Après six décès et 380 cas confirmés et probables de maladie pulmonaire aux États-Unis due au vapotage de liquides arômatisés, l’administration Trump a demandé l’interdiction de la plupart d’entre eux, en raison de l’énorme attraction qu’ils exercent sur les jeunes gens.
En outre, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) est en train d’examiner de près non seulement les divers liquides aromatisés contenant de la nicotine, mais aussi d’autres substances utilisables par les utilisateurs de cigarettes électroniques, afin de déterminer comment ces aérosols pourraient affecter leurs poumons. Le 12 septembre 2019, l’agence a revu à la baisse le nombre de cas confirmés et probables, les faisant passer de plus de 400 à 380. Le CDC explique cette diminution par l’abandon du report des cas « possibles ».
Le mystère et l’inquiétude quant à ces accidents demeurent cependant, tandis que les nombreux fumeurs qui ont recours à ces appareils pour vaincre leur addiction craignent de se voir confisquer un outil précieux. Mais avant d’en arriver là, les chercheurs ont besoin d’en apprendre beaucoup plus qu’ils n’en savent actuellement.
L’avènement des e-cigarettes est récent, et leur histoire, courte. En tant qu’ingénieure étudiant la façon dont les gens consomment les produits du tabac, je suis convaincue que le comportement des consommateurs constitue une clé pour comprendre les effets positifs et négatifs de la cigarette électronique sur la santé. N’oublions pas que la mise au point de ces objets visait à aider les gens à arrêter de fumer, une pratique qui constitue la première cause de décès évitable aux États-Unis.
La façon dont les utilisateurs vapotent, la durée de leur inspiration lorsqu’ils prennent une bouffée et ce qu’ils mettent dans leur e-cigarette sont autant de facteurs jouant un rôle dans cette histoire. Si nous ne savons pas encore comment le comportement des vapoteurs affecte la quantité de chacune des substances qu’ils consomment quotidiennement, nous avons toutefois des raisons de croire qu’il s’agit d’un point important.
La promesse non tenue des produits alternatifs à la nicotine
Un grand nombre de personnes demeurent sceptiques quant au fait que les e-cigarettes réduiront les taux de mortalité liés au tabagisme. Il faut rappeler qu’historiquement, des fabricants de cigarettes avaient déjà formulé une promesse semblable, en proposant des cigarettes « plus sûres ». Mais elle n’avait pas été tenue.
En 1964, après que l’administrateur de la santé publique des États-Unis ait déclaré que fumer était nocif, les fumeurs incapables d’arrêter se sont tournés vers des cigarettes à faible teneur en goudron. Contenant moins de goudron que les cigarettes ordinaires, elles étaient commercialisées comme plus sûres.
Pourtant, la généralisation de leur usage n’a pas fait baisser le taux de mortalité chez les fumeurs. En effet, si les cas de carcinome épidermoïde pulmonaire ont diminué suite à l’avertissement de l’administrateur de la santé publique, un autre type de cancer, l’adénocarcinome, a augmenté. Pourquoi ?
Les modèles d’ingéniérie suggèrent non seulement que les caractéristiques de la fumée de ces nouvelles cigarettes différait des précédentes, mais aussi que les fumeurs ont modifié leurs comportements, par compensation (pour satisfaire leur dépendance, ils pourraient avoir consommé davantage de fumée). La combinaison de ces deux facteurs a changé les endroits où les particules se déposaient dans leurs poumons. Or, selon l’endroit où les particules toxiques se déposent, la nature du cancer qui risque de se développer ne sera pas la même. Autrement dit, il semblerait que les fumeurs de cigarettes allégées aient simplement troqué un type de cancer contre un autre.
Comment avons-nous pu passer à côté de cette situation ?
Traditionnellement, les cigarettes étaient testées en laboratoire, à l’aide de machines à fumer – et non d’un fumeur – selon un protocole standard établi par les industriels en 1966. Des études ultérieures ont cependant révélé que ce « tabagisme mécanisé » n’est pas représentatif du véritable comportement des fumeurs et ne reflète donc pas la réelle exposition aux constituants nocifs des cigarettes. En 2008, l’ancienne norme FTC/ISO a été abrogée, avec l’espoir qu’une nouvelle norme plus réaliste prendrait sa place.
Désormais, grâce à une loi adoptée en 2009, les industriels du tabac ne peuvent plus prétendre réduire les risques sans avancer de preuves scientifiques. La communauté des chercheurs a retenu la leçon de cette débâcle des cigarettes à faible teneur en goudrons. Aujourd’hui, nous travaillons à produire les connaissances scientifiques nécessaires à la compréhension du véritable impact des cigarettes électroniques sur la santé.
