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Le documentaire La terrible campagne de Russie. Austerlitz Reportages/YouTube

Avec Deschamps, la France gagne (enfin) la campagne de Russie

Didier Deschamps, de la critique au sacre…

Championne du Monde en Russie, l’équipe de France a redonné un signal fort à toute une génération. Déjà parce qu’elle permet à cette dernière de reprendre le flambeau de celle de 98 et ainsi de poursuivre l’écriture d’une belle histoire débutée il y a 20 ans, mais également parce que si les joueurs en sont les acteurs majeurs, cette victoire symbolise une « sacrée » revanche sur les pronostics et les critiques qu’ont eu à subir les Bleus et leur chef.

Personne n’oubliera les attaques en règle de Christophe Dugarry à l’endroit de Didier Deschamps au sujet de la non-sélection de Karim Benzema ou encore celles du Valence CF face à la décision du sélectionneur français de ne pas intégrer Geoffrey Kondogbia dans l’équipe. Même les anciens coéquipiers du champion du Monde 98 ont eu des mots plus que durs à son égard pour évaluer sa prestation.

Du « trop de joueurs perdus pour pouvoir donner une bonne note au chef d’orchestre » émanant de la bouche de Christophe Dugarry (encore lui qui lui donnera un 4) aux notes attribuées par Franck Leboeuf (6) et Emmanuel Petit (5), à l’issue du match France-Australie, il convient de noter que cette fraternité sportive, née sur le terrain en 98 et galvanisée les années suivantes, n’aura pas permis d’épargner le patron de l’équipe de France. « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge », citation attribuée à Voltaire, n’aura jamais été aussi criante de vérité pour cet homme qui a porté haut et fort les couleurs de la France. Critiqué puis adulé, voilà sans doute la dure réalité que doivent vivre de nombreux managers.

« C’est un comportement qui ne va pas. Point. Il a causé des problèmes au Borussia Dortmund, à ses coéquipiers et à l’équipe nationale. Je ne pouvais pas le sélectionner pour les matchs qualificatifs parce qu’il ne s’entraînait pas ». Didier Deschamps, goal.com, 4 juillet 2018

Didier Deschamps, un chef qui a le courage d’assumer ses choix

Critiqué au début comme l’a été aimé Jacquet à son époque, Didier Deschamps a totalement assumé ses choix et a su créer une forme d’union sacrée autour de lui. Cette dernière, reposant essentiellement sur les attitudes, démontre bien que le casting avait pour objectif de placer le groupe au-dessus de tout en identifiant ceux qui seraient capables de s’entendre durant la compétition et d’ abandonner leur égo afin de maintenir un équilibre et une harmonie. C’est sans doute cette dimension comportementale qui semble avoir joué en défaveur de Karim Benzema et d’Ousmane Dembélé.

Avec peu d’expérience, et une vraie jeunesse dans ses rangs, Didier Deschamps a réussi le pari de créer une nouvelle équipe en sélectionnant ceux qui ont « répondu à son appel ». Pour cela, il a été contraint de faire face, de faire des choix et de les assumer, comme un manager qu’il est, et a eu l’intelligence de ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire. Il est resté au contact de ses hommes avec une proximité qui a fait la différence. Il a fait montre de stratégie, mais a surtout été un fin tacticien en s’adaptant au terrain et en ajustant sans cesse ses choix. C’est une technique napoléonienne qui a payé.

En réalité, il a démontré clairement qu’il était fin psychologue en étant à l’écoute des sentiments et des émotions, en donnant à chacun ses propres responsabilités et en développant un sentiment de confiance au sein de l’équipe, trois caractéristiques que Stéphanie Graf, consultante au sein du magazine suisse Le Monde Economique, estime essentielles pour manager.

Alors que cela n’est pas dans ses habitudes, il est à l’écoute des émotions quand il cherche à appréhender le joueur dans sa globalité. En effet, cela passe inéluctablement par une connaissance de l’homme et de son caractère, certes, mais également de sa famille, de sa jeunesse, de son histoire.

La responsabilisation des joueurs, levier de motivation central, a également été actionnée judicieusement, faisant de lui un maître incontesté en matière d’intelligence situationnelle et tactique.

La décision, alors que l’équipe de France est en finale et que les Croates sont les plus offensifs et dangereux, de faire entrer Corentin Tolisso à la place de Blaise Matuidi et Nabil Fekir à la place d’Olivier Giroud force ces derniers à réussir à l’image de la « soumission librement consentie » que les chercheurs Robert-Vincent Joule et Jean‑Louis Beauvois décrivent à merveille dans leur ouvrage culte « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens ».

