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Débat : La criminalisation de la solidarité aux migrants, miroir d’une Europe « prohibitionniste »

À Vintimille, en juin 2015. Valéry Hache/AFP

L’éclatement de la « crise migratoire » en 2015 s’est répercuté à la frontière italo-française. Une zone de « non-droit d’asile » a ainsi émergé entre la France et l’Italie, plus précisément à Vintimille, « le Calais italien ». Les reportages et des vidéos sur ce qui s’est passé et se passe encore dans cet endroit d’Europe sont très nombreux (en français et en italien).

Dès le début de juin 2015, quelques milliers de migrants se sont « installés » juste à la frontière sur les rochers. C’était encore l’été ; ils avaient des sacs de couchage et des tentes fournis par les bénévoles italiens puis français. On a vu d’emblée d’un côté la mobilisation des no borders et autres bénévoles italiens et français (notamment ceux de Roya Citoyenne), et de l’autre la mise en place d’un dispositif militaro-policier italien et français sans pitié et violent.

Compétition mortifère entre polices italienne et française

Avec Manuel Valls, qui visiblement souhaitait démontrer sa capacité à dépasser Nicolas Sarkozy en la matière, le gouvernement français a fait le choix de la répression systématique des migrants qui cherchaient à passer la frontière. Les contrôles se sont amplifiés. On a même vu, un jour, une vingtaine de policiers monter dans un train et le bloquer juste avant Menton pour appréhender deux mineures et les refouler en Italie. Une compétition s’est ouverte entre les polices des deux côtés de la frontière. Le résultat prévisible a été atteint : les violences et même les brutalités contre les migrants se sont multipliés, comme le montrent clairement les médecins no borders italiens, mais aussi Amnesty International.

Les principales conséquences de l’action policière des deux côtés de la frontière ne se sont pas faites attendre. Des migrants trouvent la mort lors de tentatives de passages très dangereux de frontière : écrasés sur l’autoroute ou sur les rails de train ou tombant dans des crevasses sur les montagnes entre les deux pays. Une forme de résistance à cette « guerre aux migrations » se développe dans les rangs des migrants et de la part des bénévoles italiens et français. Mais, parallèlement, un business des passeurs se met en place, avec une sorte de revival de ce qui a été pratiqué dans cette frontière depuis le XIX siècle.

À ce sujet, il faut voir à ce sujet le très beau film de Germi et Fellini qui décrit très bien à la fois le rôle du passeur et les vicissitudes tragiques des migrants juste à la frontière où leurs héritiers d’aujourd’hui essayent toujours de passer.

On arrive ainsi à la pérennisation de cette situation qui devient de plus en plus tragique, surtout lors de cet hiver 2017-2018, pour tous ceux qui tentent de survivre à proximité de la frontière, sans abri, dans des conditions hygiéniques et sanitaires indicibles, mais aussi pour ceux qui multiplient les passages à travers les massifs montagneux, à leurs risques et périls.

Les mobilisations des solidarités, des deux côtés de la frontière, n’ont pas cessé de se développer avec, entre autres, le soutien de certains médias, des intellectuels et du pape et des ONG qui, auparavant, n’avaient pas appuyé les solidaires et les no borders, considérés par la police comme des extrémistes voire des « amis » des éco-terroristes. Tout comme certaines ONG, tels Médecins sans frontières, qualifiées de « complices des trafiquants ».

L’Union européenne persiste et signe

Force est de constater que la radicalisation violente du « prohibitionnisme » européen des migrations a conduit à des effets assez déroutants : le « pacte pourri » italo-libyen scellé sur le dos des migrants et la criminalisation de la solidarité manifestée par des bénévoles français et italiens mais aussi celle des ONG qui cherchent à sauver les migrants de la noyade en Méditerranée.

À cela s’ajoute la décision (inconstitutionnelle) du gouvernement italien – pourtant saluée par Emmanuel Macron – de soutenir « la guerre » déclarée aux migrants sur le territoire du Niger.

On peut donc dire que l’Europe des Macron, Merkel et consorts confirme le choix prohibitionniste établi en 2015, tout en continuant à traiter par le mépris la mort de dizaines de milliers de migrants, à ignorer les tortures et le marché esclavagiste en Libye, le sort de ceux qui en Turquie et ailleurs sont à la merci d’une forme de néo-esclavagisme.

Nombre de données et d’informations accablantes montrent, sans doute possible, l’écart grandissant entre les riches et les pauvres ainsi que la dégradation sanitaire, environnementale et économique provoquée par les activités destructrices des entreprises des pays dominants, poussant de plus en plus à des migrations désespérées.

L’Union européenne poursuit néanmoins sa pratique d’un prohibitionnisme des migrations qui, de fait, alimente la dérive extrémiste d’une bonne partie de sa population. Une telle dérive ne pourra que conduire à la radicalisation de la résistance de ceux qui encore veulent une Europe effectivement démocratique et respectueuse des droits fondamentaux de tous. Pour paraphraser Hannah Arendt, la dérive de l’UE risque de conduire à la négation du « droit d’avoir des droits », y compris le droit à la solidarité, donc à la violence extrême qui subit les non personnes ainsi destinées à être un excèdent humain.

Comme le rappelait récemment Patrick Weil :

« On a un principe : un enfant, on ne lui demande pas ses papiers quand on l’accueille à l’école, un malade, on ne lui demande pas ses papiers quand il a besoin d’être soigné à l’entrée de l’hôpital, et quelqu’un qui n’a pas de quoi se loger, on ne lui demande pas ses papiers à l’entrée d’un centre d’hébergement d’urgence. »

Emmanuel Macron, Gérard Collomb et, plus largement, les autorités (catholiques et pseudo-laïques) de l’Union européenne ne respectent clairement pas ces principes.

Lire «Continuité et mutations dans les migrations en particulier à la frontière de Vintimille», dans la revue Altreitalie, (à paraître).

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