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Vaccination dans les pays du Sud : et si on réhabilitait les concours d’innovation ?

Malgré les fonds publics, le nombre de vaccins administrés dans les zones les plus pauvres reste insuffisant. Simon Maina / AFP

« Nous continuerons d’agir pour éviter l’apparition de variants qui pourrait être plus dangereux encore que le variant Delta. Cela passe par un projet immense mais indispensable et désormais à notre portée : vacciner le monde. »

Au cours de son allocution du 12 juillet dernier, le président de la République, Emmanuel Macron, appelait à davantage de solidarité avec les pays les plus pauvres, promettant par ailleurs que la France donnerait « d’ici la fin de l’année plusieurs dizaines de millions de doses de vaccins ».

Les données recueillies à ce sujet par la base ouverte Our world in data donnent un aperçu des gigantesques inégalités qui demeurent sur le sujet.

Soutenir les pays en développement face aux épidémies, la question n’est pas apparue avec le nouveau coronavirus. Durant la pandémie de VIH/Sida, la question du prix des antirétroviraux avait été au centre des débats et de nombreux chercheurs avaient milité pour la suspension des brevets, vus comme une entrave à l’accessibilité des traitements dans les pays du Sud. En pleine pandémie de Covid-19, la controverse sur les brevets ressurgit avec la demande de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour un accès aux vaccins brevetés à tous, mettant en garde contre le risque d’un « apartheid médical ».

Si la question d’une révision du mécanisme du droit de propriété intellectuelle semble aujourd’hui de nouveau incontournable, il est selon nous nécessaire de dépasser le débat « faut-il breveter ou pas ? », afin de réfléchir à un mécanisme d’incitation à l’innovation, qui serait alternatif et/ou complémentaire au brevet, et qui favoriserait l’innovation thérapeutique dans les pays du Sud.

Ce que permettent les brevets (ou pas)

Entre ces deux pandémies, les critiques ont été sévères vis-à-vis du brevet. Pour la théorie économique, ce dispositif est nécessaire pour récompenser l’innovateur pour les risques pris et empêcher ainsi un sous-investissement en R&D. Le brevet octroie un monopole temporaire d’exploitation d’une durée de 20 ans qui peut amener son détenteur à opter pour des stratégies afin de maximiser ses profits. Ce peut être fixer un prix élevé ou fournir des quantités limitées d’une innovation sur un marché.

Cela se fait cependant au détriment de l’accès pour certaines populations à l’innovation. En outre, avec le système des brevets, les acteurs choisissent les domaines rentables dans lesquels ils souhaitent orienter leur R&D et présentent une tendance à sous-investir, voire à ignorer les autres moins profitables. Les faibles moyens pour la recherche sur les maladies rares, affectant des populations pauvres du Sud, l’illustrent parfaitement.

Le brevet ne remédie de plus que très imparfaitement à la question du transfert de technologies vers les pays en développement qui demeurent dépendants des pays du Nord pour la fourniture d’innovations thérapeutiques.

Covid-19, les derniers enseignements

Dès les premiers mois de la pandémie de Covid-19, les investissements publics ont été considérables (de l’ordre de milliards de dollars et d’euros), mettant en lumière le rôle incontournable des États.

Ces investissements ont, d’une part, financé une recherche clinique destinée à la mise au point rapide de médicaments pour soigner les personnes infectées et hospitalisées. Cela a mis en lumière un cas de capture réglementaire aux États-Unis ainsi que nous l’avons documenté. D’autre part, ces investissements se sont dirigés vers le développement de vaccins pour prévenir l’infection et ses formes graves.

Joseph Stiglitz, prix « Nobel » d’économie, fait partie des personnalités de premier plan à militer pour la levée des brevets sur les vaccins. Mandel Ngan/AFP

On recense aujourd’hui 6 000 essais cliniques dans le champ de la Covid-19. À ce jour, ce sont plus de 300 vaccins et plus de 3400 médicaments qui ont été développés ou sont en développement sur la base de fonds publics.

Malgré ce soutien massif, le nombre de vaccins administrés dans les pays du Sud se révèle aujourd’hui encore largement insuffisant.

Au premier abord, annuler les brevets apparaît comme le moyen de lever les monopoles et d’autoriser la production la plus large possible de vaccins. Cela vise à permettre la vaccination de 20 % de la population dans chaque pays comme le prévoit le mécanisme Covax en faveur d’un accès équitable aux vaccins. Mais est-ce suffisant pour assurer aux pays du Sud un système d’innovation de santé pérenne et apte à faire face à de futures crises sanitaires ?

