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Un scandale tranquille : des enseignants toujours aussi mal formés

« Professeur et moutards » Honoré Daumier pour Le Charivari du 27 décembre 1845. LACMA/Wikimedia

Depuis 1988, la volonté née sous l’impulsion du ministre de l’Éducation Lionel Jospin d’« universitariser » la formation des enseignants avec la création des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, 1990) a connu moultes réformes… mais bien peu de changements. Même si la loi qualifiée « de refondation de l’école » a fait disparaître les IUFM au profit des ESPE (Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation).

Avec une sorte de consensus tacite, l’ensemble des forces préoccupées par l’école et la formation des enseignants, a jeté un voile pudique sur ce qui pourrait bien constituer à y regarder de plus près, le scandale tranquille auquel le fonctionnement de notre société s’est habitué. Peu de propos syndicaux, peu de propos des mouvements d’éducation populaire, très peu d’universitaires qui devraient pourtant être au centre de ces questions, ne s’élèvent pour discuter la structure de la nouvelle institution et surtout ces effets invraisemblables.

Une machinerie infernale

Pour comprendre une partie du problème, il faut poser la complexité de ce qui a été mis en place. La formation des futurs enseignants repose officiellement sur un Master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MEEF). Autant le dire tout de suite, c’est un mensonge de fait.

Un candidat titulaire d’une licence s’inscrit soit dans un parcours MEEF 1 pour devenir Professeur des Écoles, soit dans un parcours MEEF 2 pour devenir Professeur de Lycée et Collège. À l’issue du Master 1re année (M1), les candidats passent un concours. Dès lors la formation en première année se réduit au bachotage d’un concours classique, avec des épreuves classiques héritières du baccalauréat pour l’essentiel. Les lauréats de ce concours deviennent professeurs stagiaires et sont intégrés dans l’institution éducative en formation en alternance, enseignant à mi-temps et étudiant dans l’ESPE en Master 2e année (M2).

Comme l’ont relevé plusieurs enquêtes officielles, parmi tous les lauréats du concours, seul un tiers a passé le M1 « métiers de l’enseignement ». Car, il n’est pas nécessaire d’avoir effectué un M1 MEEF pour passer le concours, n’importe quel M1 suffit. La situation se complique alors. Si le candidat a déjà un Master 2, il n’est pas inscrit en deuxième année de MEEF. Selon les ESPE, il est intégré dans un Diplôme d’université ou dans une formation ad hoc. Mais pour lui, pas de contrainte pour l’obtention d’un Master selon les canons de l’ESPE dans laquelle il est.

Bachotage en M1 et recettes magiques en M2

Que l’origine des futurs enseignants ne soit pas tubulaire mais variée est plutôt une bonne chose, mais le premier petit scandale tranquille, c’est de faire croire que cette diversité est prise en compte. Le Master étant considéré comme un tout « M1-M2 », les deux tiers de lauréats provenant d’un M1 classique sont projetés dans une réalité d’alternance, sans avoir aucune préparation. Ces stagiaires sont pour la plupart demandeurs de formation professionnelle issue des résultats de la recherche en éducation.

À quoi ressemble la vie d’un professeur stagiaire  ? Il doit à la fois satisfaire à des exigences de compétences professionnelles pour lesquelles il n’est pas formé, et qui sont indispensables pour faire classe (pour rappel, seul un tiers ont passé le M1MEEF) et courir après des exigences lourdes pour obtenir un Master 2. Le lundi et mardi en classe, le mercredi à préparer, le jeudi et vendredi à l’ESPE avec des horaires qui cherchent à faire rentrer quatre jours en deux. On comprend mieux pourquoi le taux d’abandon explose, fait sans précédent  ; et aussi pourquoi de nombreux stagiaires ne sont pas titularisés.

Chacun sait que la France brille par ses inégalités et ses ségrégations territoriales. L’autre scandale tranquille, c’est celui des recrutements. Les deux académies de banlieues parisiennes, Versailles et Créteil, recrutent de futurs enseignants avec des scores au concours, qui ne sont pas publiés tellement ils sont bas. Ce qui fait dire aux formateurs qu’une partie non négligeable du temps qui devrait être consacrée à la formation professionnelle est utilisée pour la remise à niveau.

À la limite, qu’importe les niveaux d’entrée après tout, si au moins était prise en considération la diversité pour mettre à niveau l’ensemble des futurs enseignants. Un voile pudique de dénégation recouvre cette réalité, pour ne pas accabler davantage de futurs enseignants, qui peuvent être en risque et en réelle souffrance dans leur mi-temps sur le terrain, faute d’une formation adaptée. C’est l’autre scandale tranquille. Les stagiaires sont affectés sur des postes à mi-temps mais parfois leur alter-ego est à peine plus chevronné qu’eux-mêmes. Il n’est pas rare de constater qu’il était l’année précédente encore stagiaire. Quelles conséquences sur les élèves  ?

Mais qui incriminer  ?

12 semaines de formation pour devenir prof

Il y a plusieurs microscandales tranquilles dans cette question de l’alternance. On crie aux vertus de celle-ci, mais qu’elle est cette alternance  ? Pour deux tiers des lauréats au concours, la découverte de leur poste et de l’ESPE se fait fin août  ; quelques heures avant la rentrée. Selon les ESPE, ils vont être jetés en observation à mi-temps pendant un mois et l’autre mi-temps ils devront assumer la responsabilité d’une classe. Puis le cauchemar va commencer. Préparer la classe dans des conditions souvent extrêmement difficiles. Même si consigne a été donnée de faire attention aux affectations, la réalité les rattrape bien vite.

Accompagnés par des formateurs de l’ESPE et des conseillers pédagogiques des inspections académiques, les stagiaires doivent être validés. L’enjeu est de taille, il s’agit de vérifier qu’ils font l’affaire et dès début avril il faudra avoir statué, aussi bien du point de vue des compétences professionnelles sur le terrain, que pour le Master. En mai, tout doit être bouclé pour que les commissions d’attribution de postes puissent se dérouler en Juin. En comptant le nombre de semaines effectives de formation en alternance, deux tiers des futurs enseignants bénéficient de 12 semaines de formation répartie sur une année.

La perspective des échéances électorales n’arrangera rien à cet imbroglio. Sur le terrain idéologique  : d’un côté il faut faire accroire à la réalité d’un renouveau de la formation, intention politique que tout le monde aurait voulu salvatrice  ; de l’autre, une fixation sur des principes médiatiquement simples synonymes de retour à des valeurs d’autorité pour l’essentiel.

Le bateau est trop grand, la mal-formation des enseignants est symptomatique de l’impossibilité de continuer à gérer plus de la moitié des fonctionnaires d’un pays (52 %) par une machine monstrueuse et implacable. Sur le terrain, tout le monde fait au mieux en redoutant une énième réforme qu’il faudra faire vivre et fonctionner mais dont plus personne ne sait au bout du compte à quoi cela mène. Le système éducatif va très mal pour les plus en difficultés, il ne faut pas se satisfaire d’effet d’annonce politique  ; la recherche en éducation offre des perspectives.

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