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Comment les mèmes en RDC permettent de tourner en dérision les puissants et les tares de la société

« Sapeurs » à Kinshasa
Membres du Mouvement de la Sape, acronyme de « Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes » en 2014. Ils font régulièrement l'objet de mèmes en RDC. Junior D. Kannah/AFP

Alors que de plus en plus d’individus documentent leur quotidien au travers d’images, les mèmes sont devenus, dans le monde entier, des expressions de culture populaire. Le monde des mèmes – ces images humoristiques combinées avec des textes, qui évoluent et se diffusent rapidement, en fonction de leur degré d’ironie – nous rappelle que l’humour est aussi contagieux.

La caricature en Afrique a historiquement attiré ses lecteurs par le biais de l’humour. Leurs récits sont devenus partie intégrante des conversations dans les espaces publics, tels que les bus ou les bars bondés. Durant la période coloniale, la caricature et la peinture populaire ont joué un rôle non négligeable dans la lutte d’indépendance dans nombre de pays africains.

Dans le contexte postcolonial actuel, elles continuent à être ces moyens d’expression qui, en sourdine ou parfois plus explicitement, tournent en dérision et défient les abus de pouvoir. En effet, il existe une certaine continuité entre les mèmes et la caricature. Mais l’anonymat offert par la circulation virtuelle des mèmes implique une autre forme de participation de la part du public. Par exemple, des images retouchées comme celles des politiciens dans des situations compromettantes – pantalons baissés – dénotent d’un commentaire sarcastique sur ceux qui sont en position de pouvoir. Ces images amènent non seulement les gens à se moquer des dignitaires du pouvoir, mais également de ceux qui leur sont soumis.

On évalue à plus de 8 millions les utilisateurs actifs d’Internet en République démocratique du Congo (RDC). Cependant, l’accès à la connexion est limité aux personnes ayant des moyens financiers. Vu que les médias sont étroitement surveillés dans le pays, l’anonymat du monde virtuel offre une plate-forme à travers laquelle le pouvoir peut être facilement critiqué sans être aisément repéré. L’économie de la circulation des images n’étant pas totalement maîtrisable par le gouvernement, ce dernier n’hésite pas à interrompre la connexion Internet durant les périodes électorales.

Les caricatures ont ouvert la voie aux mèmes – comme ceux du dessinateur congolais Kash, ici en 2013. Junior D. Kannah/AFP

S’il y a un intérêt académique croissant pour la circulation des contenus numériques, les recherches portant sur les mèmes et autres médias viraux en Afrique manquent. Ainsi, en 2017, nous avons entamé des recherches sur les mèmes à Kinshasa, capitale de la RDC.

Cette recherche a mis en lumière les caractéristiques culturelles des images numériques en RDC, ainsi que la manière dont elles existent en relation avec les inquiétudes plus générales de la population vis-à-vis du changement social, l’intervention étrangère et les nouvelles formes de connexion en ligne.

Pondu, Versace et les Chinois

Dans beaucoup de mèmes que nous avons collectés, il y avait un sens d’auto-dérision caractérisé. Par exemple, un mème présente une image de l’écrivain français Victor Hugo superposée à celle d’un pondu, plat congolais typique à base de feuilles de manioc, avec une citation présumée de l’auteur : « Une vraie femme sait préparer le pondu. »

Un autre mème dépeint un homme en voyage portant des vêtements de Versace conduisant un chariot contenant une montagne de valises de la même marque. La légende indique : « Voilà ce qui arrive quand un oncle congolais décide de vous visiter pour une semaine. » De telles images traduisent les façons de vivre de la culture congolaise caractérisée par une solidarité entre ceux qui vivent au pays et ceux de l’étranger. Ce mème renforce le stéréotype des Congolais friands de mode.

Il y a une profusion d’images au sujet des Chinois. Elles varient entre provocations bénignes liées aux stéréotypes culturels et allégations d’abus de pouvoir. Un mème de notre échantillon présente un magasin appartenant à un ressortissant chinois où est exposé un mannequin mimant une silhouette typiquement congolaise. Une autre suggère même des sérieux stéréotypes raciaux. Par exemple, une Chinoise en train de vendre dans la rue des rats grillés. Le mème porte l’inscription : « Avez-vous déjà déjeuné ? »

Les contenus numériques et d’autres canaux oraux tels que les rumeurs peuvent devenir entreliés, et se nourrir les uns les autres, ce qui représente un potentiel danger. Pour illustration, l’image de la femme chinoise vendant des rats grillés peut être prise au sérieux au lieu d’une simple blague.

Les images peuvent être utilisées pour manipuler les attitudes des individus, particulièrement si ces derniers ne sont pas conscients des complexités de la production de contenus sur Internet. D’où l’importance de faire la promotion à travers le pays de formations sur les réalités d’Internet.

Inquiétudes technologiques

Il y a de plus en plus d’hypothèses selon lesquelles les mèmes et les contenus viraux peuvent influencer voire manipuler les opinions. De nouvelles études en psychologie se sont interrogées sur l’influence de la réception des mèmes sur une personne. Elles suggèrent qu’être simplement exposé à des théories conspirationnistes pour être suffisant pour influencer les croyances d’un individu. Prenons l’exemple des mèmes circulant en Afrique à propos des Chinois. Plusieurs sont censés être comiques, mais deviennent parfois des véhicules de fausses informations pouvant affecter les perceptions des individus.

Un virus peut contaminer, mais la technologie le peut aussi. Les systèmes de croyances locales sur la viralité peuvent concorder avec la notion selon laquelle les images elles-mêmes peuvent contaminer l’esprit des gens, littéralement. À titre d’exemple, il n’est pas rare d’entendre un Congolais dire « N’infecte pas mon téléphone avec tes vidéos. Je ne veux pas être contaminé par tes images ».

Cette déclaration ne concerne pas plus le virus numérique que la croyance dans le pouvoir des images elles-mêmes. Avec la menace d’Ebola, ainsi que la pandémie de la Covid-19, le langage lié à la contamination devient particulièrement saillant.

Alors que toujours plus de personnes, de technologies et d’idées sont en circulation, les inquiétudes relatives à la croissante proximité des autres continueront d’être exprimées au travers de récits multiples ; ces récits apparaîtront dans des mèmes produits et diffusés par des internautes.

Il est indéniable que l’ambiguïté des technologies numériques pèse sur notre relation avec les autres. L’inquiétude autour de la contamination, qu’elle soit culturelle ou biologique, continuera à se nourrir du domaine numérique, contribuant à l’ambivalence des forces circulant dans le monde.

Vu que la technologie utilisée pour accéder et créer des contenus Internet devient de plus en plus accessible en RDC, les contenus produits localement continueront inévitablement à se multiplier, à interagir avec les tendances mondiales, et également à critiquer une sphère politique plus large.

This article was originally published in English

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