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Sort-on vraiment de l’état d’urgence sanitaire ?

Une femme montre le QR code de son test PCR, devant un bateau Corsica Ferries au départ de Bastia, le 9 juin 2021.
Depuis le 9 juin dernier, il faut un certificat de vaccination ou un test PCR négatif de moins de 72 heures pour se rendre en Corse depuis le continent. Une préfiguration des restrictions à la liberté de mouvement qui survivront à l'épidémie. Pascal Pochard-Casabianca/AFP

L’état d’urgence sanitaire a pris fin le 1er juin 2021. Cependant, la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en vigueur depuis le 2 juin, permet au Premier ministre de prendre des mesures pour limiter, voire interdire les déplacements. Un constat s’impose alors : malgré la fin de l’état d’urgence sanitaire, des mesures d’exception restreignant les droits et libertés subsistent.

Dès lors, vit-on toujours en état d’urgence sanitaire ? Et comment dans ce cas le définir ?

L’état d’urgence sanitaire est une « mesure exceptionnelle pouvant être décidée en conseil des ministres en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie, mettant en péril la santé de la population ».

Le 23 mars 2020, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, créant l’état d’urgence sanitaire, donne au Premier ministre des prérogatives importantes. En effet, celui-ci peut prendre des mesures d’interdiction de déplacement hors du domicile. Ce sont les mesures de confinement ou de couvre-feu.

Ces dernières visent à restreindre la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, la liberté de réunion dans un objectif de lutte contre la propagation du virus. Le Premier ministre peut aussi prendre des « mesures de réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire ». Ces mesures portant atteintes à différents droits et libertés doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».

L’état d’urgence sanitaire a été déclaré une première fois le 23 mars 2020 pour s’appliquer jusqu’au 10 juillet 2020. Au regard de l’évolution des indices épidémiques, il a de nouveau été déclaré le 17 octobre 2020 pour s’appliquer jusqu’au 1ᵉʳ juin 2021. Ainsi, de nombreuses prorogations, renouvelant l’état d’urgence sanitaire au delà de la limite fixée d’un mois, sont intervenues.

Que prévoit la loi de gestion de la sortie de crise sanitaire ?

Aujourd’hui, l’état d’urgence ne s’applique plus. Le 2 juin 2021 est entrée en vigueur la loi de gestion de la sortie de crise sanitaire. Elle instaure un régime transitoire pour permettre une sortie de la crise sanitaire « par paliers » : l’idée étant de permettre une progressivité décroissante dans la fin des mesures d’exception.

Cette loi maintient la possibilité d’un couvre-feu jusqu’au 30 juin. Une autre mesure phare de cette loi est l’instauration d’un passe sanitaire. À partir du 9 juin 2021, il sera utilisé pour accéder à des rassemblements ou des événements quand le respect des gestes barrières ne peut pas être assuré. Il consiste en la présentation d’une preuve de non-contamination par le coronavirus (attestation de vaccination, test RT-PCR négatif). La loi fournit donc une assise juridique au passe sanitaire, cela s’inscrivant dans l’initiative d’un passe sanitaire européen. En effet, le 14 juin 2021, l’Union européenne a adopté le certificat Covid numérique. Il entre en application dans tous les États membres au 1er juillet 2021 pour une durée de 12 mois.

En cas de circulation active du virus dans certaines parties du territoire, il peut être nécessaire de reconfiner localement. Dans ces cas-là, « il revient au gouvernement de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire et au Parlement d’autoriser sa prolongation au-delà d’un mois ».

Le Conseil constitutionnel a validé ce régime transitoire ainsi que le passe sanitaire. Cependant, il s’est opposé à ce que certaines données récupérées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie (coordonnées de contact téléphonique ou électronique) soient intégrées au système national des données de santé.

La crainte d’un état d’urgence permanent

Bien que la dénomination de la loi laisse penser que nous ne sommes plus en état d’urgence, les dispositifs prévus s’apparentent à un état d’urgence « light ». En effet, le Premier ministre dispose de prérogatives importantes, très similaires aux mesures pouvant être prises en période d’application de l’état d’urgence sanitaire. Une des grandes différences est l’impossibilité, au regard de ce régime transitoire, de déclarer un confinement généralisé de la population, tel qu’il a pu être fait en mars 2020. Une telle mesure est possible seulement en période d’application de l’état d’urgence sanitaire.

Bien que, formellement, l’état d’urgence sanitaire ne soit plus appliqué, dans les faits, la loi du 31 mai 2021 sur la gestion de sortie de crise sanitaire s’apparente à un état d’urgence sanitaire ; la dénomination paraît alors légèrement trompeuse.

La crainte d’un état d’urgence permanent avait pu être soulevée notamment au regard des nombreuses déclarations et prorogations de l’état d’urgence sanitaire depuis un an et demi. La Ligue des droits de l’Homme a pu écrire à cette occasion que « recourir à l’état d’urgence dessert voire met en péril la démocratie et altère l’État de droit ».

Il existe aussi une inquiétude vive quant à la pérennisation de mesures d’exception dans le droit commun au moment de la sortie d’état d’urgence.

Cela a déjà été constaté s’agissant de la sortie de l’état d’urgence sécuritaire en 2017. Suite aux attentats terroristes de Paris, l’état d’urgence sécuritaire est déclaré sur tout le territoire :

« Mais la levée du dispositif n’a pas pour autant sonné la fin des mesures… Le 31 octobre 2017, la loi dite de lutte contre le terrorisme est venue prendre le relais de l’état d’urgence. Le texte a ainsi permis à plusieurs des outils prévus par ce régime d’être inscrits dans le droit commun ».

De façon similaire, la loi de gestion de sortie de crise sanitaire inquiète en ce qu’elle permet d’introduire dans le droit commun, bien que temporairement, des mesures d’exception. Le risque est grand : celui d’une accoutumance à l’existence de ces mesures fortement restrictives pour les droits et libertés.

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