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Vote sur l’État de droit en Hongrie : une victoire symbolique pour Viktor Orbán

Viktor Orbán a mis au jour les divisions internes au sein du Parti populaire européen. PPE/Flickr, CC BY-SA

« Grande victoire pour Orbán : des messages de soutien à son action à travers l’Europe » : tels étaient les gros titres des journaux télévisés sur toutes les principales chaînes hongroises, au lendemain du vote du Parlement européen déclenchant le fameux article 7. On pouvait voir les pages de réseaux sociaux du Fidesz, son parti, inondées de messages de soutien à la politique d’Orbán, en provenance de partisans vivant aux quatre coins de l’Europe.

Le Parlement européen a approuvé, le 12 septembre 2018, par 448 contre 197 (avec 48 abstentions), le rapport de l’eurodéputée Sargentini constatant des « risques graves » de violation des « valeurs » de l’Union, selon les termes des articles 2 et 7 du Traité sur l’Union européenne. C’est le début d’une longue procédure qui pourrait, comme dans le cas de la Pologne le 20 décembre dernier, aboutir à l’adoption de sanctions (suspension des droits de vote) pour la Hongrie.

Les autorités hongroises ont dénoncé un chantage politique visant à punir la Hongrie pour ses positions opposées à l’accueil de réfugiés et de migrants. Les dirigeants des principaux partis européistes ont, eux, salué une victoire pour la construction européenne, pour l’Union dans son ensemble et pour la protection de ses valeurs.

Il est toutefois trop tôt pour crier victoire chez les européistes : le processus enclenché est à double tranchant et son impact final ne se décidera que dans les prochains mois. Pour que des sanctions soient adoptées, une très forte majorité de 80 % des États membres doit être réunie au Conseil ; et le statut du premier ministre hongrois peut entre-temps sortir renforcé de cette ordalie.

Si la victoire est donc douteuse, la clarification est, elle, évidente. La campagne pour les élections européennes du 26 mai 2019 vient de voir ses termes et ses lignes de clivage sensiblement clarifiées. Les européistes sauront-ils profiter de cette clarification pour renforcer leur message et devenir audibles auprès des opinions publiques ? Il en va de l’avenir de l’Europe.

Crier victoire est prématuré

Grâce à ce vote, les partisans de l’Union ont pu se compter : ils ont réussi à entamer la solidarité au sein du Parti populaire européen avec Viktor Orbán ; ils ont forcé le Chancelier autrichien ÖVP Kurz à se déclarer pour l’adoption du rapport ; ils ont montré que la procédure de l’article 7 n’est pas condamnée à rester lettre morte. Ils ont ainsi prouvé que les valeurs de l’Union européenne, proclamées par l’article 2 du Traité sur l’UE, étaient à même de définir les lignes de clivages politiques.

Avec le chancelier d’Autriche, Sebastian Kurz, à Vienne, le 30 janvier 2018. Joe Klamar/AFP

Toutefois, le chemin est encore long et hypothétique avant que la Hongrie voie ses droits de vote suspendus et les subventions européennes stoppées. Bien pis, il est possible que les européistes aient remporté une victoire à la Pyrrhus. Au lendemain du vote, c’est toute l’Europe du groupe de Višegrad (V4) qui risque de se considérer comme mise à l’index.

La Pologne, déjà visée en décembre dernier par la procédure de l’article 7, la Tchéquie et la Slovaquie ne peuvent que se solidariser avec la Hongrie au sein du V4. Et la coalition de gouvernement en Autriche ÖVP-FPÖ visée par l’article 7 en 1999 peut elle aussi, à terme, bloquer le processus. Mais surtout, ce revers au Parlement de Strasbourg consacre a contrario le leadership de la Hongrie en étendard d’un mouvement profond sur les échiquiers politiques nationaux qui dépasse le cadres de l’Europe centrale et orientale, comme en témoigne les convergences avec la Ligue de Salvini en Italie ou les Démocrates Suédois à Stockholm.

La stratégie de rupture d’Orbán

La victoire peut, en réalité, être celle de Viktor Orbán : sa stratégie de rupture est intentionnelle. Il a décidé de répondre au rapport en séance au Parlement. Il a décidé de personnaliser le vote. Il a présenté ces résultats comme une victoire du parti pro-immigration et pro-islam.

À Varsovie et à Rome, à Stockholm et à Athènes, la Hongrie peut maintenant fédérer tous ceux dénoncent les décisions de l’UE concernant la répartition obligatoire des réfugiés, tous ceux qui prétendent défendre l’identité de l’Europe contre l’islam et tous ceux qui promeuvent un retour des souverainetés nationales.

Ce vote peut être le point de départ d’un nouvel élan pour la construction européenne. Il peut aussi devenir l’événement fondateur d’un leadership orbanien dans les opinions publiques des États membres.

