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Addictions chez les jeunes : la solution est dans la relation éducative

Vouloir ramener un adolescent à la raison n'aide pas à entendre “ses” raisons. Shutterstock

La France est l’un des pays européens où les adolescents consomment le plus de produits stupéfiants. 80 % d’entre eux expérimentent plusieurs produits – tabac, alcool et cannabis, selon les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Un adolescent sur quatre de 15 ans, et quasiment un sur deux à 17 ans, a déjà touché au cannabis. Quant à l’usage régulier, il concerne un adolescent sur 10 (9,2 %). Mais à partir de 25 ans, les enquêtes épidémiologiques montrent que ces taux diminuent considérablement. L’usage de cannabis demeure donc avant tout un phénomène générationnel.

Si ces chiffres, traduisant un réel problème de santé publique, peuvent légitimement inquiéter les parents, ils montrent aussi le caractère non tragique de ces usages, pour la plupart réversibles. Ils invitent à considérer la consommation de cannabis comme un risque lié à une période de vie, qui peut impacter la scolarité et les relations sociales des jeunes, et, dans certains cas, se transformer en addiction chronique à l’âge adulte. Remettre ces risques en perspective redonne aux adultes leur pouvoir d’agir et les conforte dans leur rôle d’éducateurs, dans une double démarche de réduction de ces risques et de soutien à la personne.

Le choix de la prévention

Comment placer au plus juste le curseur entre protection et autonomie, sans laisser l’adolescent seul dans sa recherche du plaisir, de performance et d’intégration sociale ? Comment éviter qu’il ne confie à l’objet le pouvoir de calmer, accentuer, renforçant ainsi l’attrait des substances psychoactives ? C’est à ces questions que nous avons essayé, Jean‑Pierre Courteron, Aude Stehelin et moi-même, de répondre avec Adolescents et cannabis, que faire ? (Couteron, Lascaux & Stehelin, 2017). Dans cet ouvrage publié en 2017, nous avons choisi de partager les expériences et connaissances issues aussi bien de nos pratiques cliniques en Consultations Jeunes Consommateurs que nos de travaux universitaires, en lien avec un programme de recherche européen (INCANT). Objectif : permettre à chacun d’y piocher des attitudes et des stratégies qu’il adaptera aux situations rencontrées, pour mieux construire son propre savoir-faire.

Tout le monde s’accorde sur l’idée qu’il faut « maintenir le dialoguer et mettre un cadre ». Un très bon conseil mais le plus souvent difficile à mettre en pratique. Entamer un dialogue sur « la drogue », sujet encore possiblement tabou – et de surcroît quand il s’agit de son propre enfant – est un défi de taille ! La démarche psycho-éducative retenue ambitionne d’aider les parents et adultes à se plonger sans peur, étape par étape, dans la construction d’une éducation préventive.

Face aux dangers des drogues, il faut miser sur la prévention et inscrire le dialogue dans le temps.

L’art d’engager le dialogue

La réaction émotive qui suit la découverte d’un usage risque d’amener à des attitudes ayant l’effet inverse de l’objectif visé. Pour un parent, mettre l’inquiétude ou la colère à distance est un véritable défi. Pour y parvenir, on peut jouer sur trois registres :

  • Les perceptions : Accepter la différence de perception avec son adolescent pour éviter les débats stériles du type « je gère/non tu exagères » ! L’adolescent a besoin de cette différenciation pour se développer, et celle-ci n’augure en rien de l’adulte qu’il sera et des valeurs qu’il défendra. C’est en remettant en route le processus que l’écart se réduira ensuite.

  • Les objectifs : Changer de cible d’attaque, le cannabis n’est qu’un moyen trouvé par lui (certes pas idéal) pour se sentir mieux, non pas un moyen de se détruire. Ainsi plus que de lutter « contre », intéressons-nous à la recherche de mieux-être chez l’adolescent.

  • Les interactions personnelles : Éviter quelques pièges de communication auxquels les adolescents sont particulièrement sensibles, ils s’en sentent dévalorisés. Vouloir convaincre empêche d’écouter, vouloir ramener à la raison n’aide pas à « entendre » ses raisons, se piéger dans une pensée moralisatrice bien/mal réduit l’ouverture à des possibles.

Le temps de la prise de conscience

Pour faire évoluer le regard de l’adolescent sur ses usages, deux types d’action, classiques sur d’autres thèmes, permettent d’éviter le piège des reproches. Il convient simplement de les adapter au cas présent :

  • L’écoute active : Les interventions du type « tu n’as pas besoin de ça avec tes amis, ne sois pas influençable » deviennent « qu’est-ce que t’apporte la consommation quand tu es avec tes amis ? » En interrogeant ce que l’adolescent montre à voir par comportements, il se sentira plus considéré et sera donc plus disposé à nous écouter.

  • La responsabilisation : Développer une écoute active de ce que vit l’adolescent et des fonctions de son usage ne doit pas empêcher les adultes de « cadrer » sa prise d’autonomie. Les interventions du type « tu n’es pas capable de t’arrêter, tu gâches tout » deviennent « quelles sont les conséquences de tel ou tel comportement ? Quels risques prends-tu ? » Reformuler les choses en termes de règles et de conséquences, pour lui et les autres membres de la famille, plutôt qu’en terme d’interdit et d’autorisation, aide à identifier ses limites et capacités de contrôle.

Maintenir le cap

Il s’agit de « rester confiant quant à ce qui a été construit, tout en restant vigilant ». Parce que les évolutions positives en matière d’usage ne sont pas toujours visibles immédiatement, les parents ou éducateurs devront gérer les angoisses liées aux changements et aux doutes :

  • En gérant les conflits inévitables et nécessaires par la négociation, sans gagnant ni perdant – car un adolescent prêt à négocier, c’est un adolescent qui change !

  • En nommant avec précision les efforts observés (plutôt que de chercher à dire ce qui est bien ou mal) pour encourager les changements. Cela renforce la confiance en soi et vient contrebalancer les effets positifs du produit.

  • En restant vigilant aux risques de rechute, qui font partie du processus normal de changement, et en définissant par exemple des garde-fous avec l’ado pour agir vite.

Si l’exemple pris dans ce manuel est celui du cannabis, l’éducation psycho-éducative vaut pour l’ensemble des expérimentations à risque addictif des adolescents. Elle apaise la charge émotionnelle car elle informe, conseille et redonne un pouvoir d’agir aux parents, éducateurs. C’est un passage nécessaire pour s’interroger, pour comprendre, pour s’armer face à ces enjeux éducatifs essentiels pour l’avenir des adolescents. Sans donner de leçon, partageons savoir-être et savoir-faire pour une coopération éducative !

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