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Crises sismiques (1) : quand le pétrole fait trembler l’Oklahoma

Nick Oxford/Reuters

San Francisco a été détruite en 1906 par un tremblement de terre. Los Angeles attend son « Big One » depuis plusieurs dizaines d’années. Plus au nord, au large des États de l’Oregon et du Washington, la subduction des Cascades – où la petite plaque tectonique Juan de Fuca s’enfonce sous la plaque Amérique – serait prête à reproduire le méga-séisme de magnitude 9 de 1700. Mais ce n’est pas dans cet Ouest américain, situé à la limite de plaques tectoniques, que l’on trouve l’État le plus sismique des États-Unis (hors Alaska). Paradoxalement, c’est l’Oklahoma – en bordure des grandes plaines du cœur du continent américain – qui détient depuis quelques années le record annuel du nombre de séismes : environ 600 évènements de magnitude supérieure à 3 en 2014, plus qu’en Californie ; et peut-être presque le double en 2015 !

L’Oklahoma.

Même s’il s’agit essentiellement d’une multitude de petits séismes, beaucoup dépassent tout de même la magnitude 4 et leurs effets sont fortement ressentis, certains ayant provoqué des dégâts matériels. Depuis peu, ce risque est devenu un enjeu fédéral, car le plus grand site de stockage et de transit d’hydrocarbures du pays – le « Cushing hub », près de la ville de Cushing dans le centre-nord de l’Oklahoma – semble menacé.

L’industrie pétrolière en cause

Les exploitations pétrolières sont directement impliquées : l’essentiel de cette sismicité est en effet déclenchée par l’injection massive dans le sous-sol de grande quantité d’eaux usées produites par l’exploitation pétrolière. Dans le procédé de fracturation hydraulique – le fameux « fracking » utilisé pour l’exploitation des gaz ou pétroles de schiste – de l’eau est injectée sous forte pression pour libérer le gaz ou le pétrole. Une partie de cette eau remonte ensuite en surface entraînant sels et polluants. Mais ceci ne constitue qu’une petite proportion des fluides qui sont ensuite réinjectés. En Oklahoma, la grande majorité (90 %) de ces fluides est de l’eau naturellement associée au pétrole dans le réservoir géologique, se trouvant amenée en surface en même temps que lui. Cette eau est très saline, contient divers polluants (arsenic et plomb, par exemple), et la rejeter dans l’environnement demanderait un retraitement complexe. Par simplicité et choix économique, ces fluides usés et pollués sont injectés à nouveau dans une couche géologique de stockage à plusieurs kilomètres de profondeur.


Extraction du pétrole. Author provided


Chaque mois, ce sont ainsi des millions de m3 d’eaux usées qui sont injectés sous pression dans le sous-sol. Mais par quel processus physique cette injection peut-elle induire des séismes ?

La majorité des failles présentes sur la surface terrestre ne glissent pas de façon régulière, mais lors d’événements sismiques brutaux. Entre ces épisodes sismiques, les failles sont bloquées et c’est le volume de roches de part et d’autre qui accumule les déplacements imposés par la tectonique des plaques en se déformant de façon élastique. On peut comparer ce phénomène à des blocs de caoutchouc, sorte de « ressorts » à l’échelle de la partie superficielle de la croûte terrestre (jusqu’à 20 km sous nos pieds), qui se déforment progressivement pendant des centaines, des milliers d’années. Ce chargement est beaucoup plus rapide aux limites de plaques tectoniques, comme en Californie, qu’au cœur des continents.

Deux types de forces – ou « contraintes » – s’exercent alors sur la faille : une force « cisaillante », qui tend à faire glisser la faille, et une force « normale », perpendiculaire à la faille, qui tend à « plaquer » les deux compartiments l’un contre l’autre. Un séisme se déclenche lorsque la force cisaillante dépasse le « seuil de rupture » sur la faille, ce qui libère par un glissement quasi instantané l’énergie accumulée par les « ressorts ». Avant cela, on peut considérer que les frottements sur la faille empêchaient le glissement. Une belle illustration de ces processus est donnée par de très simples machines à séismes opérant en laboratoire.


Le cycle sismique. Author provided


L’injection artificielle de fluides sous pression agit sur la répartition des contraintes dans la croûte terrestre et contrebalance en partie la force normale à la faille, ce qui diminue les frottements et donc le seuil de rupture. Ainsi, une faille initialement proche du seuil de rupture – c’est-à-dire dont les « ressorts » sont déjà copieusement chargés – pourra rompre en avance par rapport à ce qu’aurait été son évolution naturelle. Ces séismes induits sont donc des séismes naturels « avancés » de plusieurs dizaines à milliers d’années du fait de l’activité industrielle.

L’Oklahoma en crise sismique

Dans le centre de l’Oklahoma se trouve une gigantesque aire de stockage d’hydrocarbures, servant aussi de gare de triage entre pipelines, le hub de Cushing, du nom de la ville à proximité. Il s’agit d’une infrastructure hautement stratégique pour les États-Unis. De nombreux séismes induits, certains de magnitude moyenne (4,3 au maximum), s’y sont produits en octobre 2014, réactivant une zone de faille qui avait déjà rompu plus au sud en 2011, près de la petite ville de Prague. La séquence de 2011, également induite par l’injection de fluides, avait atteint la magnitude 5,6, causant une forte accélération du sol et un certain nombre de dégâts. D’après une étude récente, publiée dans la revue Geophysical Research Letters, on peut redouter une rupture sismique équivalente à proximité immédiate du hub de Cushing, séisme qui aurait la capacité d’occasionner des dommages importants pour les installations industrielles. Face à cette crise sismique de Cushing, potentiellement en croissance, la question de la sismicité induite en Oklahoma est devenue un enjeu national souligné entre autres par le New York Times ou Bloomberg Business.


La hausse du nombre de séismes en Oklahoma. Author provided


Cette explosion du nombre de séismes en Oklahoma a débuté en 2009. Avant cette période, on y enregistrait un évènement de magnitude supérieure à 4 toutes les décades. En 2014, il y en a eu 24, ce qui correspond à une augmentation d’un facteur 200. Et 2015 s’annonce bien pire. Jusqu’à cette année, les liens entre ces séismes et l’injection d’eaux usées en profondeur étaient niés par l’industrie pétrolière, les organismes de régulation et les responsables politiques. Selon certaines analyses, les pressions de l’industrie retenaient les scientifiques du service géologique (OGS) de l’Université de l’Oklahoma de donner des informations simples et directes. Les différents conflits d’intérêt ayant mené au déni sont décrits en détail dans un long article paru en avril dernier dans The New Yorker.

Face à la crise sismique en croissance exponentielle, il semble maintenant que l’OGS et les autorités commencent à prendre le problème en main, et cherchent des solutions techniques pour le contrôler. Mais un tel contrôle, qui est loin d’être évident, nécessitera une meilleure compréhension de la physique du phénomène, et demandera des années avant de voir, peut-être, la crise sismique s’apaiser.

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