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Comment attribuer une oeuvre à un artiste : un dilemme récurrent

Portrait d'une jeune femme élégante qui  tient un agneau dans ses bras
La Sainte Agnès attribuée à Zurbarán.

Récemment, avec mes collègues chercheurs, nous avons mis en lumière une nouvelle œuvre à inclure – voire à réinclure – dans le catalogue de Francisco de Zurbarán (1598-1664), l’un des principaux artistes du baroque espagnol.

L’accueil positif de cette nouvelle et les questions des médias nous ont fait prendre conscience de la confusion générée par l’attribution d’une œuvre d’art à un auteur spécifique.

Quand l’attribution d’une œuvre d’art peut-elle être considérée comme irréfutable et définitive ? En réalité, jamais.

La clé, c’est la documentation

Nous pourrions diviser les œuvres d’art en deux catégories : celles dont la création est clairement documentée et les autres. Alors que pour les premières, l’auteur est connu avec certitude, les secondes seront toujours « attribuées à », même si à un moment donné il y a consensus international sur leur auteur. Ce consensus peut être rompu à tout moment si de nouvelles preuves apparaissent et changent le cours de l’attribution.

Il n’est possible d’être certain à 100 % de la paternité d’une œuvre que si l’on peut retracer son histoire depuis le moment de sa création jusqu’à aujourd’hui, ce qui est rare. Les œuvres d’art, en tant qu’objets matériels, ont souvent un destin mouvementé : elles changent de propriétaire, de lieu, de pays ou de continent, et parfois même d’apparence. Oui, même d’aspect : elles noircissent, se fissurent, s’écaillent et sont repeintes, parfois de manière peu fidèle à leur version originale. D’autres fois, elles changent de dimensions, soit en étant réduites, soit en recevant des ajouts qui les adaptent à un nouveau cadre.

Plus d’une œuvre importante, pourtant conservée et identifiée dans un grand musée, a changé d’attribution à plusieurs reprises. Y compris des œuvres moins éloignées dans le temps que ce Zurbarán.

Le cas de Goya et de « son colosse »

Peinture d’un géant écrasant un camp
Le Colosse attribué à Francisco de Goya. Museo del Prado

Il y a quelques années, la paternité de plusieurs œuvres considérées comme étant de Goya a commencé à osciller – un peu frénétiquement – entre le maître aragonais et son proche collaborateur Asensio Juliá, dans une intéressante controverse entre spécialistes.

Actuellement, la fiche technique du Colosse du musée du Prado n’indique pas qu’il s’agit de l’œuvre de Francisco de Goya mais qu’elle est « attribuée à… », car sa paternité a été remise en question.

Comme elle n’est pas documentée, cette œuvre était déjà « attribuée » avant que la spécialiste Manuela B. Mena mette publiquement en doute sa paternité. Mais tant que cette controverse ne concernait que les spécialistes et n"était pas connue du grand public, il n’a pas semblé important de l’affirmer officiellement. Cette nuance devrait apparaître pour beaucoup plus d’œuvres qu’on ne le pense.

La Sainte Agnès

La Sainte Agnès que le Centre d’Art de l’Époque Moderne de l’Université de Lleida a attribuée à Zurbarán a été en réalité, comme le Colosse de Goya, « réattribuée » à Zurbarán, car elle avait déjà été considérée comme étant de la main de Zurbarán auparavant.

Cela ne faisait aucun doute lorsqu’en 1900, le duc de Béjar l’a prêtée pour sa première exposition publique à Madrid, et depuis lors, elle a été décrite comme l’une des plus belles œuvres du maître d’Estrémadure. Pendant plus de cent ans, le consensus sur son attribution a été unanime parmi les grands spécialistes. À une exception près : l’historien de l’art Martín S. Soria qui, en 1944, notait sa parenté avec une œuvre d’Alonso Cano, autre grand maître du baroque espagnol.

Portrait de femme avec un agneau et une palme
La Sainte Agnès réattribuée à Zurbarán. CAEM

Cette similitude n’a cependant pas empêché l’attribution de l’œuvre à Zurbarán, car Alonso Cano, Zurbarán et Velázquez (le triumvirat de la peinture baroque espagnole à son apogée) se connaissaient et produisaient des œuvres influencées les unes par les autres. Ce qui n’était jamais arrivé auparavant, c’est que cette œuvre d’une si grande qualité artistique soit attribuée à un artiste mineur, comme cela s’est produit en 2010 lorsqu’elle a été attribuée au Maître de San Hermenegildo.

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Tous ceux qui ont parlé de l’œuvre se sont appuyés sur leur « œil clinique » : un œil hautement entraîné par l’observation assidue des œuvres d’un artiste ou d’une période donnée.

Bien que cette seule méthodologie soit aujourd’hui considérée comme peu fiable, il est merveilleux de constater le nombre d’attributions correctes qui ont été faites par les grands historiens de l’art jusqu’à aujourd’hui, sur la base de leur seule expérience et expertise. Les grands « connaisseurs » ont consacré toute leur vie à l’observation des œuvres d’un cercle très restreint d’artistes, ce qui leur a permis d’acquérir une grande connaissance des détails qui leur étaient propres.

Cependant, le besoin de preuves objectives et démontrables conduit l’historien de l’art d’aujourd’hui à se tourner vers l’étude des matériaux et des processus créatifs.

Évolution de la science et de l’histoire de l’art

Initialement, l’étude des matériaux était basée sur l’extraction d’échantillons qui, analysés chimiquement, permettaient de dater la production de l’œuvre d’art. Récemment, cependant, la priorité a été donnée à des techniques d’analyse moins invasives mais plus riches en informations.

C’est le cas de l’étude multibande, une combinaison de différentes techniques d’analyse physico-optique qui nous permet d’obtenir des conclusions décisives sur la composition matérielle et le processus de production de n’importe quelle œuvre d’art. Mais aussi de la photographie sous rayonnement ultraviolet, qui permet de distinguer le matériau d’origine des ajouts ultérieurs provenant d’autres périodes.

Deux comparaisons d’un tableau : le tableau réel et l’étude aux ultraviolets
Étude aux ultraviolets de la Vierge au lait attribuée au cercle très proche de Joos van Cleve, pour sa restauration au CAEM. CAEM

Parfois, des techniques lumineuses combinées telles que l’infrarouge ou les rayons X sont utilisées pour observer les différentes couches de l’œuvre et dévoiler des aspects clés de la technique artistique d’un maître particulier. L’interprétation de ces études permet de différencier les œuvres originales des copies ou des faux, qu’ils soient anciens ou récents.

Pour revenir au cas de la Sainte Agnès et de son attribution à Francisco de Zurbarán, c’est une somme d’indices qui nous a conduits à cet auteur : les matériaux de l’époque, les pigments de sa palette, les caractéristiques plastiques et la technique de composition du maître d’Estrémadure.

Malgré cela, l’œuvre présente la même faiblesse que tant de grandes œuvres accrochées aux murs de nombreux musées, à savoir que son histoire ne peut être retracée qu’à l’aide d’une documentation datant de 1900.

Cela signifie-t-il que cette attribution est douteuse ? Absolument pas. La science et l’histoire de l’art nous amènent à penser que Zurbarán est le seul auteur possible de cette œuvre. Cependant, ces deux disciplines évoluent et nous ne pouvons pas exclure que de nouvelles méthodes d’analyse, ou l’apparition d’autres types de documentation, puissent apporter à l’avenir des informations qui pourraient conduire à un changement d’attribution.

This article was originally published in Spanish

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