Après le départ de Nicolas Hulot du gouvernement Macron, nombre d’articles sont revenus sur le bilan du ministre démissionnaire. Parmi les dossiers difficiles qu’il aura eus à aborder, figure la question de la baisse du nucléaire à atteindre à l’horizon 2025-2035. Cet objectif figure dans la loi de transition énergétique votée en 2015. Mais fin 2017, Nicolas Hulot admettait qu’il serait « difficile » d’atteindre un tel objectif pour 2025.
La prise en compte de cette difficulté intervenait après la publication par RTE, le service public qui gère le réseau de transport d’électricité en France, de plusieurs scénarios imaginant cette transition énergétique dans l’Hexagone ; l’un des principaux objectifs étant donc de faire baisser la part du nucléaire à 50 % d’ici 2035 (elle est aujourd’hui de 75 % environ) dans le mix électrique français – en fermant des centrales nucléaires et en développant les énergies renouvelables.
Pourquoi cet objectif de 50 % ? On ne peut pas ici invoquer l’Accord de Paris sur le climat puisque la production d’électricité nucléaire émet très peu de gaz à effet de serre. Inscrit dans la loi de transition énergétique de 2015, cet objectif était l’un des soixante engagements du candidat Hollande à la présidentielle de 2012. Après la catastrophe de Fukushima, qui a frappé le Japon en 2011, la dépendance de la France vis-à-vis du nucléaire et les questions de sûreté (des centrales vieillissantes au stockage des déchets) liées à cette exploitation s’étaient posées avec une acuité renouvelée.
À l’heure où la relance de la construction des centrales nucléaires revient dans l’actualité, il est intéressant de reprendre ces différentes hypothèses proposées par RTE.
Quatre scénarios pour 2035
Baptisés Ampère, Hertz, Volt et Watt, ces scénarios concernent donc l’année 2035 (un autre, appelé Ohm, s’intéressait spécifiquement à l’année 2025). Ces quatre hypothèses prévoient essentiellement de remplacer une partie du parc nucléaire par des éoliennes et des panneaux solaires. Deux des quatre scénarios prévoient une stabilité de la consommation d’électricité française, deux autres une baisse de 9 % environ. Certains se permettent une hausse de la production d’électricité d’origine fossile émettrice de CO2, d’autres envisagent une baisse.
L’électricité se stockant difficilement, on doit adapter en permanence la production à la consommation grâce à des moyens pilotables : la puissance des centrales nucléaires, fossiles et hydrauliques est ainsi ajustée de façon continue selon les besoins des utilisateurs.
Remplacer ces sources d’énergie par des moyens dont la production dépend du vent et du soleil constitue un réel challenge et nécessite de les multiplier. RTE considère en effet pouvoir compter la plupart du temps sur 10 % de la puissance éolienne installée. Il faut donc installer 10 éoliennes pour espérer avoir en permanence au moins la puissance d’une seule.
Tripler le rythme d’installation des éoliennes
Ampère est le plus commenté des scénarios, notamment parce qu’il aboutit à une baisse des émissions de CO2 sans baisse de la consommation électrique des ménages français ; il prévoit une production d’électricité à 46 % nucléaire, 50 % renouvelable et 4 % fossile.
Dans cette hypothèse, la production d’électricité augmenterait de 20 % malgré une stagnation de la consommation. Car l’objectif vise 50 % de la production d’origine nucléaire, et non 50 % de la consommation. En augmentant les exportations, la production nucléaire représenterait encore 61 % de la consommation française mais moins de 50 % de la production
Certains voient dans ce dispositif l’influence du lobby nucléaire qui aurait trouvé là un moyen de fermer le moins possible de réacteurs. Mais l’irrégularité de la production éolienne et solaire nécessitant de multiplier les moyens de production pour en avoir toujours un minimum quand il y a peu de vent/soleil, il y aurait aussi des moments où cette production serait trop importante et devrait donc être exportée. L’augmentation de 213 TWh de la production renouvelable ne permettrait ainsi qu’une baisse de 90 TWh de la production nucléaire.
La puissance totale installée, qui désigne le nombre de dispositifs de production d’électricité, augmenterait de 62 % (passant de 129 GW à 209 GW) ! Il faudrait donc augmenter considérablement les moyens de production pour une même consommation. Les éoliennes et panneaux solaires ajoutés viendraient essentiellement rejoindre, et non remplacer, les autres moyens de production. Il faudrait ainsi tripler le rythme d’installation des éoliennes et doubler celui du photovoltaïque. RTE souligne qu’il s’agit là d’une « trajectoire ambitieuse », nécessitant « un changement de dimension par rapport à l’état actuel ».
