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Un autre regard sur l’évolution contemporaine de la forêt française

Photographie de foret en contre plongée, avec focus sur les cimes
Des mortalités d’arbres ont été observées de manière récurrente à la suite des sècheresses ou d’autres événements extrêmes. L’expérience montre que ces dépérissements sont rarement totaux : une fraction d’arbres survit à la crise et contribue à la restauration du peuplement quelques décennies après. Antoire Kremer, Author provided

Les forêts sont aujourd’hui au centre des préoccupations écologiques planétaires. D’une part, elles sont invoquées comme une des solutions au réchauffement climatique grâce à leur capacité de séquestrer du carbone. D’autre part, leur exposition accrue aux stress engendrés par l’évolution climatique en cours soulève des interrogations.

Cette apparente antinomie sème inquiétudes et angoisses dans nos sociétés, pour qui les forêts représentent le dernier refuge de nature auquel elles ont facilement accès. Ces tensions soulèvent par ailleurs controverses et polémiques dans le débat public et les médias, dont l’écho tend bien souvent à privilégier un diagnostic négatif de l’état actuel des forêts, alimenté par une appréciation plus négative encore de l’action humaine.

Sans préjuger de l’issue de la crise climatique, il nous paraît important de rappeler que des éléments factuels passés et présents témoignent de la résilience des forêts. Notre perception est que l’état actuel des forêts, fruit de l’héritage de l’évolution naturelle et de l’action humaine, ainsi que les connaissances scientifiques acquises sur leur fonctionnement, sont de nature à construire des solutions maintenant leur résilience et répondant aux attentes de la société.

Des forêts résilientes et en évolution

Incendies, tempêtes, dépérissements, maladies : la forêt est-elle vraiment dans un état plus déplorable que par le passé ?

L’histoire nous rappelle que les forêts françaises étaient dans des situations bien pires à l’issue des défrichements massifs du Moyen Âge, à la suite des grands froids ou des sécheresses du petit âge glaciaire, ou lors des surexploitations de l’ère industrielle. À des temps plus récents, elles ont souffert d’événements extrêmes récurrents (sécheresses de 1921 et 1976, froids de 1956 et 1963, tempêtes de 1999 et 2009).

Ces rappels historiques montrent aussi que les forêts ont à chaque occasion récupéré de ces crises, faisant ainsi preuve de résilience grâce à l’évolution naturelle et à l’intervention humaine.

Toutes ces références historiques, certes rassurantes, ne doivent pas se substituer aux données objectives du présent.

Aujourd’hui, les forêts sont soumises à des contraintes nouvelles, générant des altérations accélérées auxquelles notre société n’était pas préparée : dépérissements chroniques, mortalités diffuses, colonisations d’espaces nouveaux. Mais il s’agit là de trajectoires évolutives attendues en pareilles circonstances ; elles ont déjà marqué l’histoire passée des forêts.

Il faudra s’accommoder de forêts en mouvement et quitter l’idée peut-être rassurante, mais illusoire, d’évolution vers un état d’équilibre. Ces perturbations sont souvent perçues comme l’annonce d’une catastrophe imminente. Mais elles sont surtout la manifestation des capacités des forêts à évoluer, à générer de nouvelles forêts dont la composition en espèces sera différente.

Là encore, l’histoire nous rappelle qu’au cours de changements environnementaux antérieurs (comme ceux qui ont marqué la dernière colonisation post-glaciaire il y a 12 000 ans), la résilience des forêts leur ont permis, non seulement d’éviter toute extinction d’espèce ligneuse au cours de cette période, mais aussi de générer une forêt nouvelle dont nous avons hérité à l’issue de plusieurs millénaires d’évolution et d’intervention humaine et que nous considérons aujourd’hui comme une référence.

Cependant, ces rappels historiques ne rassurent pas pour autant sur l’issue de l’évolution en cours. La rapidité et l’intensité du changement climatique, dont les références historiques sur les conséquences forestières font défaut, amplifient l’incertitude portant sur l’avenir des forêts.

Et si les réponses adaptatives des forêts au changement climatique seront marquées d’une certaine inertie liée à leurs capacités intrinsèques d’évolution, un accompagnement de l’adaptation par l’intervention humaine s’avérera nécessaire pour éviter un scénario de rupture.

Un autre regard sur l’action humaine

Ce bref aperçu historique des forêts métropolitaines et de leur évolution actuelle interroge sur la contribution des humains. Quel regard porter sur son action passée ?

L’institut forestier national nous rappelle que la forêt française est parmi les plus diversifiées en Europe, non seulement en espèces d’arbres, mais aussi en méthodes de sylviculture. C’est cette diversité qui a permis de répondre aux multiples services écosystémiques attendus des forêts.

