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Le réveil de l’antisémitisme d’extrême droite

Profanation au «Jardin du souvenir», à Champagne-au-Mont-d'Or, près de Lyon. Jeff Pachoud / AFP

Selon le ministère de l’Intérieur, il y aurait eu en 2018 une augmentation de 74 % des actes antisémites en France, bien que toutes les victimes ne portent pas plainte, considérant que c’est inutile, malheureusement. Comment expliquer une telle hausse ?

Outre l’existence d’un antisémitisme en lien avec la situation palestino-israélienne, d’un antisémitisme « postcolonial » (incarné par Dieudonné) et d’un antisémitisme venant de l’islamisme que des prédicateurs et boutiques diffusent sans fard, on distingue également un net retour de l’antisémitisme de l’extrême droite.

Une floraison de textes antisémites réédités

Après une baisse significative durant les années 1990-2000, au point que certains observateurs ont dire qu’il était devenu résiduel, cet antisémitisme se manifeste de nouveau violemment et bruyamment, dans un milieu extrémiste de droite radicalisé. L’intensité de l’antisémitisme ne cesse d’augmenter, tandis qu’une part importante de la gauche radicale estime qu’il y a des formes de racisme plus importantes à combattre, au prétexte que la lutte contre l’antisémitisme serait instrumentalisée par la droite néoconservatrice.

Or, depuis quelques années, des publications françaises n’hésitent plus à exprimer librement et publiquement des positions antisémites ou négationnistes. Ainsi, des éditeurs d’extrême droite rééditent des brochures antisémites datant de la Seconde Guerre mondiale, comme l’ont fait les Éditions du Lore avec le catalogue de l’exposition de Paris de 1941 sur « le Juif et la France » ou la brochure de Georges Montandon, datant de la même époque : « Comment reconnaître un Juif ? »

De leur côté, des théoriciens suprémacistes blancs voient l’action des « juifs » dans le supposé « génocide blanc » à l’œuvre avec le « grand remplacement ». C’est le cas des livres des suprémacistes blancs étatsuniens (Greg Johnson ou Robert S. Griffin), traduits par les éditions Akribeia ou par les pseudos éditions « Pierre Marteau » (comme La Race selon le national-socialisme du néonazi italien Giantantonio Valli).

Ces milieux d’extrême droite n’ont jamais oublié les vieilles antiennes du « complot juif », de triste mémoire, et pensent retrouver l’action de celui-ci dans les évolutions politiques de notre pays. Ils n’ont pas, non plus, oublié le racisme biologique faisant des juifs une « anti-race », hostile aux nations.

Soral et Dieudonné, le « nouveau moment antisémite »

Depuis quelques années, il y a donc en France un « nouveau moment antisémite », pour reprendre l’expression de Pierre Birnbaum, indépendamment des autres formes d’antisémitisme, également en essor.

Des polémistes d’extrême droite, comme Alain Soral ou Dieudonné, font la liaison entre les deux. En effet, le premier de ces activistes (proche du second) vend des ouvrages « classiques » de l’antisémitisme d’extrême droite (Gougenot des Mousseaux, Toussenel, Drumont – ensuite retiré du catalogue –, Ford, Demachy, De Poncins, etc.). Ses longs soliloques touchent des personnes sensibles aux thèmes des autres formes d’antisémitisme.

Ces derniers forment d’ailleurs le public de Dieudonné. Celui-ci est particulièrement sensible aux dérives du postcolonialisme : il n’est ni arabe, ni musulman, et son évolution antisémite est liée à la question coloniale et à la participation de juifs à la traite négrière, un thème venant de l’afrocentrisme étatsunien. De là, il en est arrivé à soutenir le négationniste Robert Faurisson.

Un contexte favorable à la libération de la parole antisémite

Cet antisémitisme politique de l’extrême droite s’exprime, ces dernières semaines, dans les dégradations de cimetières, taguant des runes (odal et sieg), des slogans « white power », des croix gammées, etc. En réalité, il n’a jamais disparu. Bien au contraire, il s’est maintenu discrètement dans des publications plus ou moins confidentielles, dans des blogs et revues négationnistes, comme Tabou.

Le 17 décembre 2018, au cimetière d’Herrlisheim (Alsace). Sébastien Bozon/AFP

Or, depuis quelques années, cette parole antisémite d’extrême droite s’est libérée, les contextes politique et social lui étant favorables, convergeant avec les autres formes d’antisémitisme. On le voit dans la hausse des agressions ; on le voit aussi dans les publications qui n’hésitent plus à le mettre en avant, malgré le risque de procès ; on le voit dans les dégradations ou les tags antisémites.

On le voit, enfin, s’exprimer sans fard sur certaines pancartes des « gilets jaunes » qui reprennent, notamment, le vieux poncif du banquier juif et qui visent explicitement la famille Rothschild, un classique de l’antisémitisme depuis le XIXe siècle.

Les « gilets jaunes » sont-ils antisémites ?

