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Comment le Brexit a mis fin au vote et à l’élection locale des Britanniques dans la France rurale

Ken Tatham, anglais naturalisé français pour pouvoir voter et maire pendant 19 ans de Saint-Céneri-le-Gérei, petit village de 140 habitants, photographié le 19 mai 2005 devant un drapeau européen. Mychele Daniau/AFP

Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’UE le 31 janvier, le passage à la période de transition a signifié que rien n’a vraiment changé du jour au lendemain. Les ressortissants britanniques conservent globalement les mêmes droits de vivre, de travailler et de voyager que dans les autres pays de l’UE, et le Royaume-Uni reste pour l’instant dans le marché unique. Mais les citoyens britanniques ont perdu officiellement, leur citoyenneté européenne, entraînant des conséquences importantes pour les Britanniques vivant dans l’UE.

En effet, ceux-ci perdent, à moins que des accords bilatéraux ne soient conclus, leur droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. Et si l’Espagne, le Portugal et le Luxembourg ont signé de tels accords, la France, elle, ne l’a pas. En conséquence, les résidents britanniques en France ont déjà été privés de leur droit de vote et sont « rayés des listes électorales ».

La France : un foyer pour 757 élus britanniques

Cela revêt une importance particulière pour ces nombreux citoyens britanniques, actuellement élus comme conseillers municipaux, et dont le mandat expire lors des prochaines élections de mars. Bien qu’il n’existe malheureusement pas de chiffres complets pour indiquer combien de Britanniques ont été élus dans d’autres pays de l’UE, tous les éléments disponibles indiquent que la France représente un cas particulier qui mérite l’attention.

La spécificité du contexte français tient au fait que les structures de gouvernance municipale n’ont toujours pas été sérieusement rationalisées depuis les années 1880 lorsque chaque village ou commune a été doté de son propre maire et conseil élu.

Les derniers chiffres montrent qu’en dépit d’une décennie de réformes encourageant les petites communes à fusionner, le nombre est seulement passé de 36 570 en 2010 à 35 416 en janvier 2020. Cela représente environ 41 % de l’ensemble des autorités municipales de l’UE.

En outre, comme le montre le tableau ci-dessous, l’écrasante majorité des communes ne comptent que quelques centaines d’habitants, mais disposent encore de conseils d’une taille disproportionnée, ce qui rend les fonctions élues très accessibles.

Nombre de communes selon la taille de la population et le nombre de conseillers.

Depuis que l’accès a été étendu aux migrants de l’UE, les « structures d’opportunité » offertes par le système français ont servi de berceau à la citoyenneté européenne. Les chiffres montrent que les Britanniques sont devenus les plus nombreux à saisir ces opportunités politiques.

Les Britanniques dans la campagne française

Nombre de conseillers municipaux en France par nationalité.

Cela peut s’expliquer par le phénomène de migration de mode de vie vers certaines régions de la France rurale à partir de la fin des années 1980, popularisé par l’Année de la France de Peter Mayle, qui a entraîné un afflux important de Britanniques à la recherche d’une idylle rurale. Les statistiques varient, mais l’Office national de la statistique a estimé qu’environ 153 000 citoyens britanniques vivaient en France en 2017. Un nombre sûrement en deçà de la réalité.

« L’entente cordiale »

Il est peut-être surprenant d’observer ce développement de « l’entente cordiale » dans une campagne française dite profondément conservatrice et hostile aux étrangers (qui sont injustement étiquetés comme « parisiens »). Mais alors que les Parisiens sont largement réputés pour traiter les « paysans » locaux avec dédain, mes recherches montrent que les Britanniques (du moins ceux qui ont choisi d’intégrer et d’apprendre la langue) ont surtout été désireux d’interagir avec les populations locales et flattés par l’invitation à rejoindre une « liste » de candidats.

En retour, beaucoup de ces villages dépeuplés, désertés par les Français dans l’exode d’après-guerre vers les villes, ont été reconnaissants d’accueillir les nouveaux arrivants et de mettre leurs compétences professionnelles au service des conseils municipaux.

Le Britannique Mark Lawrence, 48 ans, pose devant la mairie du village de Plazac (Dordogne), le 23 janvier 2020. Plus de 33 000 personnes ont signé une pétition en ligne pour le soutenir. Il vient de se voir refuser la citoyenneté française par la France à l’approche de Brexit. Mehdi Fedouach/AFP

Le système français de démocratie rurale ressemble à bien des égards aux conseils de paroisse en Angleterre, et parfois la politique locale peut rappeler Clochemerle (roman satirique français de Gabriel Chevallier, publié en 1934), comme je l’ai découvert pendant mon mandat de 2008 à 2014 dans un petit village de Normandie.

J’étais perplexe face à la complexité apparemment irrationnelle du chevauchement des responsabilités à travers une myriade de types d’agences différentes pour des services comme l’eau, le recyclage, les déchets ou les routes (une situation que « l’intercommunalité » tente maintenant de résoudre). J’ai également été frappé par le temps et l’argent consacrés au dépassement des obligations conférées aux communes par l’État laïque en ce qui concerne l’entretien de l’église et du cimetière, qui dans notre cas n’est utilisé que pour des mariages et des enterrements occasionnels.

Pour moi, l’expérience globale a été intéressante plutôt que gratifiante, mais des circonstances personnelles m’ont malheureusement empêché d’apporter le genre de contribution positive que d’autres ont apportée ailleurs.

Dans les communes de moins de 1000 habitants (3500 auparavant), les élections fonctionnent un peu comme un concours de personnalité, où les électeurs peuvent rayer de la liste des candidats ceux qu’ils n’aiment pas, un système connu sous le nom de « panachage ».

De nombreux conseillers britanniques ont obtenu le plus grand nombre de voix (comptées individuellement), mais la loi française les empêche de devenir maire ou député, en raison de leur rôle dans l’élection des sénateurs. Pour occuper un poste « exécutif », il faut obtenir la citoyenneté française, comme l’a fait l’un des pionniers : Ken Tatham. Il a, en effet, acquis une réputation en tant que maire, à partir de 1995, de l’un des plus beaux villages de Normandie, avant même la mise en œuvre de la citoyenneté européenne.

La citoyenneté française comme seule option

L’acquisition de la citoyenneté française reste aujourd’hui la seule option pour les Britanniques qui souhaitent continuer à exercer leur fonction de conseiller municipal, mais c’est un processus long, coûteux et bureaucratique et si certains ont déjà fait une demande, d’autres ont trouvé cette perspective décourageante.

Sans la naturalisation en temps voulu, de nombreux conseillers d’origine britannique ne pourront pas se représenter aux élections..

Le Brexit a mis fin prématurément à ce chapitre peu connu des relations franco-britanniques harmonieuses, enfoui dans « la France profonde », dont de nombreux reportages français témoignent du nombre de conseillers britanniques qui manqueront cruellement aux villages où ils sont souvent devenus les piliers de leur communauté locale.

Mais pour certains, les conséquences sont encore plus graves : ceux qui ont quitté le Royaume-Uni il y a plus de 15 ans n’ont plus du tout leur droit de vote. Les conséquences de Brexit vont, donc, bien au-delà de ce qui fait la une des journaux.

This article was originally published in English

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