Ce texte est issu des travaux de réflexion du séminaire, Innovation managériale, (2014 – 2016), du Collège des Bernardins, qui a tenu son colloque conclusif le vendredi 4 novembre 2016. Ce séminaire, co dirigé par Charles-Henri Besseyre des Horts, Maurice Thévenet, et Michel de Virville, se proposait de réfléchir aux transformations actuelles du management, en s’intéressant à la place de l’humain, dans la connexité, dans la diversité des hiérarchies et la mondialisation.
L’entreprise traditionnelle est en crise. C’est notre premier constat. Selon les études, la proportion des salariés en situation de désengagement s’élève de 40 à 80 %, ce qui apparaît considérable.
La crise de l’entreprise classique
Un tiers des élèves d’HEC créent leur entreprise à l’issue de leur scolarité. La nouvelle montre le dynamisme des jeunes générations et elle est réconfortante de ce point de vue, mais elle exprime aussi le désamour des jeunes à l’égard de l’entreprise classique.
Cette dernière, enfin, apparaît de plus en plus fragile. Les grandes entreprises d’aujourd’hui (Google, Amazon, etc.) étaient des start-up il y a vingt ans, ou n’existaient même pas. Les grandes entreprises du CAC 40 d’il y a vingt ou trente ans n’existent plus aujourd’hui. Le digital sape la relation hiérarchique et celle qui unissait jeunes et vieux dans l’entreprise, le rapport à la propriété et à l’argent (Windows rapportait vingt milliards de dollars à Microsoft il y a quelques années, et l’entreprise le distribue aujourd’hui gratuitement), le travail traditionnel (qui peut désormais s’effectuer à distance, dans des cadres flexibles comme ceux que proposent les plates-formes.
Tout se passe comme si de grandes parenthèses (la financiarisation, l’entreprise intégrée reposant sur une culture propre) étaient en train de se refermer sans que l’avenir ne soit très clair.
Innovation au contact des clients, évolution des équipes
L’évolution fondamentale, deuxième constat, est que l’innovation, facteur clé de la survie et du développement de l’entreprise, se joue au contact du client. Ce qui était vrai pour l’informatique ou l’agroalimentaire le devient même pour un secteur comme la chimie. Un chef d’entreprise en vient à parler de « l’amour du client », expression qui n’est pas si outrée qu’elle pourrait le paraître : le client est rendu si mobile par les nouvelles technologies que si l’entreprise veut survivre elle doit développer une relation très privilégiée avec lui. L’enjeu est tel que des entreprises récompensent leur personnel quand il donne gratuitement des idées à ses clients. S’opérant au contact de ces derniers, l’innovation intervient très loin des directions, au niveau des équipes de terrain tournées vers le client.
C’est le troisième grand élément de l’innovation managériale : l’évolution des équipes. Il devient crucial de transformer les équipes traditionnelles, fonctionnant sur un mode hiérarchique, en équipes à haute performance (EHT). La hiérarchie laisse la place à ce que David Stark appelle l’hétérarchie : des équipes entretenant l’ouverture d’esprit et l’esprit d’ouverture, vis-à-vis de l’extérieur de l’entreprise (le client, les laboratoires de recherche, les partenaires en tout genre) et vis-à-vis des autres équipes à l’intérieur même de l’entreprise.
Des réunions régulières permettent de travailler sur des échecs qu’il faut analyser librement, de se demander ce qui a été fait, non pas pour l’équipe elle-même mais pour les autres équipes de l’entreprise. Ces équipes peuvent travailler sur des plateaux physiques où se rencontrent et échangent leurs membres, ou en visio-conférence quasi-permanente.
Le management doit se réinventer
Le problème crucial est alors l’évolution du management intermédiaire. Il fonctionnait sur le mode hiérarchique (on lui fixait des objectifs et il fixait symétriquement les objectifs de ses équipes) et dans une culture du contrôle (on le contrôlait sur la réalisation de ses objectifs et il contrôlait symétriquement ses équipes). Il lui est aujourd’hui demandé de renoncer au contrôle, d’animer, d’encourager, de faciliter et même d’enthousiasmer. Les savoirs étant dans l’équipe, il doit apprendre à avouer qu’il ne sait pas. Son rôle consiste désormais à simplifier des situations complexes et à être capable d’identifier et d’exprimer ce qui est essentiel pour la dynamique des équipes. Il ne doit plus exercer une autorité et le contrôle mais créer des processus assurant la créativité.
Le top management doit quant à lui évoluer dans le même sens, et renoncer lui aussi à l’autorité et au contrôle pour être capable d’instaurer un dialogue adulte avec les managers et leurs équipes. Il est là pour donner une vision, l’accès aux moyens nécessaires, mais aussi exprimer une exigence. Il doit, comme les managers de proximité, travailler à lever les blocages qui empêchent la créativité, notamment des jeunes.
Il y a cent ans exactement…
En 1916, Henri Fayol publiait le premier grand ouvrage de management. Pour lui, le manager devait assumer cinq fonctions : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler. Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui ? Prévoir, donner la vision d’ensemble, organiser les processus qui assurent la créativité et lèvent les blocages qui peuvent l’entraver, tout cela se retrouve, comme un point essentiel chez Fayol : favoriser l’initiative à tous les échelons de l’entreprise.
Commander est sans doute le point le plus obsolète et le plus délicat : on attend aujourd’hui du manager qu’il anime, qu’il encourage, pas qu’il commande. Le contrôle est mal vécu. En même temps, il est nécessaire pour assurer la qualité des services et des produits. Il faut donc savoir où contrôler, et très strictement contrôler, et où il faut réussir à s’abstenir du contrôle pour assurer la créativité des équipes.