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Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, quitte une conférence de presse post-électorale à Boucherville, au Québec, le mardi 4 octobre 2022. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes

Voici pourquoi les politiciens québécois doivent prêter serment au roi — que cela leur plaise ou non

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a suscité la controverse en affirmant qu’il ne prêtera pas serment au roi Charles III avant de prendre son siège à l’Assemblée nationale du Québec, comme le requiert la Loi constitutionnelle de 1867. Il en va de même des deux autres députés du Parti québécois.

L’assermentation des députés du Parti québécois aura lieu vendredi. Entre-temps, les 11 députés de Québec Solidaire, n'ont pas prêté serment au roi mercredi, lors de leur assermentation.

Depuis l'annonce du chef du Parti québécois, plusieurs experts sont intervenus pour appuyer cette position en proposant diverses interprétations et solutions qui permettraient aux députés d’exercer leur fonction sans prêter serment. En tant que constitutionnaliste, j’estime que ces avis ne résistent pas à l’analyse.

Une interprétation qui s’appuie sur 155 ans de pratique

Le libellé de l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 est clair :

Les membres… de l’assemblée législative d’une province devront (shall), avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le lieutenant-gouverneur de la province… le serment d’allégeance énoncé dans la cinquième annexe de la présente loi (« Je (nom du député) jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté (le roi Charles III) »).

Comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario en 2014 dans l’arrêt McAteer c. Canada (PG), le serment d’allégeance est « clairement constitutionnel ».

Le verbe « devoir » impose, dans ce contexte, une obligation. Il souligne qu’un geste « doit » être accompli. Autrement dit, une personne ne peut exercer la fonction de député sans d’abord prêter le serment d’allégeance. Il s’agit d’une condition préalable à l’exercice de la fonction. Cette interprétation s’appuie sur 155 ans de pratique et de précédents d’un océan à l’autre.

Les autorités en matière de procédure parlementaire sont claires : depuis 1867, tous les députés, quelle que soit leur idéologie politique, ont, à un moment ou un autre, prêté le serment d’allégeance. Un député qui refuse de prêter serment ne peut occuper son siège à l’assemblée législative et voter. Telle est la conséquence du refus de prêter serment.

Le roi Charles III quitte l’abbaye de Westminster après le service funèbre de la reine Elizabeth II, le 19 septembre 2022. Un député qui refuse de lui prêter serment ne peut occuper son siège à l’assemblée législative et voter. (AP Photo/Martin Meissner, Pool)

L’Assemblée nationale pourrait-elle ignorer l’article 128 ?

Certains experts ont souligné que Paul St-Pierre Plamondon a été dûment élu par les électeurs de la circonscription Camille-Laurin et que, en conformité avec le principe de la démocratie, l’Assemblée nationale devrait le laisser siéger sans l’obliger à prêter le serment d’allégeance.

Une telle décision de régie interne prise par l’organe législatif ne pourrait en outre être contestée devant les tribunaux en raison de la doctrine des privilèges parlementaires.

Cependant, le fait pour une assemblée législative d’ignorer le libellé clair de l’article 128 serait contraire à deux autres principes fondamentaux : ceux du constitutionnalisme et de la primauté du droit. Ces principes imposent aux acteurs étatiques d’agir conformément aux dispositions de la Constitution et du droit. Si l’Assemblée nationale avait décidé d’ignorer l’article 128, ce qui n’est pas le cas, elle aurait agi de façon inconstitutionnelle, quoique cette décision aurait sans doute été à l’abri de tout contrôle judiciaire.

Le principe de la démocratie ne permet pas de faire fi du texte de la Constitution

Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec de 1998, la Cour suprême du Canada a souligné que le principe de la démocratie devait être concilié avec ces deux autres principes. Sur ce fondement, elle a conclu que le Québec ne pourrait déclarer son indépendance unilatéralement, et ce, quand bien même qu’une majorité claire de Québécois voterait en faveur de cette option, en réponse à une question claire, dans le cadre d’un référendum.

En effet, comme la sécession d’une province implique un changement important à la Constitution du Canada, elle ne peut intervenir qu’à la suite de négociations de bonne foi avec les autres membres de la fédération, de manière conforme au processus de modification constitutionnelle prévu à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

Cet avis consultatif du plus haut tribunal nous enseigne que le principe de la démocratie, aussi important soit-il, ne permet pas de faire fi des dispositions écrites de la Constitution.

Le Québec pourrait-il modifier l’article 128 de manière unilatérale ?

D’autres experts ont laissé entendre que la législature du Québec pourrait, par l’adoption d’une loi, modifier l’article 128 ou l’annexe V de la Loi constitutionnelle de 1867 afin d’abolir le serment d’allégeance ou de le reformuler pour le rendre plus acceptable pour les individus qui, à l’instar du chef du Parti québécois, s’opposent à l’idée de prêter serment au roi.

Une modification en bonne et due forme de l’article 128 ou de l’annexe V serait conforme aux principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit. Il est possible que le Québec puisse procéder à une telle modification de manière unilatérale en vertu de l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, puisqu’elle s’appliquerait uniquement aux députés de cette province.

Néanmoins, on ne peut complètement exclure qu’une telle modification puisse être assujettie à la procédure rigide prévue à l’alinéa 41 a) de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon cette disposition, toute modification à « la charge de (roi), celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur » requiert le consentement de la Chambre des communes, du Sénat et des assemblées législatives de toutes les provinces. Comme il revient au lieutenant-gouverneur (ou à ses délégués) de recevoir le serment d’allégeance des députés, l’abolition du serment pourrait avoir une incidence sur sa « charge ». Ce geste porterait aussi vraisemblablement atteinte au symbole que représente le roi au sein de l’ordre étatique canadien.

Par ailleurs, contrairement à ce que suggère le chef du Parti québécois, il ne serait pas suffisant que l’Assemblée nationale adopte une motion exemptant les députés de l’obligation de prêter le serment au roi pour écarter les exigences de la Loi constitutionnelle de 1867.

Un serment au roi est un serment à notre système de gouvernance

Il est important de garder à l’esprit que le roi Charles III, en sa qualité de roi du Canada — une charge distincte de celle de roi du Royaume-Uni –, personnifie l’État canadien. La Couronne canadienne étant divisible, le monarque personnifie en outre l’État québécois.

Un serment au roi n’est pas un serment à la personne qui porte la couronne à un moment donné. Il s’agit plutôt d’un serment à une institution qui symbolise notre système de gouvernement : une monarchie constitutionnelle démocratique. Un serment au roi est donc un serment à notre système de gouvernance et à notre patrie plutôt qu’un serment à un monarque étranger.

Dans le même esprit, dans l’arrêt McAteer, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’un individu ne peut, pour des raisons fondées sur sa conscience et ses croyances, refuser de prêter le serment d’allégeance exigé aux termes de l’article 24 de la Loi sur la citoyenneté pour devenir citoyen canadien. Il serait incohérent qu’un élu, qui entend faire partie de l’appareil étatique, puisse être exempté de cette obligation, a fortiori considérant qu’elle lui est imposée par la Constitution, le document qui trône au sommet de la hiérarchie des normes.

Naturellement, certains, comme le chef du Parti québécois, s’opposent au caractère monarchique de notre pays, une caractéristique que plusieurs jugent anachronique. Il n’est pas exclu qu’un jour le Canada renonce à la monarchie et devienne une république, comme l’ont fait un bon nombre de démocraties occidentales. Toutefois, d’ici là, les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit exigent que les élus respectent la Constitution — la loi suprême du Canada — et le système de monarchie constitutionnelle démocratique qu’elle met en place.

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