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Corée du Nord–États-Unis : mettre fin à la diplomatie des extrêmes

Kim-Jong Un et Donald Trump, le mano a mano au bord du gouffre. Saul Loeb, Ed Jones/AFP

Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, la crise nucléaire nord-coréenne s’est progressivement réduite à un face à face tendu entre le nouveau Président américain et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Une escalade verbale dangereuse accompagne désormais chaque avancée du programme nucléaire et balistique de Pyongyang, ajoutant un élément de confrontation supplémentaire et personnalisant à l’excès une situation qui échappe en partie au contrôle de la communauté internationale.

Face à ce contexte de crise à répétition, l’Europe – pourtant présente au 50ᵉ Sommet de l’ASEAN et ses multiples conférences annexes tenues à Manille début août 2017 – est à peine visible et audible. Or abandonner l’espace diplomatique à La Chine, comme y pousse Donald Trump, incite celle-ci à ne prendre en compte que ses intérêts stratégiques, et à rester quoiqu’elle dise l’allié objectif de Pyongyang.

À ce stade, faute d’acteur porteur de propositions de négociation adaptée, la menace nord-coréenne perdure, la Chine avance ses pions et l’alliance de sécurité organisée autour des États-Unis en Asie du Nord-Est vacille.

Une posture américaine génératrice d’instabilité

On le sait : pour fonctionner, la dissuasion consiste à convaincre son adversaire que les dommages potentiels encourus en cas de confrontation militaire seraient largement supérieurs aux gains escomptés. Cependant, brandir son arsenal nucléaire comme Donal Trump l’a fait début août, face au dirigeant d’un État totalitaire dont l’ambition manifeste est de garantir sa sécurité et la survie de son régime via l’acquisition de capacités nucléaires, tient du non-sens stratégique.

La pause tactique finalement observée avec la décrue des tensions, dès le 15 août, n’a abouti qu’à souligner l’inconstance de la posture américaine en laissant l’initiative de la désescalade à Pyongyang. Que le régime nord-coréen, fidèle à une ligne verbale connue, accumule les hyperboles belliqueuses ne trouble guère ; mais que le Président des États-Unis y recourt est plus que préoccupant.

Aucun préparatif militaire sérieux n’était enregistré sur les bases américaines au Japon, en Corée du Sud et a fortiori à Guam au plus fort de la joute verbale entre Washington et Pyongyang. De plus, il s’avère que les canaux d’échanges diplomatiques traditionnels entre les États-Unis et la Corée du Nord étaient toujours actifs. Joseph Yun, le représentant américain pour la Corée du Nord et son interlocuteur habituel, Pak Song-il, représentant nord-coréen auprès des Nations Unies, étaient très précisément en discussion. Et on se souvient qu’en avril dernier, Donald Trump avait déjà été à l’origine d’une brusque montée de tension, tout en mettant en cause sa crédibilité en évoquant l’envoi d’un porte-avions nucléaire américain dans les approches de la péninsule coréenne.

Le spectre du découplage entre la sécurité des États-Unis et de leurs alliés

Si la stratégie de montée aux extrêmes de Donald Trump a constitué une manœuvre destinée à exercer des pressions maximums pour inciter la Chine – et peut-être la Russie – à s’investir davantage auprès de la Corée du Nord, elle a dangereusement exposé les principaux partenaires asiatiques des États-Unis – la Corée du Sud et le Japon.

La résonance médiatique de la crise, l’insistance manifestée par le Président américain et ses principaux représentants à souligner la menace accrue représentée par le dévoilement des capacités balistiques nord-coréennes ont donné à Pyongyang le sentiment d’une nouvelle puissance. Celle-ci pourrait, à terme, pousser Kim Jong-un à une grave erreur d’appréciation.

Conférence de presse du commandant des forces américaines dans le Pacifique Sud, l’Amiral Harry Harris Jr, pour le lancement des manœuvres conjointes américano-sud-coréennes, le 22 août. Lee Jin-Man/AFP

Cette amplification de la menace nord-coréenne a, en outre, contribué à brouiller la hiérarchie des priorités stratégiques américaines. Les responsables japonais et sud-coréens ont pu, à juste titre, se demander si leur grand allié américain n’était pas plus préoccupé par la sécurité de Guam au détriment de celle de Tokyo ou de Séoul, au mépris de ses engagements de sécurité envers eux. Leur position est doublement inconfortable car ils souffriraient tout autant d’un éventuel passage à l’acte des États-Unis ou de la Corée du Nord.

