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Comprendre l’essor de la diplomatie scientifique

Double Brain

La complexité croissante des défis environnementaux (dérèglement climatique, transition écologique), sanitaires (pandémie inédite) et des changements sociétaux induits par l’évolution de technologies disruptives (intelligence artificielle, réalité augmentée) implique toujours plus la sphère scientifique dans la gouvernance internationale, en fournissant de l’expertise basée sur des preuves scientifiques pour instruire les décisions de politiques publiques.

L’idée de développer une « diplomatie scientifique » a ainsi fait son chemin. Une définition consensuelle de ce concept émerge en 2010 à la Conférence de la Royal Society britannique et de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS). Elle met en avant le principe de coopération internationale : « La diplomatie scientifique est l’utilisation des interactions scientifiques entre les États pour résoudre les problèmes communs auxquels l’humanité est confrontée et pour établir des partenariats internationaux constructifs, fondés sur la connaissance. »

Cette définition, très large, donne lieu à deux acceptions de ce concept.

Deux idées de la diplomatie scientifique

La première de ces deux visions se construit dans un « nationalisme méthodologique ». De ce point de vue, la diplomatie scientifique est, pour chaque État, avant tout une projection de son « soft power », un élément qui participe à promouvoir l’intérêt national et un moyen de favoriser la participation de sa communauté scientifique aux coopérations transnationales.

Lorsqu’un pays utilise la diplomatie scientifique en mettant en avant ses propres avancées scientifiques, il considère la coopération scientifique internationale comme un moyen de renforcer son pouvoir d’attractivité et de promouvoir ses intérêts nationaux tout en contribuant au progrès scientifique mondial. Cela lui confère une influence accrue sur la scène internationale et renforce sa réputation de leader technologique.

La seconde acception de la notion de diplomatie scientifique conçoit la science et la recherche comme « nouveaux acteurs de la gouvernance globale ». Cette vision a donné lieu à la création de différents partenariats entre les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le monde universitaire et la communauté scientifique. Tous ces partenariats sont essentiels pour un multilatéralisme inclusif et fonctionnel. Ainsi, dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19, les États ont démontré une volonté de coopérer par-delà les frontières nationales malgré certaines tendances isolationnistes.

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Il est important de considérer que ces deux visions peuvent coexister et être mises en pratique en même temps, mais la reconnaissance du rôle croissant de la science dans la gouvernance mondiale, émerge comme un nouveau paradigme considéré comme une évolution plus récente de la diplomatie scientifique.


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Le mécanisme COVAX en est une illustration. Ce système, qui vise à accélérer la mise au point et la fabrication de vaccins contre le Covid-19 et d’assurer un accès juste et équitable à ces vaccins à l’échelle mondiale, atteste de la pertinence de la mutualisation des ressources pour faire face aux crises.

Les initiatives internationales de diplomatie scientifique

Entre 2018 et 2021, l’Union européenne, dans le cadre d’Horizon 2020 (programme européen pour la recherche et le développement), met en place et finance une stratégie pour une diplomatie scientifique régionale avec le projet InsSciDE, premier consortium interdisciplinaire européen. Il engage des réseaux de diplomates et de scientifiques, des experts en stratégie et des décideurs politiques pour mettre la diplomatie scientifique au premier plan et mieux l’utiliser. Le second projet européen S4D4C déploie la diplomatie scientifique dans un cadre transnational. En effet, les défis globaux requièrent des actions collaboratives entre les gouvernements, par-delà des frontières nationales et des intérêts étatiques.

Par ailleurs, afin de soutenir les dynamiques développées au sein de ces projets, la EU Science Diplomacy Alliance, dont fait partie la représentation de l’Agence universitaire de la Francophonie en Europe occidentale, a été créée en 2021.