En prenant le risque de remplacer deux compétiteurs aguerris par deux jeunes en plein apprentissage du très haut niveau, il les contraint habilement à l’engagement et au surpassement. Le gain est bien, dans ce cas précis, « la rémunération du risque », comme aime à le rappeler Robert Papin lorsqu’il officiait au sein d’HEC Entrepreneurs.

Enfin, vient la confiance, car à lire le témoignage d’Antoine Griezmann après la demi-finale en zone mixte, il la donne et la développe au sein du groupe.

« On a besoin d’un coach qui nous donne sa confiance, qui sait comment jouer les matchs. Depuis le début de la compétition il voit juste et j’espère que ce sera pareil pour la finale ».

Didier Deschamps à Erevan en 2014. Xavier Naltchayan/Flickr, CC BY-SA

Didier Deschamps, une exemplarité sur et hors du terrain

Son exemplarité impose le respect des jeunes Millenials. Ses sélections, ses victoires, son expérience font de lui un leader charismatique que l’on a envie de suivre et pour lequel, avec lequel on souhaiter gagner, car, il incarne cette gagne.

Être capitaine du FC Nantes à 20 ans et de l’OM à 24, détenir deux titres de champion de France avec Marseille (1990, 1992), trois de champion d’Italie avec la Juventus de Turin (1995, 1997, 1998), deux Coupes d’Europe avec Marseille (1993) et la Juventus de Turin (1996), 103 sélections en équipe de France, champion du monde (1998) et d’Europe (2000), une finale de Coupe d’Europe avec Monaco (2004), un titre de champion de France avec Marseille (2010), 81 matchs dirigés (record), quart de finaliste au Mondial 2014, finaliste à l’Euro 2016… sont des « faits de guerre » qui imposent le respect des jeunes Millenials, en quête de modèles à suivre.

« On croit en lui, on a confiance en lui, on joue pour lui », « on est prêts a aller a la guerre pour lui », Antoine Griezmann et Benjamin Pavard.

Ces phrases généralement prononcées par le soldat suivant son chef en disent long sur la qualité des relations que Didier Deschamps a réussi à tisser avec les membres de son équipe durant cette fabuleuse épopée. Elles laissent transpirer un esprit de corps assimilable à une forme de fraternité d’armes et à l’abnégation et l’engagement qui en découlent. C’est ce qui nous aura fait vibrer. Mais il convient de noter l’existence évidente d’une pointe de « crainte salutaire », résultant d’une autorité assumée par le sélectionneur.

Une preuve d’autorité quand il fait le choix de se séparer des joueurs qui ne performent pas assez, au risque de se voir targué des pires calomnies émanant des adeptes de la bien-pensance, mais avec une combinaison habile d’intelligence et de foi dans les jeunes quand il embarque avec lui en Russie 14 novices dans grande expérience internationale dans l’avion.

Didier Deschamps, entre préparation, travail et charisme

Pour certains membres de l’équipe de France, Didier Deschamps insuffle la ténacité, la cohésion et l’efficacité collective ; en deux mots, il provoque la victoire. Le terme est fort tant il fait référence au sacré et il n’est pas sans nous rappeler Hadrien, Plutarque ou Hérode Atticuson tentant d’insuffler (en vain) une vie nouvelle à Delphes.

Didier Deschamps devient un personnage charismatique, un terme qui trouve sa source dans la sphère religieuse avant que Weber n’en donne une définition plus élargie en considérant qu’il s’agit :

« d’une qualité extraordinaire d’un personnage qui est considéré comme doué de forces et de qualités surnaturelles ou surhumaines, ou au moins spécifiquement extra-quotidiennes qui ne sont pas accessibles à tous, ou comme envoyée par Dieu, ou comme exemplaire, et qui pour cette raison est considérée comme chef ».

Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans un travail de préparation rigoureux et méticuleux, qui a pris corps dans la rédaction minutieuse de rapports sur les joueurs afin de suivre leur évolution, de fiches précises sur les failles des adversaires expliquées durant les « meetings tactiques » assurés par Didier Deschamps, montrant ainsi que l’adage selon lequel « la chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés », que l’on doit à Louis Pasteur, n’a pas pris une ride dans le management du XXIe siècle, qu’il soit sportif ou d’entreprise.

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