Menu Close

Cormac McCarthy, adepte passionné de l’expérimentation littéraire

Un homme âgé en costume pose devant une affiche de cinéma.
En 2009, McCarthy assistait à la première de l'adaptation cinématographique de son roman La Route. Evan Agostini/AP Photo

Cormac McCarthy, décédé le 13 juin 2023, à l’âge de 89 ans, est souvent décrit de manière assez réductrice comme un « écrivain sudiste », ou encore « un écrivain sudiste gothique ».

McCarthy s’est en effet fortement appuyé sur son éducation dans le Tennessee pour écrire ses quatre premiers romans, et il en a situé beaucoup d’autres dans les déserts du sud-ouest des États-Unis. Cependant, en tant qu’écrivain, il se considérait comme appartenant à une vaste communauté littéraire qui remontait aux périodes classique et élisabéthaine, et qui s’inspirait d’une grande variété de genres, de cultures et d’influences.

Son style d’écriture unique et varié a été comparé à celui de plusieurs des plus grands auteurs des lettres américaines, les spécialistes soulignant en particulier ses liens avec les écrits de Herman Melville, Ernest Hemingway, James Joyce, Toni Morrison, Thomas Pynchon, Fiodor Dostoïevski, Flannery O’Connor et William Faulkner.

Inscrit dans cette constellation complexe, McCarthy est un auteur qui expérimente avec la langue et les techniques littéraires. Chacun de ses livres s’écarte radicalement du précédent en termes de ton, de structure et de prose.

Je travaille actuellement sur un livre dont le titre provisoire est Comment Cormac travaille : McCarthy, la Langue et le Style. J’y retrace comment McCarthy, tout au long de sa carrière, a joué avec le style, en particulier par son approche de la narration et ses techniques pour installer une atmosphère particulière.

Deux expériences de lecture radicalement différentes

Selon les livres – et même en fonction des passages de certains livres – l’écriture de McCarthy peut être qualifiée de minimaliste, sinueuse, ésotérique, humoristique, terrifiante, prétentieuse, sentimentale ou folklorique.

image id=“532287” align=“right” alt=“Page de titre d’un livre où l’on peut lire « Méridien de sang ou le Rougeoiement du soir à l’ouest », suivi du nom de l’auteur” source=“Wikimedia” caption=“La page de titre de la première édition du roman de McCarthy de 1985 Mérdien de sang.”/>

Certains romans s’appuient sur des passages denses d’exposition narrative et de philosophie, tandis que d’autres s’appuient sur des dialogues de tous les jours. Certains de ses livres célèbrent les voix régionales et le langage vernaculaire, tandis que d’autres adoptent un ton neutre, distant et clinique.

Il est possible d’explorer la gamme littéraire et l’expérimentation stylistique de McCarthy dans deux de ses romans les plus célèbres, Méridien de sang, publié en 1985, et La Route, publié plus de deux décennies plus tard, en 2006, et adapté au cinéma en 2009.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Dans Méridien de sang, qui se déroule dans le désert du sud-ouest des États-Unis et du Mexique, la prose de McCarthy est dense et les détails s’accumulent.

Prenons par exemple la célèbre scène dans laquelle une bande de mercenaires américains chasseurs de scalps rencontre une bande de guerriers comanches :

« Une légion d’horreurs au nombre de plusieurs centaines, à demi nues ou habillées de tenues attiques ou bibliques, ou vêtues de toilettes surgies d’un rêve fébrile, d’une garde-robe de peaux de bêtes et de soyeuses fanfreluches et de morceaux d’uniformes encore marqués du sang de leurs précédents propriétaires, manteaux de dragons transpercés, jaquettes de cavalerie à brandebourgs et passements, l’un en haut de forme et un autre avec un parapluie et un autre avec des bas blancs et un voile de mariée taché de sang et quelques-uns coiffés de couvre-chefs de plumes de grue ou de casques de peau brute rehaussés de cornes de taureau ou de bison et un autre arborant une jaquette à queue-de-morue mise devant derrière mais à part cela tout nu et un autre dans l’armure d’un conquistador espagnol… »

La phrase entière est beaucoup trop longue pour être citée ici. Mais vous voyez ce que je veux dire : Il y a très peu de ponctuation et il y a peu d’endroits où l’on peut respirer.

À d’autres moments du roman, la narration décrit le paysage désertique de l’Ouest américain avec des détails tout aussi minutieux et fastidieux, même s’ils sont également magnifiques. La prose est longue, lente et répétitive, à l’image du sujet du roman : l’expansion des États-Unis vers l’Ouest au XIXe siècle, une campagne de destruction croissante que McCarthy caractérise dans le roman comme « une sorte de peste héliotropique ».

La Route, roman ultérieur qui s’attache également à l’idée d’un mouvement incessant, ne pourrait être plus différent dans son style, sa cadence et son rythme. La prose de ce roman, qui a remporté le prix Pulitzer 2007 de la fiction, est concise et marquée par une retenue linguistique totalement absente dans Méridien de sang.

Plutôt que des passages denses et écrasants, ce roman est construit de paragraphes courts et distincts, séparés par des espaces blancs et souvent sans rapport direct avec ce qui précède ou ce qui suit :

« Il faisait plus froid. Rien ne bougeait sur ces hautes terres. Une forte odeur de fumée de bois restait suspendue au-dessus de la route. Il poussait le caddie à travers la neige. […]

Dans son rêve elle était malade et il la soignait. L rêve avait l’apparence d’un sacrifice mais il l’interprétait différemment. […]

Sur cette route il n’y a pas d’hommes du Verbe. Ils sont partis et m’ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : Quelle différence y a – t-il entre ne sera jamais et n’a jamais été ?

L’obscurité de la lune invisible. Les nuits à peine un peu moins noires à présent […]

Des gens assis sur le trottoir dans la lueur de l’aube à moitié immolés et fumant dans leurs vêtements. Comme des adeptes d’une secte qui auraient manqué leur suicide. […] »

Chaque paragraphe de ce passage est différent en termes de ton, de sujet, de lieu et de temps de ce qui précède et de ce qui suit.

Un héritage durable

On pourrait être tenté de voir dans ces différences une évolution, McCarthy affinant et apprivoisant sa voix narrative par rapport à ses œuvres antérieures. Mais son dernier long roman, Le Passager“, publié en 2022, revient à la prose décousue qui rappelle les grands romans de McCarthy au milieu de sa carrière, comme Suttree et Méridien de Sang.

Photo en noir et blanc d’un homme à moustache croisant les bras
Portrait de McCarthy utilisé pour la première édition de son roman de 1973 « Un enfant de Dieu ». Wikimedia

Certains lecteurs trouvent que les fioritures et les expérimentations stylistiques de McCarthy sont excessives ou, pire encore, prétentieuses. Mais j’ai toujours pensé qu’elles reflétaient son amour des mots et des possibilités infinies de la langue.

Dans un « blurb » écrit à l’origine pour le premier roman de McCarthy, Le Gardien du Verger, Ralph Ellison a écrit, « McCarthy est un écrivain qu’il faut lire, admirer et, très honnêtement, envier ».

En apprenant la mort de McCarthy, je n’ai pu m’empêcher de penser à cette citation qui a marqué le début de sa carrière, et de penser à quel point Ellison avait raison de défendre l’art de McCarthy – cette utilisation minutieuse de la langue qui a nourri son travail pendant six décennies à travers 12 romans.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now