De la conservation des aliments aux vaccins…

Au cours du temps, le système de droits de propriété intellectuelle comme mécanisme d’incitation à l’innovation n’a pas toujours été dominant et unique. Parmi les dispositifs qui ont jalonné l’histoire, les concours ont joué un rôle majeur notamment à partir du XVIIIe siècle.

C’est lors d’un concours qu’Antoine-Augustin Parmentier a proposé la pomme de terre pour lutter contre les famines, alors que l’on considérait jusqu’alors le tubercule comme un poison et que le parlement en interdisait la culture. C’est encore lors d’un concours lancé par Napoléon 1er pour lutter contre le scorbut qu’est apparue la boite de conserve. C’est toujours un concours qui a motivé Charles Lindbergh à entreprendre la première traversée de l’Atlantique en avion.

C’est dans le cadre d’un concours que Charles Lindbergh réalise en avion la première traversée de l’Atlantique sans escale et en solitaire les 20 et 21 mai 1927. Flickr, CC BY-SA

Ce mode d’innovation a fait une percée remarquable depuis les années 2010, grâce au web 2.0 comme nous l’avons montré récemment dans une étude.

Un concours consiste pour un sponsor privé ou public à lancer un défi d’innovation sur une durée donnée, et à récompenser le vainqueur le plus souvent par une prime monétaire. Des entreprises privées et des acteurs publics mobilisent régulièrement cet outil pour stimuler des innovations particulières.

Dès 2008, le prix « Nobel » d’économie Joseph Stiglitz avait lancé un premier plaidoyer en faveur des concours dans le domaine de la santé, réflexion à prolonger dans le contexte de la crise sanitaire actuelle.

Complémentaire au brevet

Les concours se différencient tout d’abord des brevets par leur caractère flexible et polymorphe. Ils peuvent en effet être conçus sur mesure, selon les besoins, en faisant varier les règles et le cahier des charges.

Pour les pays du Sud, ce mécanisme offre de nombreux atouts. Premièrement, il permet d’orienter la recherche vers certaines directions jugées cruciales déterminées par le ou les sponsors. En outre, le sponsor s’il est public peut s’adjoindre l’aide d’acteurs privés dans la définition et l’implémentation du concours.

C’est à l’occasion d’un concours qu’Antoine-Augustin Parmentier, statufié ici dans la Somme, démontre que la pomme de terre n’est pas un poison. Decarpentrie/Pixabay, CC BY-SA

Deuxièmement, il est possible d’intégrer ex ante un ensemble d’exigences et de critères variés. Par exemple, le succès d’une solution peut être évalué non seulement au travers de l’innovation médicale, mais également via les conditions de sa diffusion, de son accès, de son transfert, et de la formation scientifique, technique et industrielle des acteurs impliqués.

Troisièmement, le prix de l’innovation peut être prédéfini afin que l’innovation soit accessible aux populations visées, ou bien envisagé de manière variable et dynamique, en fonction du taux de diffusion de l’innovation.

Quatrièmement, le mécanisme des prix peut être conçu de manière complémentaire au brevet. Par exemple, un accord peut spécifier que les brevets ne seront actifs qu’au terme d’un certain nombre d’années, ou encore que les brevets n’affecteront qu’une partie des innovations.

Les motivations, défi essentiel

Enfin, un atout primordial du concours porte sur son caractère inclusif. Des parties prenantes variées, internationales, locales, chercheurs, membres de la société civile et fondations peuvent intervenir à toutes les étapes du processus, de la conception du concours à l’évaluation finale.

En impliquant un grand nombre de parties prenantes, ce dispositif permettrait d’orienter les innovations dans des directions jugées cruciales par les pays du Sud, de les conduire vers l’autosuffisance sanitaire, et plus globalement vers un rattrapage technologique.

La diffusion de ce type de mécanisme d’incitation rencontre néanmoins un certain nombre d’obstacles à surmonter et notamment la question de leur mise en œuvre. La nature des partenariats afin d’organiser et de financer des concours demeure ainsi une question cruciale.

Des gouvernements des pays du Nord, des organisations internationales, des entreprises privées et des fondations pourraient-elles s’associer avec des représentants des pays du Sud ? Sous quelles conditions, selon quels modes de gouvernance et pour quelle crédibilité ?

Comment inciter les laboratoires privés à participer à de tels défis ?

Si le concours peut être perçu un mécanisme incitatif complémentaire au brevet, il reste à inventer de nouveaux dispositifs incitatifs en adéquation avec l’évolution de nos sociétés et les grands enjeux futurs.

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