Plusieurs plates-formes comme le GESDA (Geneva Science and Diplomacy Anticipator) ou le GSPI (Geneva Sciences Policy Interface) ont été mises en place à partir de 2018 à Genève, et relayées par l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Le GSPI contribue à la construction d’une synergie entre les multiples acteurs menant des travaux et appels à projets sur l’interface entre la science et la diplomatie. Dans ce cadre sont mises en place des formations à destination des professionnels de la politique et autres parties prenantes désireuses de contribuer à l’élaboration de politiques éclairées par la science.

En 2021, l’Union pour la Méditerranée (UpM) a développé des actions placées sous le signe de la diplomatie scientifique pour faire face aux problèmes tels que la pénurie d’eau, les inondations, la fonte des glaciers, la salinisation et l’érosion côtière. Ces actions permettent d’aligner les agendas scientifiques et diplomatiques et favorisent des partenariats entre les rives sud-est et nord. et entre les Suds de cette région. En juillet 2021, l’UpM a adopté un nouvel agenda pour la coopération en matière de recherche et d’innovation dans la région, mettant l’accent sur les énergies renouvelables, la santé et le changement climatique.

Autre initiative notable, pendant l’été 2022, l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) et The World Academy of Sciences (TWAS), (deux associations qui ont notamment pour objectif de promouvoir la science, de défendre la liberté académique et d’encourager la responsabilité scientifique) ont proposé une formation professionnelle en diplomatie scientifique destinée aux scientifiques, décideurs politiques et diplomates. Les parties prenantes ont pu explorer les principales questions de politique internationale contemporaines liées à la science, à la technologie, à l’environnement et à la santé, et élaborer un socle de compétences visant à aider les participants à mener par la suite des carrières à l’intersection de la science et de la diplomatie.

Les rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat – GIEC sont des exemples éminents de la production scientifique au cœur des négociations internationales. Le dernier rapport du GIEC fait le point sur l’état des connaissances, à partir de l’évaluation critique des éléments issus des publications scientifiques, et plaide pour des politiques publiques associées à l’investissement dans la recherche et le développement. Le rapport souligne, sur la base de preuves scientifiques (evidence-based policy), les risques associés au changement climatique.

Perspectives d’une diplomatie scientifique pour l’espace francophone

Dans le même temps, on observe une sous-représentation des pratiques de diplomatie scientifique au sein de la francophonie.

Organisée, promue et diffusée, la diplomatie scientifique peut pourtant être le fer de lance du réseau francophone. Les pays membres de la Francophonie entretiennent des liens privilégiés susceptibles de favoriser la coopération politique, éducative, économique et culturelle.

Divers outils, initiatives et réseaux sont dédiés à l’encouragement de ces pratiques au sein de la francophonie. Un réseau francophone a été mis en place au sein de l’International Network for Governmental Science Advice (INGSA), afin de soutenir la formation en conseil scientifique, de documenter et encourager les pratiques y relatives, et de favoriser les maillages entre les différents milieux.

Initié par l’Agence universitaire de la Francophonie, le « Manifeste pour une Diplomatie scientifique francophone » a été signé en octobre 2022, lors de la Conférence ministérielle francophone des ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette déclaration insiste sur le développement d’actions autour de la formation, de la production, de la valorisation et de la circulation des savoirs au service d’une gouvernance multilatérale – façon, pour la Francophonie, de contribuer à l’élaboration de réponses aux défis globaux.

En conclusion, la diplomatie scientifique est devenue essentielle pour la formulation de politiques fondées sur des preuves scientifiques et le partage de connaissances pour relever les défis mondiaux cruciaux. Les initiatives concrètes de diplomatie scientifique démontrent la pertinence des interactions scientifiques entre les États pour faire face aux crises et promouvoir des politiques éclairées par la science. Au sein de la francophonie, des réseaux et initiatives se développent pour encourager la diplomatie scientifique, ou elle émerge comme un concept visant à placer la science au cœur des décisions politiques dans une gouvernance multilatérale.

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