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« Columbo », « Les Experts » et « Capitaine Marleau » : trois conceptions de l’apprentissage

Columbo, l’hypothético-déductif. NBC

Managers et dirigeants, faites une pause pendant les vacances de Noël et prenez le temps de regarder quelques séries policières anciennes ou plus récentes. Vous le comprendrez vite, ces séries sont riches d’enseignements et d’illustrations pour comprendre la notion d’apprentissage et les différents aspects qu’elle englobe. A l’heure où des thèmes comme l’apprentissage organisationnel ou l’entreprise apprenante alimentent les débats stratégiques ; exigez de revoir Columbo et Les Experts. Découvrez Capitaine Marleau. Vous le constaterez, les héros incarnent des formes et modes d’apprentissage très différents. Leurs démarches vous permettront indubitablement de confronter vos réflexions sur le sujet et d’innover !

Capitaine Marleau ou l’apprentissage expérientiel

Capitaine Marleau.

Drôle de flic que nous propose depuis peu France 3 dans la série policière Capitaine Marleau, réalisée par Josée Dayan. L’actrice Corinne Masiero incarne dans les quelques épisodes existants un capitaine de gendarmerie au tempérament solitaire et rustre, doté d’un franc-parler aux accents prononcés des Hauts de France, d’un grand sens de l’humour et d’une forte dose d’humanité (« J’suis pas marrante, je suis moche mais je suis intelligente »). Cette série connaît un véritable succès, plus de quatre millions de téléspectateurs ayant été conquis par chaque épisode.

Autre réussite, inattendue, cette série fournit une matière pédagogique riche et vivante pour expliquer l’apprentissage expérientiel, une approche dans laquelle l’expérience joue un rôle crucial. Dans laquelle chaque action déclenche l’acquisition de connaissances et compétences nouvelles.

Capitaine Marleau.

Ainsi le Capitaine Marleau démarre chacune de ses enquêtes, sans a priori ni connaissance préalable et avance à petits pas, à l’aveuglette (« J’vais chercher toute seule, comme une grande »). L’enquêtrice multiplie les situations d’observation et d’écoute. Elle élabore de courtes synthèses qui structurent petit à petit une connaissance nouvelle : « Vous sentez c’odeur là ? ça pue. Ça pue la solitude cette baraque […] ça pue la tristesse ».

La démarche de Marleau couvre les quatre grandes étapes du cycle d’apprentissage expérientiel de Kolb. La première d’entre-elles, l’expérience concrète, prend vie lorsque notre capitaine démarre son enquête, fait des premières constatations et enregistre les premiers faits (« J’suis pas spécialiste des parades nuptiales, mais je suis pas aveugle »). Dans un deuxième temps, elle met en œuvre l’observation réflexive, sans jamais être totalement affirmative (« J’ai quand même l’impression que vous croyez qu’il est coupable votre fils. J’me trompe ? »).

Learning Kolb.

Vient le temps de la conceptualisation abstraite, une forme de conclusion intermédiaire de l’enquête. A titre d’exemple, constatant des traces de gifles sur le visage d’une femme abattue par arme à feu, Marleau déduit avec son habituelle faconde :

« Vous voulez butter cette nana parc’que vous l’aimez pas. On sait pas pourquoi, On s’en fout. Et coup de bol, vous avez un bon vieux flingue chez vous, silencieux, solide, disponible en plusieurs coloris, ben est-ce que vous allez vous casser la nénette à lui foutre des baffes à cette nana avant de la butter, non ? ».

Ces conclusions intermédiaires lui permettent d’entrer dans la quatrième phase, dite d’expérimentation active, qui matérialise une nouvelle étape d’enquête. Pendant 1h30, Marleau enchaine ainsi les cycles de Kolb, indice par indice, pour arriver au final à déjouer les meurtriers.

Columbo, l’hypothetico-déductif

Columbo.

