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Recrutements académiques : les quotas de genre, tremplins pour l’égalité ?

Les femmes ont-elle eu plus de chance d’être recrutées lorsque l'on a changé le fonctionnement des comités de sélection ? Shutterstock

La sous-représentation des femmes dans le secteur académique est une réalité dans l’ensemble de l’Europe, comme le démontre le rapport SHE 2018 publié par la Commission européenne. Alors qu’elles représentent 47 % des doctorants, elles ne sont que 40 % des professeurs de grade C (équivalent au statut de maître de conférences) et seulement 23 % des professeurs de grade A – équivalent au statut de professeurs des universités).

La France ne fait d’ailleurs pas partie des bons élèves au sein de l’Union européenne (UE) : alors que 42 % des chercheurs en moyenne dans l’UE sont des femmes, cette proportion descend à 35 % en France, derrière l’Allemagne (39 %), l’Italie (41 %) et le Royaume-Uni (45 %).

Cette situation pourrait s’expliquer par la discrimination que subiraient les femmes de la part de leurs collègues masculins, lors de la phase de recrutement. Avec cette hypothèse, il suffirait d’augmenter la proportion de chercheuses dans les comités qui prennent les décisions de promotion et de recrutement pour que les femmes soient mieux représentées dans le monde académique.

C’est chose faite en France depuis le 1er janvier 2015. Désormais les comités de sélection pour les postes de maître de conférences et de professeur des universités doivent être composés d’au moins 40 % d’hommes et 40 % de femmes. Cette réforme a-t-elle amélioré la place des chercheuses ? C’est l’objet de l’étude que nous avons menée à partir des données administratives de 455 comités et 1 548 candidats.

Derrière les statistiques

La proportion moyenne de femmes dans les comités de sélection est passée de 39 % avant la réforme à 47 % après 2015. En cela, l’objectif législatif a été atteint. En outre, il faut prendre en compte le statut des nouvelles entrantes pour s’assurer que l’équilibre au sein des comités de sélection a réellement été modifié. En effet, dans ces comités de recrutement, au moins la moitié des membres doivent être extérieurs à l’université, ce qui limite leur influence sur les décisions du comité.

Le poids académique des membres peut également jouer un rôle significatif. Les femmes peuvent donc être choisies soigneusement de sorte qu’elles n’influencent pas les décisions des comités. Mais dans les données la plupart des « nouveaux » membres féminins de ces comités sont internes à l’institution, et ne semblent pas être moins qualifiés que les membres masculins qu’elles remplacent. Il est donc probable qu’elles ne seront pas mises en minorité lors des discussions au sein du comité.

Toutefois, la réforme n’impose aucune contrainte sur le sexe du président du comité. Or, celui-ci peut décider de la composition du comité et il a voix prépondérante, en cas de partage des voix lors du classement des candidats. L’étude constate que la réforme n’a pas eu d’influence sur la proportion de présidentes de comités, ce qui concorde avec d’autres travaux sur les quotas dans les conseils d’administration (Rébérioux Roudault, 2016).

Contrecoup inattendu

Enfin a-t-elle eu l’effet de ruissellement escompté ; les femmes ont-elles eu plus de chance d’être recrutées lorsque l’on a changé le fonctionnement des comités de sélection ?

Certains laboratoires dont les disciplines sont très féminisées, comme la biologie ou la psychologie, atteignaient de facto déjà les quotas avant que ceux-ci ne soient imposés. D’autres, comme les laboratoires de maths ou de physique, sont bien plus contraints. Dans l’étude, les laboratoires les moins féminisés ex ante et donc les plus touchés par la réforme sont affectés au groupe de traitement, tandis que les plus féminisés font partie du groupe de contrôle.

Nous pouvons ainsi comparer l’évolution des classements des femmes entre ces deux groupes, tout en prenant en compte l’effet d’autres facteurs comme les citations des candidats et les connexions qu’ils établissent pendant leur thèse. Les résultats sont frappants : alors qu’avant la réforme les laboratoires peu féminisés semblent favoriser les femmes, cet effet disparaît avec la réforme, et devient même négatif à la fin de la période étudiée.

Selon les hypothèses sur l’interprétation des coefficients, 15 à 38 % de chercheuses n’auraient pas été recrutées à cause de la réforme dans l’échantillon étudié.

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Agir sur les stéréotypes

On peut avancer deux suppositions : soit les femmes préfèrent recruter des hommes, soit les hommes changent de comportement suite à la réforme. Généralement, les classements finaux sont votés à l’unanimité par les membres des comités. Il est donc impossible de distinguer les comportements individuels des jurés pour pouvoir répondre exactement à cette question.

Néanmoins, un résultat de l’étude étaye la seconde hypothèse. L’effet négatif de la réforme provient uniquement des comités avec un président masculin ; cela concorde avec d’autres travaux qui ont analysé la féminisation des comités de recrutement en Espagne et en Italie (Bagues, Sylos-Labini et Zinovyeva, 2017).

Faut-il y voir un backlash des hommes en réaction à la réforme ? Ou l’expliquer par le remplacement d’une motivation intrinsèque par une nouvelle norme ? En fait, les mécanismes derrière cette inversion des biais sont encore à déterminer. Il semble en tout cas que ces comités paritaires n’aident nullement les femmes à être recrutées.

Par ailleurs, dans les disciplines peu féminisées, les chercheuses sont plus sollicitées pour participer aux comités de recrutement que leurs collègues masculins. La réforme augmente donc la charge administrative des chercheuses, au détriment du temps qu’elles peuvent passer sur leur recherche.

Comment agir pour lutter contre la sous-représentation des femmes ? Ses causes sont multiples et difficilement solubles par une seule réforme. De plus, les données indiquent que la proportion de femmes recrutées par discipline est très proche de la proportion de femmes candidates. Ainsi la marge de manœuvre du côté du recrutement semble minime. Il faudra des réformes bien plus ambitieuses – autour de la déconstruction des stéréotypes de genre, d’un meilleur partage des tâches domestiques au sein du couple – pour espérer un jour combler cet écart.

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