture récurrente des résultats médiocres qu’affichent les universités françaises quand on les compare avec leurs consœurs étrangères – médiocrité qui contamine toutes nos « grandes écoles » –, qui oserait prétendre que la responsabilité du CNU est dégagée de ce terne bilan ?

Difficile il est vrai de prétendre gérer de manière quasi-monopolistique les trois moments clés dans une carrière d’universitaire qui sont l’accès aux postes, les promotions puis l’évaluation de tous les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur français sans être tenus symétriquement pour responsable du bilan global du secteur.

Un des objectifs important, nécessaire aussi, d’une réforme des universités, serait d’assurer l’émergence d’une culture de l’évaluation dans l’enseignement supérieur français, que capte aujourd’hui un organisme sans légitimité autre qu’électorale, légitimité invoquée de manière incantatoire.

On peut affirmer, aussi, que la science y trouvera son compte en réformant l’enseignement supérieur.

Le CNU disparu, restera aux universités françaises à développer leur propre culture de l’évaluation scientifique, domaine où pour le moment, trop souvent verrouillés par le népotisme, elles « pataugent » presque toutes.

Ce faisant,elles devront alors s’attaquer à un autre problème rarement nommé, présent à tous les étages de l’enseignement supérieur français et bien mal géré à ce jour : la déontologie.

Catastrophe sociale

Continuons la disputatio avec un autre auteur, Christophe Granger, qui dans son livre La destruction de l’université française nous décrit, à sa façon, les difficultés de notre enseignement supérieur.

Selon cet auteur, l’université française est devenue le théâtre d’une catastrophe sociale avant même d’être intellectuelle.

Pour assumer ses missions, elle s’est en effet peuplée de précaires, de contractuels, de chômeurs, d’auto-entrepreneurs forcés et même, précise l’auteur, de travailleurs au noir.

Et ce sont des enseignants et des chercheurs qui sont souvent payés sous le SMIC, parfois même en nature, recrutés à la va-vite, contraints pour certains d’officier sous des noms d’emprunt.

Ces chercheurs sont condamnés à enchaîner les contrats courts et à les relier par des périodes de chômage. Et tous ces précaires, jeunes, hautement diplômés et dont on serait bien en peine de prouver qu’ils enseignent ou qu’ils cherchent moins bien que les autres, l’université les réduirait à rien, c’est-à-dire à l’absurde.

Elle bafouerait donc leur travail et détruirait, en conséquences, leur existence. Elle ne les priverait pas seulement des moyens d’exercer décemment leur métier et même de l’exercer tout court. Elle les condamnerait à une forme de vie professionnelle sans avenir. Bien sûr, le gâchis serait immense.

Et l’auteur de surenchérir et de souligner que beaucoup de chercheurs renoncent, au prix d’une gigantesque perte collective de talents et de savoir-faire.

Certains, complices involontaires de l’univers qui les précarise, ne songent souvent pas même à remettre en cause le sort qui leur est fait. Ils seraient prisonniers de ce silencieux chantage au poste qui les conduit à accepter tout, à sacrifier tout, et toujours un peu plus, dans l’espoir de gagner, un jour peut-être, le rang des statutaires.

Pour Christophe Granger, la recherche scientifique ne tient encore debout que parce qu’elle repose sur une armée de contractuels, de vacataires et de docteurs sans poste.

Et ces chercheurs-là, chargés de conduire petitement les grands travaux pensés par d’autres, et placés en position de ne jamais en voir le terme, sont sommés d’abdiquer à la fois la libre conduite de leurs recherches et la libre détermination de leurs objets de recherche, c’est-à-dire très exactement les principes qui fondent tout l’esprit scientifique.

Cette précarité serait dès lors l’annonce d’un futur désastre car elle exercerait ses effets bien au-delà de ce que l’on pourrait entrevoir : elle désorganiserait les formes collectives du métier.

Les postes qui se libéreraient, échapperaient aux procédures et aux garanties de l’État, ils relèveraient souvent du bon vouloir des titulaires et favoriseraient l’arbitraire et le clientélisme.

Un des effets pervers de cette politique discriminatoire serait qu’elle condamnerait les chercheurs à une docilité et à une stricte observance des liens hiérarchiques, qui les disposeraient à tous les conservatismes : pour obtenir ou pour garder leur poste, ils seraient bien inspirés de renoncer au désir, si profondément nécessaire pourtant, d’œuvrer à la rénovation critique des manières de faire et de penser la science.

Urgence à réformer

Et, pour terminer sur ces louanges de l’université françaises, revenons avec François Garçon dans un entretien sans concession sur les élites hexagonales.

L’auteur ne mâche pas ses mots sur le mode de fonctionnement endogène des élites françaises : « Motivées par la rente et la toute puissance que leur procurent leur diplôme », cette exception française expliquerait nos blocages à l’aune des comparaisons internationales.

Selon lui, la France est un cas unique, en Europe : notre « excellence » est purement scolaire, basée sur des connaissances apprises et recrachées par cœur. Elle vous permet d’accéder à un poste où vous serez indéboulonnable, votre vie entière !

Le milieu des grandes écoles françaises, celles qui procurent les vraies rentes de situation, est donc totalement étriqué. L’Angleterre peut aussi avoir certains rentiers et s’il s’en trouve, ils sont peu nombreux et sont plutôt passés par le doctorat.

L’exercice de la thèse est unique, en ce sens qu’elle est un très long chantier, un exercice d’humilité qui s’éternise sur plusieurs années. Une thèse vous oblige à connaître tout ce que vos prédécesseurs ont écrit sur le domaine que vous découvrez et cela dans toutes les langues.

Au final, cet interminable marathon se termine devant un jury, qui souligne les faiblesses qui subsistent dans votre chef d’œuvre. La thèse est, donc, un exercice intellectuel qui exige une grande humilité doublée d’une détermination sans faille. On est, ainsi, aux antipodes du concours avec classement final, sur sujet imposé, le tout chronométré.

Pour Garçon, le fondamental serait néanmoins : « que deviennent les étudiants ? ». Notre offre de formation est-elle adaptée au marché ? Poser cette question n’est pas se soumettre aux « diktats du grand capital », mais rendre service à des jeunes dépourvus de tout repère… on peut le croire !

On peut penser à la lecture de ces auteurs qu’il y a urgence à rénover l’enseignement supérieur, les formations, l’accès aux études, les relations avec les grandes écoles, la mainmise sur les structures de décisions, de pouvoir, des diplômés des grandes écoles… nous le pensons.

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