Menu Close
Des chenilles asphyxient une branche d'arbre
Ces insectes sont essentiellement de petites machines qui transforment les feuilles riches en carbone en excréments riches en azote. (John Gunn), Author provided

Des chenilles affamées ont un impact sur la qualité des lacs et les émissions de carbone

Des infestations de chenilles d’un papillon de nuit, Lymantria dispar, et de celles de la Livrée des forêts, Malacosoma disstria, se produisent au moins tous les cinq ans dans les forêts tempérées.

Les insectes dévorent tellement de feuilles que nos recherches ont montré que la diminution de leur chute et l’augmentation des excréments des chenilles qui en résultent modifient considérablement la façon dont les nutriments, en particulier le carbone et l’azote, circulent entre la terre et les lacs voisins.

Des excréments d’insectes, ou chiures, riches en azote peuvent être entraînés dans l’eau des lacs et servir d’engrais à des microbes, qui vont ensuite libérer du dioxyde de carbone dans l’atmosphère lorsqu’ils métabolisent les chiures. Les années où une infestation d’insectes se produit, les grandes quantités d’excréments peuvent favoriser le développement de bactéries qui libèrent des gaz à effet de serre dans les lacs, contrant l’incidence des algues lacustres qui éliminent le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Des chenilles sur des feuilles
Feuilles d’arbres mangées par des chenilles sur le mont Royal, à Montréal, en juillet 2021. La Presse canadienne/Paul Chiasson

Ces insectes sont de véritables petites machines qui transforment les feuilles riches en carbone en crottes riches en azote. Les déjections se retrouvent ensuite dans les lacs à la place des feuilles, ce qui change considérablement la chimie de l’eau. Nous pensons que cela peut faire en sorte que les lacs deviendront de plus en plus des sources de gaz à effet de serre.

À mesure que le climat des régions tempérées du monde se modifie, on s’attend à ce que les populations d’insectes augmentent et se déplacent vers le nord. Les forêts septentrionales risquent alors de subir davantage les attaques de défoliateurs, ce qui pourrait entraîner une hausse de la quantité de dioxyde de carbone rejetée par les lacs. Les changements climatiques devraient également favoriser la croissance des arbres à feuilles caduques autour des lacs, ce qui pourrait amplifier l’impact des insectes.


Read more: Voici pourquoi une chenille envahissante attaque des arbres dans la plus grande infestation depuis des décennies


Et les bonnes nouvelles dans tout cela ?

Pendant que les impacts de la défoliation semblent augmenter en fréquence et en gravité, les lacs du Bouclier canadien subissent également un processus appelé brunissement, causé par l’accumulation de carbone organique dissous, semblable à du thé, dans leurs eaux.

Cette baisse de la clarté des eaux a été attribuée à de nombreux facteurs, dont les changements climatiques, le rétablissement des lacs après les pluies acides ainsi que les activités d’exploitation forestière passées. Notre étude de suivi, qui s’est déroulée sur 32 ans, a montré qu’une invasion de chenilles dévoreuses de feuilles peut compenser une année entière d’accumulation de carbone dans les lacs voisins, améliorant ainsi considérablement la clarté de l’eau.

Des arbres à l’automne et un lac
Une infestation de chenilles dévoreuses de feuilles peut compenser une année entière d’accumulation de carbone dans les lacs voisins et améliorer considérablement la clarté de l’eau. (Unsplash)

Les années où il n’y a pas d’infestation, le carbone et l’azote qui pénètrent dans les lacs proviennent généralement de la décomposition des feuilles et des aiguilles de conifères. La quantité de ces apports atteint habituellement son apogée en automne. Nous avons constaté que les années d’infestation, les lacs d’eau douce, en particulier ceux entourés de forêts à feuilles caduques, contiennent 30 % moins de carbone dissous dans l’eau, car les chenilles affamées empêchent le passage du carbone vers le lac.

Les avantages à long terme de ces insectes envahissants deviennent évidents lorsque ceux-ci rencontrent des arbres déjà soumis à un stress, comme ceux de la forêt de bouleaux rabougris qui entoure les immenses fonderies de métaux à Sudbury, en Ontario. Cette zone industrielle de 80 000 hectares connaît un rétablissement naturel remarquable, grâce à une réduction de 98 % des émissions d’acide sulfurique et de particules métalliques provenant de ce qui était, dans les années 1970,la plus grande source ponctuelle de pollution par le soufre au monde. L’héritage de la perte, de la contamination et de la dégradation des sols à Sudbury désavantage nettement les arbres dans la lutte contre les insectes défoliateurs.

Les chenilles, ces petites charrues

Les arbres ne peuvent pas fuir les insectes, mais ils peuvent généralement survivre à des attaques importantes. Cependant, les arbres des zones industrielles de Sudbury ne s’en sortent pas aussi bien, en raison de tous les autres stress auxquels ils sont confrontés.

Ces facteurs de stress comprennent la perte d’humidité et de matière organique du sol, ainsi que des décennies d’accumulation de particules métalliques toxiques provenant des fonderies. En conséquence, les arbres stressés constituent une source de nourriture délicieuse pour les chenilles et autres insectes, et le paysage est souvent jonché d’arbres morts et mourants en passe de se transformer en humus.

Dans le cadre d’expériences antérieures menées en laboratoire, nous avons démontré que si l’on donnait aux chenilles deL. dispar des feuilles de bouleaux blancs stressés des terres industrielles, elles mangeaient plus de feuilles et produisaient beaucoup plus de chiures, ce qui augmentait la croissance des plantes dans les sols qui avaient reçu cette pluie d’excréments. Si les insectes donnent du fil à retordre aux arbres en difficulté sur les sites industriels, c’est la qualité des sols qui en ressort gagnante.

Un sol en bonne santé est l’un des endroits les plus vastes et les plus sûrs pour séquestrer le carbone de l’atmosphère, ce qui est essentiel dans la lutte contre les changements climatiques. Tout bon agriculteur sait que la protection et la restauration des sols sont essentielles pour une agriculture durable. C’est pourquoi les agriculteurs avertis s’assurent de cesser régulièrement d’extraire les nutriments de la terre et de planter une culture fourragère riche en nutriments, comme la luzerne, afin de régénérer les sols.

Nos recherches ont démontré que les chenilles affamées jouent un rôle étonnamment important dans la modification des caractéristiques du cycle mondial du carbone, mais nous les percevons aussi comme de minuscules charrues qui peuvent contribuer à améliorer la qualité des sols.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,500 academics and researchers from 4,943 institutions.

Register now