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plantation de bleuets
Les bleuetiers appartiennent à la famille des Éricacées, tout comme les rhododendrons ou la canneberge. (Simon Morvan), Fourni par l'auteur

Apprivoiser le bleuetier sauvage (et ses microbes !)

Avez-vous déjà résisté à un appétissant muffin aux bleuets ? Moi non plus !

Mais vous êtes-vous déjà demandé comment poussent ces petites baies bleues ?

L’essentiel des bleuets que l’on retrouve sur le marché provient du bleuetier en corymbe (Vaccinium corymbosum), un arbuste pouvant atteindre plus d’un mètre d’envergure. Le bleuetier en corymbe est planté en verger, comme les pommiers.

Cependant, mon projet de doctorat s’attarde sur la petite sœur de cette espèce : le bleuetier sauvage, ou bleuetier nain (Vaccinium angustifolium).

Bleuetier sauvage prêt à être récolté. (Simon Morvan), Fourni par l’auteur

Comme son nom l’indique, cette espèce est beaucoup plus petite – les buissons ne dépassent pas les 40 cm. On la retrouve à l’état natif à l’est de l’Amérique du Nord et elle est essentiellement cultivée dans le Maine aux États-Unis ainsi qu’au Québec et dans les provinces maritimes du Canada.

Contrairement aux bleuetiers en corymbe, il n’y a pas de plantation de bleuetiers sauvages. Les bleuetières sont établies dans des zones où les arbustes sont déjà implantés, typiquement en forêt boréale. Résistant bien au feu de forêt grâce à leur rhizome (organe souterrain semblable à une grosse racine), les bleuetiers sauvages sont parmi les premières plantes à repousser à la suite d’un incendie. Les exploitants profitent donc de ces feux, qui éliminent la plupart des autres végétaux, pour établir des bleuetières.

Au Québec, en 2015, 35 500 hectares étaient consacrés à la culture de ce fruit, soit un peu moins que la superficie de la ville de Sherbrooke (QC, Canada) ! La grande majorité des fruits sont congelés après la récolte et exportés à l’international. D’ailleurs, en 2020, le bleuet sauvage représentait la première exportation fruitière du pays, totalisant 312 millions de dollars

Dans cet article, j’apporterai un éclairage sur cette culture particulière et sur le monde invisible, mais ô combien important, du souterrain végétal.

Mais d’où vient cet engouement pour le bleuet ?

Les qualités de ce fruit sont indéniables : un goût sucré et acidulé, une couleur bleue profonde, la taille d’un petit bonbon. Comment ne pas craquer ?

Le bleuet se situe également dans le top des fruits qui contiennent le plus haut taux d’antioxydants, ces molécules maintenant bien connues du grand public qui ont de nombreuses propriétés bénéfiques sur le système vasculaire, cognitif, et glucorégulatoire ! Cette caractéristique, le bleuet le doit aux anthocyanes, les molécules qui donnent la couleur bleutée à la peau du fruit. En raison de ce fort potentiel antioxydant, le bleuet est très populaire, notamment en Asie.

Pour faire face à une demande accrue, les exploitants sont donc à la recherche de pratiques agricoles permettant d’augmenter leur rendement en fruit.

Machine agricole permettant l’épandage dans les bleuetières. (Simon Morvan), Fourni par l’auteur

Le pouvoir des micro-organismes

Il faut dire qu’à première vue, le bleuetier sauvage ne se facilite pas la vie. En effet, le sol dans lequel il s’épanouit n’est pas des plus accueillants.

Bleuetier sauvage (réellement sauvage) poussant quasiment à même la roche ! (Simon Morvan), Fourni par l’auteur

La plupart des nutriments essentiels à la plante (azote, phosphore et potassium) sont sous forme organique, c’est-à-dire que les atomes sont bloqués dans des molécules avec un squelette de carbone, ne pouvant pas être directement absorbées par les plantes.

De plus, le sol est acide avec un pH généralement autour de 4 ou 5, comparable à celui d’une mangue pas mûre. Ce faible pH augmente la disponibilité de minéraux tels que le fer ou l’aluminium. À pH neutre (pH = 7), ces métaux se fixent à des molécules organiques et sont ainsi bloqués, ou non disponibles. Cependant, quand le pH est faible, ils sont décrochés des molécules organiques, et deviennent disponibles. Le problème, c’est qu’à trop forte concentration, ces métaux deviennent toxiques pour les végétaux. Dans ces conditions, on peut se demander comment cette plante fait pour survivre et, de surcroît, produire une baie aussi délicieuse.

