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Science ouverte et citoyenne : pourquoi l’université doit s’impliquer

Image de science. Martin Clavey, CC BY-SA

Science ouverte, première ! Les journées nationales issues du plan national pour la science ouverte se tiennent cette semaine à Paris. Il s’agit pour ses acteurs de promouvoir l’accès libre et gratuit aux publications et aux données de la recherche. Une excellente chose, mais, en matière d’ouverture des sciences à la société, ce n’est peut-être pas suffisant.

Tous concernés

Nucléaire, gaz de schiste, OGM, réchauffement climatique, protection de la vie privée, PMA (assistance médicale à la procréation) sont autant de « sujets brûlants » au sein même de la communauté des chercheurs, de la société et dans l’espace médiatique. Ces sujets, parce qu’ils portent de forts enjeux scientifiques et qu’ils concernent des enjeux sociétaux majeurs, nécessitent un engagement public des chercheurs. Pourquoi ? Parce que certains lobbies, qu’ils soient industriels, politiques ou religieux, instrumentalisent les débats scientifiques et/ou éthiques pour en tirer une partie de leur pouvoir de conviction.

Il n’y a pas que les personnes mal informées qui succombent aux sirènes des climato-sceptiques ou des créationnistes, qui croient que la terre est plate ou que la vaccination est nuisible. Prenons ce dernier sujet. L’intérêt de se vacciner n’est plus objet de controverse scientifique. Et pourtant, la polémique sociétale ne cesse d’être ravivée, semant le doute dans la société. Dans ce contexte, l’impact d’un Robert De Niro qui se fait le porte-parole du mouvement anti-vaccin, film de propagande à l’appui, est énorme.

L’opposition aux vaccins ne date pas d’hier. Anti-Vaccination Society of America

La montée de l’anti-science

La montée en puissance des positions antisciences et le déversement des fake news sur les réseaux sociaux pervertissent ainsi bon nombre de débats publics pourtant essentiels pour notre avenir. Le climat ainsi créé place les décideurs politiques et, plus largement, la démocratie, en position délicate.

Si nous sommes tous concernés, la communauté scientifique est en première ligne. Est-ce pour cela qu’en 2017, de nombreux chercheurs ont décidé de descendre dans la rue aux côtés de milliers de citoyens afin de marcher « pour la science » ? Parti des États-Unis dans le contexte de l’élection de Donald Trump, ce mouvement a pris une ampleur inédite pour concerner plus de 600 villes et un million de marcheurs dans le monde. Quel est leur message ? L’urgence de rappeler que les faits scientifiques ne peuvent pas être ramenés à une opinion et qu’il est risqué de vouloir les ignorer lorsqu’ils dérangent des intérêts économiques.

Reste que la mobilisation en faveur de la science ne va plus de soi pour une partie de la société. Le pacte de confiance semble rompu. Il faut le renouer. On sent clairement monter les demandes adressées aux scientifiques de sortir de leur laboratoire, de se présenter à un large public afin de montrer et d’expliquer ce qu’ils font et, ce faisant, d’instaurer un dialogue permanent avec la société. Pour répondre à ces exigences, les structures de médiation des sciences (dont les Centres de culture scientifique technique et industrielle) travaillent, tout comme se développent les initiatives médiatiques (dont ce site) ou citoyennes. Le Café des Sciences, qui réunit des blogs « amateurs » de scientifiques, ou les universités qui ouvrent leurs portes, sont d’autres exemples d’implication. Les évènements comme la Fête de la science ou la Nuit européenne des chercheurs sont des succès, en terme de public et d’initiatives.

Fête de la science. EnseignementSup-Recherche-Innovation, CC BY-SA

Remettre la science au cœur de la démocratie

Mais le « besoin de science » ne s’adresse plus seulement aux « scientifiques-experts » reconnus et habilités par telle ou telle instance. Il dépasse les actions de « vulgarisation » de la science, il va au-delà de la demande d’expertise. Il s’adresse à l’ensemble du monde académique, pour l’ensemble de la société. Y répondre suppose de remettre les « sciences » au cœur du débat politique et démocratique. Comment faire ?

