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Rééquilibrer l’offre et la demande, le défi majeur de la grande dépendance

Le prix de l'hébergement en EHPAD avoisine les 3 000 euros par mois. Photographee.eu / Shutterstock

Selon l’Insee, en 2015, en France hors Mayotte, avec une définition large englobant domicile et établissement, environ 2,5 millions de seniors étaient en perte d’autonomie, soit 15,3 % des 60 ans ou plus. Parmi eux, 700 000 peuvent être considérés en perte d’autonomie sévère. Parmi les seniors de 75 ans ou plus, 8,8 % vivent en institution. Si les tendances démographiques et l’amélioration de l’état de santé se poursuivaient, la France hors Mayotte compterait 4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050, soit 16,4 % des seniors.

Pour maintenir constant le pourcentage de personnes en établissement, il faudrait que le nombre de places en hébergement permanent en établissements pour personnes âgées augmente de 20 % d’ici à 2030 et de plus de 50 % à l’horizon 2050.

Insee (2019)

Voilà pour l’effet volume. Quant au prix, les frais d’hébergement à la charge du résident avoisinent les 3 000 euros par mois. Or, la retraite moyenne française ne s’élève en 2015 qu’à 1 050 euros pour une femme et 1 700 euros pour un homme. Autrement dit, tous ne pourront y être accueillis.

L’offre est insuffisante

En matière d’offre, les personnes âgées peuvent être accueillies en France dans trois types d’établissements :

  • Les EPHA, Établissements d’hébergement pour personnes âgées. Ce que nous appelons communément maison de retraite. Ces établissements sont des résidences (foyers ou logements), où les personnes âgées peuvent vivre de manière autonome. Ces établissements sont majoritairement gérés par des structures publiques ou privées à but non lucratif. En France, on estime que 110 000 places d’hébergement sont gérées par le secteur public, dans 2 200 résidences.

  • Les USLD, qui désignent les Unités de soins de longue durée. Ces établissements dépendent des centres hospitaliers. Ils offrent environ 36 000 lits en France après que plus de 40 000 aient été transférés des hôpitaux vers les Ehpad.

  • Les Ehpad : ces établissements peuvent plus ou moins être médicalisés selon le niveau de pathologie de leurs résidents. Les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) désignent les maisons de retraite médicalisées. Ce type d’hébergement représente 70 % des hébergements disponibles pour les personnes âgées. Ces établissements peuvent être privés à but lucratif (22 % des capacités d’accueil), privé à but non lucratif (32 %), par exemple La Croix-Rouge, ou publics (43 % des capacités d’accueil). En 2014, L’Insee estimait qu’il y avait 7 258 Ehpad pour 557 648 lits en France.

Une réglementation contraignante

Le marché des Ehpad commence aujourd’hui à se concentrer. Les 15 premiers acteurs détenant 70 % des capacités en lits du secteur privé lucratif. Parmi ces quinze acteurs, les trois premiers (Korian, Orpéa et DomusVi) détiennent plus de 14 000 lits en France, ce qui représente plus de 63 % des capacités d’accueil des 15 premiers acteurs (plus de 45 % de l’ensemble du secteur). À côté de ces géants, beaucoup de structures restent mono établissement, ce qui freine leur capacité d’investissement.

Surtout, le secteur fait face à un environnement réglementaire très contraignant qui gèle le développement de nouvelles structures :

L’activité des Ehpad privées est fortement liée aux politiques de santé publique. Aujourd’hui, la création et le fonctionnement des Ehpad sont régis par plusieurs textes de nombreux textes qui se sont succédé depuis la loi du 2 janvier 2002, et notamment la loi HPST de 2009 portant réforme de l’hôpital qui apporte un frein à l’ouverture d’appel à projets pour la création de nouveaux lits. C’est une formidable barrière à l’entrée au profit des groupes déjà installés.

La loi de 2015 d’adaptation de la santé au vieillissement impose plus de transparence sur la tarification des prestations (voir tableau ci-dessous).

Et pour avancer encore un projet de loi sur la dépendance est à l’étude au parlement sur la base des propositions du rapport Libault remis à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, en mars 2019. Il préconise notamment un plan de rénovation des établissements, en particulier publics, de 3 milliards d’euros sur 10 ans et l’augmentation de 25 % des effectifs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) d’ici à 2024.

La question des effectifs reste en effet un point crucial du défi de la grande dépendance. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées, avait notamment estimé, au moment de la grève des Ehpad de juin 2019, que « 40 000 emplois supplémentaires » étaient nécessaires.

S’agissant du financement de la réforme, les besoins étant estimés à 9,2 milliards d’ici à 2030, le rapport propose de procéder en deux temps :

  • Avant 2024, les dépenses seraient financées en recourant à l’affectation d’éventuels excédents du régime général ; pour rappel, le déficit de la Sécurité sociale atteindra 5,4 milliards d’euros en 2019 et 5,1 milliards en 2020.

  • Après 2024, la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) serait utilisée pour financer en partie la perte d’autonomie. Là aussi, souvenons-nous que la dette de la France atteint 98 % du PIB en 2018. Qu’il serait bon de ne pas transférer aux générations futures.

Le rapport recommande en outre de réformer le financement des services d’aide à domicile (SAAD), actuellement à la charge des départements, car ces derniers sont au bout de leurs ressources financières.

Le déséquilibre se creuse

D’autres pistes se penchent sur le maintien à domicile le plus longtemps possible au moyen d’évolution technologique. Pour l’instant, les robots humanoïdes, testés au Japon, s’ils peuvent apporter une aide psychologique, une présence ne peuvent supplanter l’humain dans l’exécution des tâches les plus basiques (toilettage, habillage, etc.)

« Japon : aux bons soins des robots » (France 24, 2014).

Pour conclure, Les Ehpad privés ont un cadre réglementaire très contraignant et source de nombreux dysfonctionnements favorisant les exploitants, mais qui ne permet pas d’avoir une croissance puisque la Sécurité sociale à court d’argent freine l’ouverture de nouveaux lits dont elle aura à charge la partie soins. Quant aux Conseils généraux qui financent l’aide aux soins non médicaux (aides-soignantes) via l’Allocation personnalisée d’autonomie, leur situation financière n’est pas meilleure. Le déséquilibre entre la demande et l’offre se creuse.

Depuis 20 ans, les chefs d’État qui se sont succédé ont fait du « grand âge de la dépendance » une cause nationale. Mais si de nombreux textes ont été publiés, comme toujours les financements n’ont pas été à la mesure de l’enjeu. Le gouvernement, mais plus généralement notre société, doit se saisir de cette question. En plus de l’urgence climatique, de la réforme des retraites, c’est l’avenir de nos parents, de nos grands-parents dont notre génération aura aussi à supporter les coûts à venir, et ils seront colossaux.

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