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Dégradation de la notation souveraine du Cameroun : quelles causes et quelles conséquences ?

Billets de banque du franc CFA, la monnaie du Cameroun. ISSOUF SANOGO/AFP via Getty Images

Cet été aura été propice à l’annonce de deux mauvaises nouvelles pour le Cameroun, de nature à refroidir l’élan que manifesteraient d’éventuels investisseurs pour acheter de la dette du pays.

Fin juillet 2023, Moody’s a rétrogradé de B2 à Caa1, la notation des dettes de long terme libellées en devises étrangères et en franc CFA, ainsi que celles des dettes seniors, c'est-à-dire les obligations et emprunts qui ont une priorité de remboursement plus élevée par rapport à d'autres catégories de dettes de l'Etat non garanties par un collatéral (généralement des dettes bancaires).

Début août 2023, Standard and Poor’s a abaissé de B- à CCC+ la note des dettes de long terme libellées en devises étrangères, en y ajoutant les dettes de court terme.

Ce que cela signifie

Concrètement, cela signifie que du point de vue d’un investisseur qui souhaiterait acheter sur les marchés de capitaux internationaux de la dette émise par l’Etat camerounais, ce type d’investissement doit désormais être vu comme présentant un risque de défaut substantiel. Il figurait déjà dans la catégorie des investissements très spéculatifs comportant un degré élevé de risque et d'incertitude.

Ces révisions sont-elles arbitraires ? Doit-on considérer, comme le suggérait le président sénégalais Macky Sall en 2022, que les agences internationales de notation exagèrent le risque financier des pays africains ?

Ayant étudié les marchés financiers, la dette extérieure et l'intégration financière des pays africains au reste du monde, mon point de vue est que les agences de notation se fondent généralement sur la situation – et surtout sur les perspectives - budgétaire des pays, ainsi que sur les facteurs susceptibles de créer un risque pour leur situation macroéconomique, financière et sociale.

Dans le cas du Cameroun, l’opinion publique et la presse ont mis en avant l’une des causes de cette dégradation, à savoir l’accumulation d’arriérés de paiement. En effet, en plus d’un retard de paiement - de plus de 5 jours - du service d’une dette bancaire (remboursement des intérêts et d’une partie du principal dus à une filiale espagnole de la Deutsche Bank au cours de l’année 2022), le gouvernement n’a apuré qu’une partie de ses arriérés sur ses dettes non-commerciales.

Ces dettes non-commerciales sont celles qui n'ont pas été contractées auprès du système bancaire (ce qu'a souligné, au mois de juin, l’équipe du Fonds monétaire international (FMI) qui a effectué les quatrièmes revues d’un programme d’aide financière dont le Cameroun bénéficie actuellement au titre de la facilité élargie de crédit et du mécanisme élargi de crédit.

Conséquences de la révision des notes

La décision des agences de notation doit être appréciée dans un contexte particulier. Pour commencer, l’aide dont bénéficie actuellement le Cameroun de la part du FMI est ciblée pour des pays dont l’économie présente de graves problèmes macroéconomiques structurels susceptibles de conduire à des crises de balance de paiement. Par exemple, les problèmes de gouvernance (perception de la corruption) freinent les entrées de capitaux sous la forme d’investissements directs étrangers et de portefeuille.

Les progrès dans l’achèvement des projets de réhabilitation des infrastructures dans les secteurs du transport et de l’énergie ne sont pas suffisamment rapides pour hausser le niveau de la productivité globale des facteurs. Par ailleurs, le pays peine à réduire son taux de pauvreté qui culmine autour de 40 % et qui s’accompagne de grandes disparités régionales, mais aussi entre zones rurales et zones urbaines.

Au-delà des chiffres encourageants sur les perspectives de croissance, les équilibres budgétaires et les réformes menées par l’administration fiscale, la question importante porte sur la capacité de résilience de la situation macro-budgétaire - qui reste fragile – face à la multiplication des chocs. Ce sont des facteurs de risques : crise du Covid-19, guerre d’Ukraine, crise politique et insécurité dans les régions anglophones, tensions inflationnistes, remontée des taux d’intérêt mondiaux, crise migratoire, etc.

Or, l’orientation actuelle de tous ces facteurs joue en défaveur du Cameroun. Ce qui explique que la moindre décision de reporter le règlement d’une échéance sur une dette soit lue comme un signe avant-coureur d’un possible défaut (même si, in fine, ce dernier ne se produit pas). Les agences de notation s’intéressent au fait de savoir si ces facteurs sont susceptibles de peser négativement sur les indicateurs macroéconomiques, budgétaires et financiers du Cameroun.

Un signal envoyé par les marchés

La réponse est, sans doute, positive. Tout d’abord, les chances que les dépenses publiques évoluent en-deçà des limites prévues dans son programme d’ajustement conclu avec le FMI sont jugées faibles au regard de plusieurs facteurs :

  • probables hausses des subventions aux ménages et aux entreprises dont le niveau de pauvreté s’est accru en raison de l’inflation;

  • hausse des dépenses liées aux migrations provoquées par la crise sociopolitique avec les Etats anglophones du Nord, et par la volatilité des prix du pétrole qui risque de renchérir les importations de pétrole raffiné;

  • hausse des taux d’intérêt mondiaux qui risque également de durcir les conditions de refinancement sur les marchés de capitaux mondiaux, en affectant donc directement le service de la dette.

Par ailleurs, les réformes visant à améliorer des ressources budgétaires et le potentiel de croissance sont en cours et n’ont pas encore révélé leur pleine potentialité. La dernière revue du FMI en juin 2023 souligne que les réformes structurelles progressent à un rythme lent. Ce dernier élément est susceptible de peser sur l’amélioration du climat des affaires. Il peut obérer les capacités du Cameroun à recevoir des investissements directs étrangers qui seraient nécessaires au financement de l’activité des secteurs non pétroliers.

Le Cameroun peut être classé parmi les pays dont la balance des paiements et les soldes budgétaires font apparaître des besoins de financement élevés. Au point que le pays est appuyé par un programme du FMI pour lui éviter une crise de liquidités. Dans ce contexte, une règle d’or est que les arriérés de paiement ne peuvent servir, même temporairement, à financer les dépenses. La décision de Moody’s et de Standard and Poor’s était donc attendue.

Les conséquences à court terme de la dégradation de la note souveraine sont imprévisibles. Mais on peut interpréter cette dégradation comme un signal envoyé par les marchés au gouvernement, au moment où ce dernier bénéficie d’un appui financier du FMI et doit engager des réformes structurelles pour accroître la productivité de son économie et dégager des ressources permettant de réduire la pauvreté.

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