On a vu des pancartes ouvertement antisémites parmi les « gilets jaunes », donc, mais l’extrême horizontalité de ce mouvement rend l’analyse ardue : sont-ils vraiment antisémites ? Parmi les éléments de réponse, celui-ci : la hausse de 74 % des actes antisémites est calculée sur une période ante–« gilets jaunes ».

Ces expressions d’antisémitisme au sein des manifestations sont-elles le fait de militants d’extrême droite qui partagent les revendications de ce mouvement, et qui sont donc, de fait, des membres de ce mouvement ? S’agit-il de position de militants d’extrême droite qui tentent d’infiltrer ce mouvement et cherchent à imposer leurs problématiques ?

On peut penser légitimement qu’il s’agit d’un mélange de tout cela, mais dans quelles proportions ? N’importe qui peut se dire « gilet jaune » ou soutien de ceux-ci… Ainsi, des militants antisémites comme Alain Soral, Hervé Ryssen ou Dieudonné les soutiennent et ont été vus dans les manifestations. Cela n’aide pas vraiment à démêler l’écheveau.

Cependant, le reflux du mouvement laisse apparaître les éléments les plus ultras, venant de cette extrême droite, mais également de la mouvance islamiste comme l’a montré l’agression verbale du philosophe Alain Finkielkraut, le 16 février 2019.

À Marseille, le 19 février 2019. Boris Horvat/AFP

Si le mouvement n’est pas antisémite dans sa globalité, il a bien comporté des manifestations antisémites. Il ne faut pas le nier ni le minimiser, mais dire que ce mouvement serait intrinsèquement antisémite est exagéré. Surtout, il s’agit d’un moyen expéditif pour le discréditer sans répondre à ses revendications.

Cependant, on risque bien de voir certains de ses participants se radicaliser dans le sens souhaité par les militants d’extrême droite, qui cherchent explicitement à recruter de nouveaux activistes. Il faut donc condamner ceux qui expriment des positions antisémites et forcer le mouvement, malgré sa structuration horizontale, à se positionner clairement sur cette question.

Surtout, il faut prendre en compte le fait que cet antisémitisme n’est pas propre à ce mouvement : s’il s’y exprime, c’est qu’il est partagé par des segments de la population française, notamment populaires, qui ne sont ni ceux des nouvelles formes d’antisémitisme, ni ceux de l’extrême droite.

Un air de fin XIXe

Si le mouvement des « gilets jaunes » est parfois violent, il n’est pas de nature fasciste : il ne s’est pas structuré en milice paramilitaire ; ses membres ne défilent pas en uniforme dans les rues ; ils ne cherchent pas à tuer leurs adversaires politiques.

Réduire le fascisme à l’utilisation de la violence politique et à l’intimidation de militants est, d’ailleurs, un peu rapide : cette définition peut également être utilisée pour définir l’extrême gauche, voire pour définir d’autres mouvements d’extrême droite comme l’Action française.

Il est fréquent, actuellement, d’entendre qu’il existerait des similitudes avec les « heures les plus sombres de l’histoire européenne », la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une réponse fainéante : nous ne sortons pas d’une guerre totale de quatre ans, qui a vu une partie de sa population brutalisée ; nous ne sortons pas d’une économie de guerre ; nous ne voyons pas de milices paramilitaires défiler dans les rues et s’y affronter violemment, etc.

La violence du mouvement relève d’une autre généalogie, d’une autre filiation. Certains y voient une forme de poujadisme, d’autres des similitudes avec les jacqueries d’Ancien Régime… Quasiment personne n’y reconnaît des points communs avec les attitudes insurrectionnelles d’une partie des populations urbaines populaires sous la Restauration et le règne de Louis-Philippe.

Il en existe aussi beaucoup avec les mouvements antirépublicains des années 1880-1890. Notre époque – avec la mondialisation, la critique du parlementarisme et des élites politiques, son populisme, son antisémitisme, etc. – a plus à voir avec la fin du XIXe siècle, ses ligues, son boulangisme et sa critique de la démocratie libérale-parlementaire. Enfin, la frange extrémiste de droite est minoritaire dans le mouvement des « gilets jaunes », et il existe en son sein une autre tendance située à l’extrême gauche…

Depuis plusieurs années, le climat politique français est très clivé, avec une radicalisation croissante des extrêmes. D’un côté, on observe une montée des revendications sociales qui s’expriment violemment, avec le mouvement des « gilets jaunes » ; de l’autre, une volonté de violence de la part de l’extrême droite radicale.

L’augmentation de la violence venant de ces milieux est clairement visible depuis les attentats de 2012-2015. L’antisémitisme en fait partie, malheureusement. C’est pour combattre cette forme de violence que le Président Macron a annoncé, le 20 février, l’interdiction du groupuscule skinhead d’extrême droite britannique « Blood & Honour » et ainsi que sa branche armée « Combat 18 ». Ceux-ci sont connus à la fois pour leur violence et leur néonazisme mais… ils n’existent quasiment plus en France. Blood & Honour n’y organise plus que quelques concerts.

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