Photo a : arbres assez écartés, pas de couverture végétale au sol ; photo b : arbres moins bien alignés, plus de couverture végétale au sol
Cette figure illustre deux types de sylviculture, régulière (a) et irrégulière (b), qui ont souvent été opposées, mais qui toutes deux ont leurs mérites au regard de la durabilité et du renouvellement des forêts, et méritent d’être explorées dans le contexte du changement climatique. Antoine Kremer, Fourni par l'auteur

À titre d’exemple, l’action très volontariste de reconstitution de forêts par plantation pour lutter contre l’érosion (restauration de terrains de montagne) ou d’installation de novo de forêts sur des milieux très appauvris (Landes de Gascogne ou de Sologne, dunes atlantiques) a non seulement contribué à la protection des milieux, mais a aussi considérablement renforcé le puits de carbone que nous revendiquons aujourd’hui, et répondu aux besoins de matière première (bois et fibres).

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Ce tableau n’occulte pas les actions qui ont pu au contraire amplifier l’exposition des forêts aux crises écologiques actuelles (abus de reboisement de conifères dans des zones inappropriées dans le cadre du Fonds Forestier National, introductions de bioagresseurs invasifs).

Mais le bilan de l’action anthropique au regard des capacités de résilience des forêts est sans doute plus positif que celui régulièrement véhiculé par les médias.

Dans une vision plus large, on peut également mettre au crédit de l’action humaine l’enrichissement, ou la restauration de la diversité spécifique de nos forêts, considérablement affectée par les extinctions qui ont marqué l’histoire du quaternaire.

Alors que les introductions d’arbres sont souvent perçues comme des expositions accrues à des risques écologiques nouveaux (invasibilité, introduction de maladies), une vision alternative considère l’introduction comme une restauration d’une diversité perdue, et sa contribution potentielle à la résilience face au défi climatique.

Il ne s’agit pas là d’une appropriation de toutes les introductions d’espèces, faites souvent de manière aveugle et anarchique. Mais d’un enrichissement basé sur une évaluation et une sélection antérieure faites dans des collections ou des expérimentations sur le long terme (arboretums ou essais de provenances) ayant abouti à des populations désormais acclimatées et adaptées à nos territoires. À titre d’exemples, on peut citer les cèdres du Liban et de l’Atlas, le Mélèze du Japon, le Douglas originaire d’Amérique du Nord.

Accompagner l’évolution actuelle en assurant une pluralité des sylvicultures

Le regard sur l’action humaine passée conduit inévitablement à celui de ses initiatives sur l’évolution contemporaine et future des forêts. Depuis sa présence en Europe, son empreinte a été continue pour répondre à ses besoins, aboutissant in fine à la multifonctionnalité des forêts aujourd’hui revendiquée par nos sociétés.

Mais les enjeux et les attentes se sont accrus au point de devenir antinomiques en termes de gestion. Comment satisfaire, par exemple, à la fois ceux pour qui la forêt représente un idéal de naturalité, et ceux qui la considèrent comme une ressource indispensable à l’économie ou à la transition écologique ?

Face à la disparité des enjeux et à l’incertitude relative aux mutations en cours, l’inaction conduirait inévitablement à contraindre l’évolution et à limiter les solutions. Au contraire, l’intervention humaine peut faciliter l’adaptation des forêts, en particulier en garantissant une pluralité des modes de gestion, c’est-à-dire accepter que certaines forêts favorisent un service écosystémique au détriment d’un autre.

Mosaïque de paysages vus du ciel
La pluralité des sylvicultures revendiquée dans le texte se comprend également au niveau spatial. Conjuguée à la diversité des espèces ligneuses, elle maintient des interfaces variées entre écosystèmes différents (paysages agricoles et forestiers) favorables à la biodiversité tout en assurant la multifonctionnalité des forêts. IGN, Fourni par l'auteur

Le pin maritime offre un excellent exemple à cet égard : cultivé de manière intensive en plantations artificielles dans les landes de Gascogne, il répond principalement à la séquestration de carbone et à la production de matière première (bois, fibre). Mais régénéré de manière naturelle dans les dunes atlantiques, il contribue à la préservation des milieux et à la fixation des dunes.

Dans son acception la plus large, le terme d’intervention doit être compris depuis l’absence d’action anthropique (évolution libre) jusqu’à une domestication accrue (sylviculture intensive). Pour cela, des sylvicultures variées doivent être encouragées et non opposées. Aucune sylviculture n’est meilleure qu’une autre dans l’absolu, en particulier dans un contexte changeant, et il serait illusoire d’essayer d’identifier une sylviculture qui permettrait de répondre à l’ensemble des enjeux.

C’est donc cette mosaïque de forêts, dont l’agencement doit être pensé à différentes échelles spatiales pour prendre en compte les interfaces avec les autres milieux, qui sera porteuse d’une diversité utile pour affronter le défi climatique.

Nous avons les atouts pour mettre en œuvre des politiques publiques volontaristes en ce sens, à savoir une diversité de forêts façonnées par des générations de forestiers et un corpus de connaissances scientifiques et empiriques accumulées durant ces dernières décennies. Enfin, la société elle-même manifeste un intérêt réel à s’approprier cette réflexion.

Le temps n’est plus à des décisions verticales et dirigistes, mais à des politiques publiques démocratiquement consenties après un débat éclairé. Notre espoir est qu’il y ait un véritable débat public au niveau national autour de cette pluralité aboutissant à des choix démocratiquement acceptés.

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