On le sait depuis le début des années 70 : Columbo (Peter Falks) pense toujours à un détail qui le chiffonne, une dernière question, un point d’étonnement. Ce surdoué de l’enquête criminelle partage de nombreux points communs avec Marleau : attitude débonnaire, tenue hors du temps (un vieil imperméable pour lui, une chapka pour elle), de l’humanisme, de l’humour et une forme de naïveté apparente. Il semble également adopter un d’apprentissage identique. Il tâtonne, s’étonne, questionne, fait des synthèses et avance à petits pas. Ainsi le témoin d’une enquête dit-il à Columbo :

« Vous procédez par petites touches, petites réflexions insidieuses et successives. Et si je ne vous considérais pas comme quelqu’un de sympathique et amusant, je m’en offenserais »

La réalité est cependant tout autre. Marleau suite une démarche inductive dans laquelle observations et expérimentations mènent à la formulation d’hypothèses qui étape après étape facilitent la résolution de l’enquête. Columbo incarne quant à lui l’approche hypothético-déductive : très rapidement, il formule (sans la révéler au public) une hypothèse au sujet d’un coupable. Le scénario nous aide d’ailleurs à comprendre très tôt le point de vue de l’enquêteur en nous offrant le visage du meurtrier dans les premières minutes de l’épisode.

Columbo mène son enquête pour confirmer/infirmer cette hypothèse :

« Je ne suis pas plus intelligent qu’un autre, monsieur. Mais je peux dire que vous, en revanche, vous m’avez déçu, par votre amateurisme, en laissant derrière vous des indices de toutes sortes, à la pelle : le mobile, l’opportunité. Et pour un homme de votre intelligence, monsieur, vous vous êtes empêtré jusqu’au cou dans vos mensonges. Une vraie désolation ! »

Le final de chaque épisode prend une forme rétrospective. Columbo expose le cheminement qui l’a conduit à l’arrestation de l’assassin.

Les Experts ou l’art de la modélisation

lesexpertssaison preview.

Si Capitain Marleau et Columbo montrent quelques similitudes, Les Experts évoluent dans un univers totalement différent. Ils recourent en permanence à la science, contre l’intuition pour les deux précédents héros. D’ailleurs, une figure emblématique de cette série, Gilbert Grissom (William Petersen) est titulaire d’un doctorat en biologie et nombreux sont les membres de l’équipe à être diplômés d’universités américaines prestigieuses. Les enquêtes se déroulent la nuit et reposent sur des formes d’apprentissage confrontant en permanence l’observation d’indices aux connaissances théoriques établies.

La modélisation à outrance est promue au rang de pratique courante (trajectoire des balles, placement des protagonistes en imagerie 3D, etc.) laissant peu de place à l’improvisation. Au final, l’enquête n’est bouclée qu’à l’aide de simulateurs, calculs, ordinateurs qui semblent porter la « vérité des faits ». Les scientifiques du crime sont ainsi portés aux nues ; alors que Marleau ne leur donne qu’un importance relative (elle les appelle d’ailleurs « les cotons tiges » en faisant référence aux combinaisons blanches).

Et vous ?

Ce petit voyage dans les séries policières invite à la réflexion sur la façon dont on apprend au sein des entreprises, ou dont les entreprises elles-mêmes apprennent.

Et si la démarche de Marleau était celle de l’effectuation entrepreneuriale, avec une succession d’étapes improvisées ?

Et si l’approche des Experts nous incitait à imaginer que chaque action est modélisable et que l’on peut de façon scientifique établir les facteurs clés de succès d’une entreprise ?

Au milieu, Columbo nous rappellerait-il la planification stratégique, ou l’art d’apprendre et d’agir en fonction d’un plan à long terme savamment défini à l’avance ?

Ces images vous semblent peut-être aller un peu loin ? Profitez de la coupure de Noël pour voir ou revoir ces magnifiques séries et méditez quant au mode d’apprentissage qui constitue votre quotidien !

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