Une partie de la réponse se trouve dans le sol, mais elle est invisible à l’œil nu. Il s’agit du monde fascinant des micro-organismes (dont les bactéries et champignons microscopiques). Dans ma recherche, je me suis intéressé aux communautés de champignons et de bactéries qui vivent dans le sol à proximité des racines. Cette zone est appelée rhizosphère. Dans cette fine couche de sol, la plante travaille très fort. En effet, bien qu’on ait l’impression que les plantes sont passives parce qu’immobiles, on se trompe !

Échantillon de sol contenant le rhizome et les racines d’un bleuetier sauvage. C’est à partir de ce type d’échantillon que l’ADN est extrait afin d’étudier les communautés microbiennes peuplant ce milieu. (Simon Morvan), Fourni par l’auteur

Au niveau des racines, les plantes libèrent des molécules qui ont le pouvoir d’attirer ou de repousser certains micro-organismes. Mais cette relation n’est pas unilatérale. Les bactéries et les champignons peuvent également influencer la plante, et tout le monde en profite. On parle alors de symbiose. En d’autres termes, la plante et ses micro-organismes ne font qu’un, comme une équipe !

Une symbiose indispensable

Les bleuetiers appartiennent à la famille des Éricacées, tout comme les rhododendrons ou la canneberge. Cette famille à la particularité d’établir une symbiose mycorhizienne qui lui est propre. Du grec myco (champignon) et rhiza (racine), une mycorhize est une association entre un champignon et une racine de plante.

Dans le cadre de cette symbiose, les filaments du champignon (appelés hyphes) pénètrent à l’intérieur des racines et forment une sorte de pelote de laine, qui va occuper la quasi-totalité de l’espace racinaire. C’est au niveau de cette pelote que se joue le pourquoi de la symbiose : l’échange de bons procédés.

Photographie et schéma de la colonisation mycorhizienne éricoïde. (a) Émergence d’hyphes du champignon Rhizoscyphus ericae de cellules racinaires épidermiques de Calluna vulgaris (Callune) (b) Diagramme d’un complexe d’hyphes à l’intérieur des cellules racinaires externes, typique d’une colonisation mycorhizienne éricoïde. La paroi externe (*) des cellules racinaire de surface est épaissie. Barre d’échelle = 25 μm. (a) Photographie de DJ Read provenant de Smith and Read, 2008. (b) Diagramme tiré de Peterson et Massicotte, 2004

Ces champignons possèdent un arsenal d’enzymes, des protéines capables de découper des molécules organiques et ainsi de libérer les nutriments qu’elles contiennent. Ces nutriments sont captés par les champignons, transportés jusqu’à la pelote à l’intérieur de la racine, puis échangés à la plante. En échange, la plante fournit du sucre qu’elle produit par photosynthèse. Cette association est si importante que certains chercheurs affirment que c’est grâce à elle que les plantes de la famille des Ericaceae peuvent pousser dans des conditions peu adaptées aux plantes.

D’autre part, ces champignons peuvent également protéger les bleuetiers des métaux toxiques (aluminium, fer) soit en les stockant, soit en empêchant leur absorption par la plante.

Un travail de détective

Le but de ma recherche était donc de dresser un portrait de ces micro-organismes et tenter de comprendre quels paramètres pouvaient avoir un impact sur leur présence. Grâce au séquençage de l’ADN présent dans le sol et les racines, nous avons pu avoir un aperçu global des champignons et bactéries présents dans ces milieux.

Nos résultats indiquent une prédominance du groupe de champignons capable de former des mycorhizes. Ce ne sont pas tous les champignons qui ont cette capacité ! Notre découverte suggère donc leur importance dans l’écosystème racinaire des bleuetiers.

Au niveau des bactéries, des espèces ayant un potentiel de fixation de l’azote atmosphérique ont également été trouvées en abondance. L’azote joue en rôle primordial dans le monde vivant, puisque toutes les protéines en sont constituées. Sans azote, pas de chlorophylle, donc pas de photosynthèse, et pas de croissance pour la plante. La fixation de l’azote atmosphérique par les bactéries consiste à capter l’azote présent dans l’air et de le rendre disponible, autant pour elles-mêmes que pour la plante. Dans un contexte de sol appauvri en nutriments, le bleuetier bénéficie ainsi grandement de ce type de bactéries à proximité de ses racines.

De futures études sont nécessaires afin de mieux comprendre l’écologie de ces microbes pour pouvoir un jour espérer bénéficier au maximum de leur service écosystémique et, ultimement, améliorer les rendements des cultures.

La prochaine fois que vous mangerez un muffin aux bleuets, vous l’apprécierez d’autant plus maintenant que vous connaissez la vie rude que ce petit arbuste mène !

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