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Au Mexique, la pandémie frappe un pays déjà fragilisé par la précarité et sa dépendance économique

Contraints de trouver des ressources pour survivre, les Mexicains les plus pauvres s'exposent à de gros risques sanitaires. Claudio Cruz / AFP

Le 14 mars dernier, alors que de nombreux pays européens entraient dans une période de confinement sans précédent pour ralentir la propagation du Covid-19, le Mexique accueillait 70 000 participants à son plus grand festival de musique : le Vive Latino.

Malgré les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’éviter tout rassemblement massif de personnes, le gouvernement a autorisé l’organisation de l’évènement soulignant que le Mexique n’était, à l’époque, qu’au stade 1 de la pandémie.

Les 12 et 13 mars, se tenait à Acapulco, la 83e convention bancaire organisée par l’association des banques mexicaines et ce dans des conditions quasi habituelles. Après l’évènement, des participants ont été testés positifs au cornonavirus.

Des amulettes en guise de protection

Dans ces deux cas, les autorités qui disposaient d’informations fiables, notamment en provenance de l’OMS et d’autres pays plus gravement touchés, ont fait preuve d’une attitude peu rationnelle si ce n’est peu responsable.

Il est vrai que ces décisions sont en partie nées d’un manque de préparation et d’anticipation devant une situation sanitaire inédite. Mais le comportement de certains responsables politiques, en particulier celui du président mexicain Andrés Manuel López Obrador, ont de quoi laisser perplexe.

Ce dernier, lors de la conférence de presse du 18 mars 2020, déclarait se protéger du coronavirus à l’aide d’amulettes et de porte-bonheur et recommandait à la population de se réfugier dans la foi pour affronter le virus.

Pour de nombreux Mexicains, les images religieuses représentent un bouclier contre le coronavirus. Pedro Pardo/AFP

Quelques jours plus tard, faisant fi des fameux « gestes barrière », il participait à des bains de foule, et allait jusqu’à embrasser une petite fille ou encore serrer la main de la mère du baron de la drogue « El Chapo ».

Il aura fallu attendre le 30 mars et la mise en place de l’état d’urgence sanitaire recommandant aux citoyens de rester chez eux et annulant les activités non essentielles, pour observer un changement notable de ligne de conduite du chef d’État mexicain.

Le Covid-19, accélérateur de pauvreté

Le respect des nouvelles mesures nécessaires à la lutte contre le coronavirus apparaît cependant comme une véritable contrainte dans un pays où plus de 50 % de la population vit dans la pauvreté et occupe des emplois informels.

Le confinement, bien que non obligatoire, ainsi que la diminution de l’activité économique forcent aujourd’hui un grand nombre de Mexicains à choisir entre un risque de contamination ou l’aggravation de leur situation de pauvreté.

La crise du Covid-19 s’impose donc dans un contexte de précarité grandissante. Le gouvernement a récemment démantelé le programme d’assurance maladie universelle, le « Seguro Popular » dont l’objectif était de protéger financièrement les populations fragiles sans couverture santé.

Le programme, créé en 2003, sous le mandat de l’ancien président mexicain Vicente Fox, a été remplacé par l’institut de santé pour le bien-être (Instituto de salud para el bienestar, ou INSABI).

Ce nouveau système, entré en vigueur le 1er janvier 2020, laisse une partie de la population mexicaine sans assurance maladie en période d’état d’urgence sanitaire.

Une employée des services de santé affiche un message recommandant aux habitants de rester chez eux à la suite de l’annonce de l’état d’urgence sanitaire le 30 mars dernier. Claudio Cruz/AFP

Si les individus et les familles les plus riches peuvent s’isoler et résister à la situation pendant quelques mois en bénéficiant parfois d’une assurance maladie privée, ils ne vont pas pouvoir échapper longtemps au problème d’engorgement des services médicaux.

Face à cette situation, le gouvernement a rapidement ordonné aux forces armées d’installer des hôpitaux, mais les services publics médicaux actuellement dépourvus d’équipement, de personnel et de médicaments, évoquent publiquement l’absence de soutien adéquat.

De plus, le flou s’installe sur la stratégie du gouvernement en matière de dépistage. Pour contenir la propagation du virus sur le territoire mexicain, un système de tests a bien été mis en place. Mais un certain nombre de règles ont été édictées limitant la mise en place de tests à grande échelle.

Aussitôt, des voix se sont élevées contre ce système suspecté d’aider le gouvernement à dissimuler le nombre réel de personnes contaminées. Le gouverneur de l’État de Jalisco s’est ouvertement plaint des entraves des services des douanes à l’importation de quantités massives d’outils de dépistage.

Une crise économique contagieuse

Les entreprises privées s’en remettent également au gouvernement. Elles ont demandé la mise en place des mesures de sauvegarde de l’emploi notamment en différant les paiements d’impôts. Jusqu’à présent, le gouvernement s’est montré réticent, sachant que toute politique d’aide impliquerait une augmentation mécanique du déficit budgétaire.

Une tragédie nationale pourrait être en train de se produire. Mais l’ampleur internationale de la crise est une double peine pour le Mexique. En effet, l’économie mexicaine est largement dépendante des États-Unis, notamment au niveau des exportations.

Accord commercial USMCA entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Saul Loeb/AFP

En 2017, 80 % des exportations mexicaines (qui représentaient 34 % de son produit intérieur brut) étaient à destination de son voisin américain. De plus, les Mexicains qui vivent du transfert d’argent depuis les États-Unis ne pourront plus compter sur leurs compatriotes immigrés touchés de plein fouet par la probable récession américaine.

Face à un tel enjeu, une alternative pourrait être de mettre en place un programme de revenu universel (c’est-à-dire une somme d’argent sans condition de ressources ou de contreparties) pour les populations privées de leurs sources de revenus quotidiens. Mais une telle initiative ne peut exister sans une augmentation du déficit public et par conséquent un accord voire un soutien des institutions internationales.

Le 25 mars dernier, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, et le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’Organisation des Nations unies, Mark Lowcock, ont affirmé que « ne pas aider les pays les plus pauvres à combattre le Covid-19 serait cruel et imprudent ». L’ONU a également émis le même jour un appel visant à réunir en urgence 2 milliards de dollars pour venir en aide aux 54 pays les plus à risques.

Jusqu’à ce qu’un remède soit trouvé et rendu accessible à tous, le sort des Mexicains dépendra de la faculté des responsables politiques à protéger les plus faibles mais également de la capacité des autres pays à regarder, selon les mots de Mark Lowcock, « au-delà de leurs propres frontières ».

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