Réglementation sur les e-cigarettes
Depuis l’arrivée des e-cigarettes sur le marché européen en 2006, la demande s’est déplacée de ceux qui espéraient arrêter de fumer vers ceux qui n’avaient jamais fumé, cette seconde catégorie incluant un nombre exceptionnellement élevé de jeunes. Cette situation a suscité des inquiétudes. Le vapotage peut-il constituer une porte d’entrée vers le tabagisme ? Les jeunes utilisent-ils les e-cigarettes différemment des adultes ?
En juin 2019, la Food and Drug Administration (FDA – l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) a publié de nouvelles lignes directrices à destination des fabricants de e-cigarettes. En ce qui concerne la détermination du niveau de menace pour la santé, l’agence reconnaît le rôle important joué par comportement des vapoteurs. Le document de la FDA exige que soit évaluée la façon dont les utilisateurs consomment les produits commercialisés. Cette évaluation doit inclure le nombre de bouffées, leur durée et leur intensité, ainsi que la fréquence d’utilisation.
Ces données de comportement sont très importantes pour diverses raisons. Les utilisateurs peuvent par exemple adopter un comportement annulant les effets sur la santé prédits par les tests en laboratoire. Quand bien même une bouffée générée en laboratoire contient moins de nicotine, si les utilisateurs augmentent leur nombre de prises quotidiennes, ils peuvent malgré tout accroître leur dépendance à cette substance, et donc consommer plus de toxines que prévu.
Autres dangers potentiels
Les chercheurs et les médecins ont également besoin de savoir quelles substances sont vaporisées, ainsi que de connaître les divers modèles d’appareils existants. La FDA tient à jour une liste de constituants nocifs et potentiellement nocifs, ou HPHCs, basée sur des données relatives au tabagisme traditionnel.
On sait moins de choses en ce qui concerne les effets liés à la conception des e-cigarettes elles-mêmes. Les utilisateurs peuvent par exemple utiliser des dispositifs modulaires et les modifier, ce qui peut avoir des conséquences sur leurs effets. Les adolescents sont particulièrement susceptibles de transformer leurs appareils.
La FDA est en train de mettre à jour sa liste pour y inclure les ingrédients qui pourraient se trouver dans les e-cigarettes. La nicotine y figure déjà, de même que divers métaux et d’autres substances non nicotiniques.
Les liquides utilisés pour l’administration de la nicotine pourraient en effet poser problème. La base des [e-liquides] est typiquement constituée d’une combinaison de glycérine végétale et de propylène glycol. À elle seule, elle peut provoquer une réponse inflammatoire dans les poumons, même si on interdit d’y ajouter des additifs aromatiques.
En ce qui concerne les arômes, justement, il est important de comprendre que la toxicité d’une substance peut différer selon qu’elle est inhalée ou ingérée. Par exemple, l’arôme de vanille, considéré comme inoffensif lorsqu’il est ingéré, peut ne pas l’être lorsqu’il est vapoté. Certains arômes se décomposent lorsqu’ils sont chauffés et génèrent des molécules qui ne sont pas présentes dans le liquide d’origine.
La diminution de la consommation d’arômes permettrait-elle également de diminuer les effets nocifs ? Quelle quantité de ces additifs peut être consommée avant que les effets nocifs ne se matérialisent ? Quelle devrait être l’ampleur de la réduction avant que les avantages pour la santé ne se concrétisent ?
Les outils d’ingénierie peuvent faire progresser le processus réglementaire
Afin de mieux comprendre la nature des constituants consommés, les chercheurs qui étudient le design des cigarettes électroniques et les habitudes des utilisateurs reproduisent les comportements de vapotage en laboratoire. Qu’ont-ils découvert jusqu’à présent ?
Le débit des bouffées modifie la nature de l’aérosol, de sorte que les utilisateurs peuvent contrôler l’effet de chaque bouffée simplement en modifiant la façon dont elles sont prises.
Les utilisateurs de cigarettes électroniques modifient leur débit lorsqu’ils changent de saveur ou de teneur en nicotine. Ce faisant, ils modifient aussi leur exposition aux composants nocifs ou potentiellement nocifs.
L’analyse des vapeurs a montré que, pour chaque produit, l’exposition du consommateur varie fortement en fonction de son comportement.
Comme dans le cas du tabagisme, certains utilisateurs d’e-cigarettes vapotent toute la journée, tandis que d’autres vapotent à intervalles de temps plus espacés.
Même si, dans certains cas, les e-cigarettes contiennent moins de nicotine par bouffée que les cigarettes, les vapoteurs peuvent dans les faits en consommer quotidiennement la même quantité que les fumeurs, voire davantage.
Afin que les fabricants puissent mettre au point des produits plus sûrs et que la FDA puisse élaborer des règlements pertinents, nous continuerons à étudier la façon dont sont utilisées les cigarettes électroniques et leurs produits. Le consommateur sera ainsi en mesure, avec l’aide de son médecin, de prendre des décisions éclairées.