La consommation d’électricité annuelle stagnerait malgré la croissance de la population, une croissance économique de 2 % par an et plus de 15 millions de véhicules électriques à recharger. Le principal argument invoqué est l’amélioration de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire l’usage de technologies moins consommatrices. Pourtant la consommation française stagne depuis 2008 mais ne baisse pas, alors que la croissance économique a été bien inférieure à 2 % et que le véhicule électrique s’est très peu développé. Il est d’ailleurs souhaitable, pour diminuer les émissions de CO2 et autres polluants, de remplacer des consommations d’énergie sous forme de pétrole et de gaz par des consommations d’électricité.
RTE considère également dans ce scénario 700 000 rénovations de logements par an qui seraient mieux isolés. En 2012, l’État français avait fixé l’objectif de rénover 500 000 logements chaque année, cet objectif a été repris en 2015 et récemment en novembre 2017. Mais il n’a jamais été atteint : on rénove moins de 400 000 logements chaque année, et à un niveau généralement bien insuffisant.
La pointe de consommation, c’est-à-dire la consommation maximale à un moment donné lorsque de nombreux appareils électriques fonctionnent, devrait diminuer car la production éolienne et solaire ne serait pas forcément présente au bon moment. RTE donne l’exemple d’un jour d’hiver peu venté où la puissance consommée par la France s’élèverait à 84GW : il serait alors nécessaire d’importer 9 GW d’électricité produite à l’étranger. On suppose donc que nos voisins seraient en mesure d’exporter… or il y a de fortes chances que la production éolienne et solaire soit également faible chez eux.
Des risques de défaillances
Dans le scénario Ampère, RTE souligne que les épisodes de températures très faibles, entraînant une pointe de consommation, s’accompagnent souvent d’une production éolienne réduite. Malgré cela, RTE précise que « l’équilibre offre-demande durant les situations de consommation forte repose nécessairement sur une contribution de l’éolien », que la probabilité de défaillance peut atteindre 30 % pour des puissances appelées supérieures à 94 GW et de 60 % pour une consommation supérieure à 101 GW. Or la pointe de l’année 2017 a été de 94 GW et la pointe historique française à 102 GW ne date que de 2012.
RTE confirme d’ailleurs qu’il y aura des coupures d’électricité et que « le système électrique français n’est plus en situation de « passer » une vague de froid comme celle de février 2012 sans appel aux leviers exceptionnels voire au délestage. » On peut également lire qu’« en 2035, sur les 1000 cas simulés, 44 % présentent au moins une heure de défaillance et 5 % contiennent plus de 10h de défaillance ».
La question des émissions de CO2
Le scénario Volt est celui qui utilise le moins le gaz, et permet donc de diminuer davantage les émissions de CO2. Mais il suppose une consommation d’électricité annuelle en baisse de 9 % et, surtout, il maintient la part du nucléaire dans la production à un niveau plus élevé de 56 %. On le comprend, le risque de défaillance du réseau électrique est ici plus faible.
Le scénario Hertz prévoit moins de production nucléaire, mais davantage de production s’appuyant sur le gaz, d’où des émissions de CO2 proches du niveau actuel et un risque de défaillance plus élevé.
Le scénario Watt aboutit à seulement 11 % de nucléaire, supposant une baisse importante de la consommation (-15 %) et un doublement de la production fossile, donc une nette hausse des émissions de CO2 (+45 %). Il nécessite les effacements de consommation les plus importants (on rémunère de gros consommateurs industriels pour qu’ils décalent leur consommation), ce qui n’empêche pas un risque de défaillance très élevé – de 85 % – lors de pics de consommation à seulement 89 GW.
En résumé, pour remplacer une partie des centrales nucléaires ou fossiles par des moyens éoliens et solaires, il faudrait accepter davantage d’effacements de consommation et parfois des coupures, augmenter considérablement la puissance totale installée et les lignes de transport, réduire la consommation annuelle et les pointes, et que nos voisins puissent nous acheter de l’électricité lorsque nous en produisons trop et nous en vendre lorsque nous en manquons. En comparant les scénarios, on constate que plus on diminue la part du nucléaire, plus on émet de CO2 et plus le risque de coupure est élevé.
Bertrand Cassoret a fait paraître, en mars 2018, « Transition énergétique, ces vérités qui dérangent » aux éditions Deboeck.