Un débat a pris corps à Séoul pour que le pays se dote d’armes nucléaires où que les États-Unis en introduisent puisque la Corée du Sud a renoncé à en produire depuis 1974 et la signature d’un traité sur l’énergie atomique avec Washington. À Tokyo, une réflexion a été lancée sur les conditions dans lesquelles le Japon pourrait « légalement et techniquement » intervenir contre les missiles nord-coréens.

La Chine prise au piège d’une course aux armements régionale

L’épisode de crise a contribué à éclipser l’unanimité qui a présidé à l’adoption de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord via le vote de la résolution 2371 par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 5 août 2017. Certes, en 10 ans, le régime des sanctions n’a pas prouvé son efficacité pour endiguer le développement du programme d’armes nord-coréen. Néanmoins, les embargos successifs décrétés – armements, carburant d’avions, produits de luxe, quotas sur les ressources minières –, la dénonciation de sociétés commerciales écrans ou d’entités bancaires complices en a accru la portée. La résolution 2371 ambitionne de réduire d’un tiers les revenus nord-coréens, notamment en visant de nouveaux secteurs, dont le lucratif domaine des produits de la mer et l’exportation de main-d’œuvre nord-coréenne.

Toutefois, même si comme elle s’y est engagée, la Chine applique les sanctions à 100 % (suivant l’expression de son ministre des Affaires étrangères Wang Yi), celles-ci ont peu de chance de faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations si elles ne sont pas accompagnées de nouvelles bases de discussions. À ce jour, la Chine, appuyée par la Russie, a proposé un double moratoire, ou double gel, qui répond avant tout à ses préoccupations stratégiques : la Corée du Nord s’engagerait à suspendre son programme nucléaire et balistique en échange d’un arrêt des manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes et d’un retrait du dispositif antimissiles américain THAAD (terminal high-altitude area defense), par la Corée du Sud.

On le sait : Pékin n’a de cesse de dénoncer l’introduction de ce système, estimant qu’il fragilise sa stratégie d’interdiction et de déni d’accès (A2/AD pour anti access/area denial). Or, tant les dirigeants sud-coréens que japonais, persuadés de la pertinence d’une capacité antimissile pour leur défense, sont en train d’investir pour disposer de moyens nationaux renforcés. On comprend donc que la Chine, sous couvert de traiter la crise nucléaire nord-coréenne, veille avant tout à ses intérêts stratégiques en tentant d’empêcher l’émergence d’une architecture de défense antimissile régionale impliquant une coordination technique et opérationnelle entre les forces américaines et ses deux principaux alliés.

L’Europe, une potentielle alter-diplomatie pour la péninsule coréenne ?

À ce stade, il est regrettable que l’Europe ne mette pas plus en avant son expertise politico-militaire dans la prévention des crises pour être une force de proposition. L’initiative chinoise, volontairement radicale et sans nuance, ne vise qu’à exonérer Pékin en renvoyant la responsabilité des tensions sur les États-Unis.

Poste d’observation pour les touristes à la frontière entre les deux Corée (ici au Sud). Jung Yeon-Je/AFP

L’Europe entretient des dialogues de sécurité avec la plupart des acteurs asiatiques concernés et n’ignore rien des préoccupations tant chinoises que japonaises ou sud-coréennes. Si au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies la France et le Royaume-Uni constituent des acteurs moteurs dans l’élaboration et le suivi de résolutions sanctionnant le programme d’armes de destruction massive de Pyongyang, l’UE n’a pas saisi l’occasion de se positionner comme un interlocuteur de recours, voire de médiateur. La perception la plus répandue est qu’elle est non directement concernée par la crise en cours.

Pourtant, le spectre d’une déstabilisation grave de l’Asie du Nord, ancrage de puissances économiques et politiques majeures, tout comme les activités proliférantes de Pyongyang (http://carnegieendowment.org/2017/04/10/unraveling-of-north-korea-s-proliferation-blackmail-strategy-pub-68622) devraient mobiliser l’Europe tout autant que le dossier nucléaire iranien a pu le faire. L’Europe s’était impliquée dans l’Accord-cadre de 1994 signé entre les États-Unis et la Corée du Nord reposant sur l’engagement de construire deux réacteurs à eau légère pour répondre aux besoins énergétiques de Pyongyang. Par ailleurs, l’expérience européenne en matière de mesures de confiance et le modèle constitué par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pourrait être utilement employé pour élaborer le cadre de nouvelles discussions et amorcer un processus de détente global et inclusif autour de la péninsule coréenne.

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