Les élections européennes commencent

Loin d’être un aboutissement, ce vote au Parlement est le point de départ d’une clarification de l’échiquier politique dans la perspective des élections européennes du 26 mai prochain.

Le scrutin du 12 septembre consacre des clivages latents, mais surtout les rend enfin visibles. En effet, 116 députés du PPE (sur 216) se sont déclarés favorables au rapport appelant à sanctionner Orbán. Jusqu’ici, la ligne de partage entre l’Europe d’Orban et l’Europe de Macron était floue : le PPE avait toujours maintenu son soutien au premier ministre hongrois.

Aujourd’hui, il est incontestable que cette ligne de partage en Europe passe au milieu du PPE entre, d’une part, les partisans d’une solidarité européenne forte et obligatoire, d’autre part, les avocats d’une Europe de la souveraineté des États. L’éclatement du PPE sur la question hongroise révèle une nouvelle bipartition de l’échiquier politique européen : d’un côté, les sociaux-démocrates (S&D), les libéraux (ADLE), les Verts (ALE) et, de l’autre, l’Europe des nations et des libertés que le parti d’Orbán, le Fidesz, a toujours refusé de rejoindre mais qui a voté contre le rapport Sargentini.

Le vote du 12 septembre clarifie également les thèmes de campagne. Après ce vote, les groupes parlementaires européens, les partis nationaux, les gouvernements nationaux et même les électeurs devront trancher. Pour ou contre l’accueil des migrants ? Et cette question a deux formulations possibles : soit une version hongroise qui considère que le défi migratoire est une question identitaire ; soit une version française qui considère que les migrations sont une question de solidarité européenne avant tout.

Les termes du débat sont posés

Le « cas hongrois » redessine la carte des partis européens et redéfinit les thèmes de débat.

Cette transformation du paysage et cette cristallisation du débat sont, pour une large part, à l’initiative d’Orbán lui-même. Les origines du rapport de l’eurodéputée remontent certes à l’automne dernier, mais le réel basculement politique, qui a rendu possible le ralliement d’une majorité des deux tiers au Parlement, ne correspond pas à une évolution de la situation en Hongrie ou à une prise de conscience européiste. Elle correspond bien plutôt à une évolution de la rhétorique extérieure d’Orbán et ses attaques publiques récentes, directes et explicites, à l’encontre de ses homologues notamment français, allemand, luxembourgeois.

Le calendrier de cette évolution peut être rapproché de celui du budget européen. D’ici deux ans prendra fin le cycle de budget 2014-2020 de l’Union, qui consacrait des fonds important au développement régional et à la cohésion envers les « nouveaux adhérents » de 2004. Le Parlement européen se saisit des enquêtes de l’OLAF (Office européen de lutte antifraude) sur les soupçons de détournement massifs et systématiques de cette manne européenne en Hongrie.

Il est tentant d’y voir une explication à l’attitude ambivalente d’Orbán envers l’Union : critique ouverte, mais n’appelant jamais à en sortir. Mais dans le cycle suivant, 2020–2027, ces fonds seront grandement réduits. C’est à cette lumière que les observateurs du système politique hongrois attendent et décodent les évolutions de l’attitude d’Orban envers l’Union. Le vote de l’article 7 sera-t-il l’occasion parfaite donnée aux gouvernements illibéraux pour commencer à évoquer l’idée d’une sortie de l’UE pour la Hongrie, voire plus largement pour Groupe de Visegrad, un « Visexit » ?

L’enjeu : l’identité ou le projet ?

S’agit-il d’un débat fondamental sur les « valeurs » de l’Union, comme le soutiennent les deux camps en présence ? Sans doute divergent-ils sur la teneur et l’étendue des principes juridiques de l’Union. C’est pour cela qu’ils ont des appréciations opposées sur leur situation en Hongrie.

Mais, ce qui est en jeu est tout autant un débat sur l’avenir de l’Europe. Viktor Orbán n’a pas le monopole de la préservation des valeurs européennes. Les autres courants politiques sont tout autant dans la lignée des valeurs de notre continent. La libre-pensée, l’asile pour les persécutés, la pluralité confessionnelle, la coexistence pacifique des cultures, toutes ces valeurs entrent dans l’ADN de l’Europe au moins autant que les racines chrétiennes évidentes du continent.

Les forces politiques européistes sauront-elles formuler les débats de l’opinion publique européenne naissante dans leurs propres termes ou resteront-elles dans le cadre du débat défini par le camp d’Orban ? Il leur faudra faire cet effort pour que leur campagne soit audible et suscite l’adhésion.

Aujourd’hui, dans le cas hongrois, c’est le destin de l’Europe qui se joue : soit une mise en commun plus large des souverainetés nationales ; soit un retour à celle-ci. Les élections de mai prochain arbitreront entre la victoire parlementaire des européistes et la victoire symbolique d’Orbán.

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