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À Maré en Nouvelle-Calédonie, un jeu de rôles pour préserver les ressources en eau

Session de jeu à Maré en août 2020. IAC, CC BY-NC-ND

Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Trou d’eau dit de Pethoen à Maré. IAC/Drouin, CC BY-NC-ND

Dans la continuité de la politique de l’eau partagée (2019) et compte tenu des multiples enjeux de préservation de la ressource en eau dans l’archipel calédonien, l’Institut de recherche en agronomie calédonien (IAC) et l’Inrae ont accompagné l’élaboration d’un jeu de rôles appelé Tini ri rawa (pour « l’eau sous la terre » en langue nengone) autour de la vulnérabilité de la lentille d’eau douce de Maré.

Maré est une des deux îles Loyauté qui dispose d’une ressource en eau douce unique et souterraine entourée et flottant sur l’eau salée. Une ressource vulnérable aux intrusions salines et aux pollutions provoquées par les activités humaines.

Schéma du système hydrologique de Maré (coupe nord-sud). IRD

Au plus près des réalités calédoniennes

Créé à partir du kit de modélisation participative Wat-a-Game, Tini ri rawa est un jeu de rôles calibré pour la province des Îles Loyauté ; il traduit les réalités locales quant aux pratiques, aux usages et aux représentations de l’eau.

La version aboutie du jeu a été initiée et coordonnée par une étudiante formée aux méthodologies de la participation, et testée et améliorée par des chercheurs/ingénieurs et des techniciens locaux.

Le plateau de jeu de Tini ri rawa. IAC, CC BY-NC-ND

À partir d’un plateau qui représente les zones de vulnérabilité de la lentille d’eau douce de Maré, le jeu s’articule autour de cinq rôles – l’agriculteur, l’artisan, le prestataire touristique, l’habitant et le maire – qui doivent développer leurs activités en tenant compte de leurs impacts sur la ressource en eau (pratiques d’irrigation des cultures, récupération d’eau de pluie, toilettes sèches ou à chasse d’eau classique, etc.).

Détenteur de ressources en eau propre (eau de pluie ou du réseau d’eau potable), en eau sale (après usage) et en argent, chaque joueur doit cibler des enjeux environnementaux, sociosanitaires ou économiques pour rendre compte de sa stratégie d’action dans la zone de vulnérabilité de son choix.

Tout en restant neutre, l’animateur cherchera à provoquer des échanges entre les joueurs sur leurs pratiques, afin de développer une conscience collective et écologique.

Il pourra également, au cours du jeu, provoquer des évènements naturels et culturels (cyclone, raz de marée, mariage, etc.) qui contribuent à mener une réflexion collective sur les conséquences des choix des joueurs.

Durant les trois mois de préparation et de déploiement du jeu à Maré, les 83 participant·e·s nous auront permis d’éprouver la pertinence des divers éléments du jeu et d’entamer la capitalisation d’une série de données sur les pratiques de consommation et de préservation de la ressource en fonction des zones géographiques concernées.

Une boussole pour l’action publique

Ces données collectées ont été informatisées puis analysées grâce à des bases de données systématisées pour produire des graphiques révélateurs de tendances, en fonction des tranches d’âges, du genre et des tribus d’origines.

Graphique représentant l’intérêt des participants à favoriser le dialogue entre les acteurs en fonction des zones de vulnérabilité desquelles ils sont originaires, données issues des questionnaires de satisfaction. IAC, CC BY-NC-ND

À terme, et grâce à un échantillon plus représentatif, ces données pourraient contribuer à réorienter si nécessaire les politiques publiques.

Vers la prise de conscience collective ?

Les observations issues des sessions de jeu ont révélé des motivations réelles de la part de la population locale pour participer à la concertation et débattre des problématiques de gestion de l’eau.

Investis dans leurs rôles, les joueurs ont découvert d’autres groupes d’acteurs locaux, les amenant à reconsidérer leur relation à l’eau de manière plus globale. Se mettre à la place des autres, c’est prendre conscience de l’intérêt général à protéger la ressource en eau.

La session de jeu a également permis à chaque joueur en tant qu’individu, habitant et selon son rôle, d’avoir l’opportunité de pouvoir exprimer ses interrogations au-delà des pressions sociétales et culturelles usuelles.

Session de formation des services civiques de la mairie de Maré, en décembre 2020. Mairie de Maré

Le plateau de jeu constitue un monde virtuel dans lequel les joueurs peuvent chercher des réponses au monde réel sans réveiller certains complexes liés au niveau de connaissance.

Un jeu de rôles reste toutefois très associé à celui qui l’anime. Tout au long de la partie, l’animateur est là pour créer l’émotion chez les joueurs. Il rythme, dynamise, parfois bloque le bon déroulement des tours, ce qui peut provoquer de la surprise et de la contrariété.

Plus la situation est complexe, et l’accès à la ressource difficile, plus les joueurs sont soudés et résolus à chercher des solutions.

Un jeu pour jouer sur différents niveaux

En transférant le jeu aux autorités locales, celui-ci est passé de projet scientifique exploratoire à outil de sensibilisation pour servir l’intérêt général. L’originalité de cette démarche réside dans le fait d’avoir adapté le jeu au contexte socioculturel de Maré, en collaborant étroitement avec des personnes-ressources locales lors de sa phase d’élaboration.

L’intérêt était de collecter les pratiques actuelles pour les confronter à celles attendues et envisagées par les spécialistes comme étant soutenables.

Ce principe se révèle pertinent pour les chercheurs autant que pour les usagers de l’eau, les données collectées à des fins de recherche constituant (presque) autant de données partagées entre les acteurs locaux de Maré, qu’ils soient simples usagers ou spécialistes.


Julien Drouin (ingénieur agronome, Institut agronomique néo-calédonien) et Amo Katleena (ingénieure d’étude en SHS) sont co-auteurs de cet article.

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