Le mouvement de la marche pour les sciences de 2017 a pointé plusieurs nécessités. Celle, d’abord, de promouvoir la rigueur de la démarche scientifique (à l’inverse des opinions, les résultats issus de cette démarche sont reproductibles et réfutables) qui est le rempart contre la facilité (« une étude a dit que ») et l’irrationnel. Celle, ensuite, de faciliter l’accès à la connaissance, en aidant le citoyen à s’interroger, en rendant la science populaire, accessible et non intimidante. Celle, surtout, de redonner au doute ses lettres de noblesse afin de lutter contre son instrumentalisation.

Un nouvel engagement des chercheurs, avec les citoyens, semble nécessaire. La science n’est pas simplement un dispositif de dévoilement de l’ordre caché de la nature, elle n’est pas la position du « sachant ». Il faut aller au-delà du modèle de l’instruction publique pour construire des modèles de co-production des savoirs. Ceux-là même qui donneraient la possibilité aux citoyens d’exercer une influence sur les choix techniques et scientifiques.

Michel Callon le proposait, il y a vingt ans déjà. À l’exigence de scientificité s’ajoute ici celle d’une coordination science-société, initiée dès l’amont du processus de production des savoirs, sur le modèle des sciences participatives ou des forums hybrides (proposés cette fois par Bruno Latour). L’exemple du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’evolution du climat) illustre bien les bénéfices que l’on peut retirer d’une bonne communication, et ses limites. Car si les travaux du GIEC permettent de dire qu’« à plus de 90 % », le réchauffement climatique est bien le fait de l’action humaine, reste la manipulation des 10 % restants. La terre, ronde, plate ou cubique, s’en remettra. L’humain, c’est moins sûr.

Ne serait-ce pas à l’Université de réinvestir et de se réapproprier les rapports entre science et société ? Il faudrait alors repenser le modèle social de cette institution. Afin d’assumer pleinement ce rôle, l’Université doit faire des relations science-société l’un de ses piliers, au même titre que l’enseignement et la recherche. Cela suppose deux choses.

Cours au labo. StFX/Wikimedia

Premièrement, il faut reconnaître cette mission parmi celles que doivent assumer les enseignants-chercheurs. Par exemple, travailler main dans la main avec les médias, en gardant à l’esprit que, dans ce processus, le coupable, celui qui « tord » les résultats scientifiques n’est pas toujours le journaliste. Dans le domaine des publications scientifiques, il faut relativiser l’injonction du publish or perish adressée au chercheur car le risque de cette course au « nouveau résultat » est celui de ne plus prendre le temps nécessaire à la « validation » des énoncés scientifiques avant de les publier. Une dérive qui sape encore plus le pacte de confiance.

L’université doit s’engager

Deuxièmement, l’Université devrait se doter (ou être dotée) d’un véritable engagement pour la médiation scientifique, dépassant les seules actions de « communication ». Or, à l’Université comme partout ailleurs (à l’hôpital, à la SNCF, à la Poste, etc.) la notion de modèle économique a progressivement remplacé celle de modèle social. La société a fait son entrée à l’Université, c’est vrai. Mais cette ouverture est surtout perceptible à travers le « transfert », entendu dans sa seule acception économique (nombre de brevets, de start-up et de plates-formes créées). Témoin de cette orientation, la création, au sein des universités, des SATT (Société d’Accélération du Transfert de Technologies).

Loin d’être antinomiques, les deux modèles, économique et social, ne sont pourtant pas équivalents. Les critères de rentabilité ne doivent pas forcement s’appliquer partout et toujours, ne serait-ce parce que les retombées ne sont pas toujours immédiates. Voire même prévisibles. Lorsqu’il élabore la théorie de la relativité générale en 1915, Albert Einstein n’aurait pu prédire que certaines de ses équations seraient un jour nécessaire au bon fonctionnement du GPS.

Repenser le modèle social de l’Université nécessite un engagement d’envergure, tangible dans les services et visible dans les plans stratégiques des universités. À l’heure où la France se dote d’un plan national pour la science ouverte, nous saisissons l’occasion de rappeler cet enjeu majeur pour réinventer le pacte de confiance entre science et société.

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